La Lituanie préoccupée par l’émigration massive
Celui que le pays d'accueil appelle "immigré" est, pour le pays d'origine, un émigré. Cette réalité ne saurait été mieux illustrée ailleurs qu'en Lituanie : pays de l'ancienne URSS, situé sur la rive orientale de la mer Baltique. Là où nous, pays d'Europe occidentale, nous querellons sur la question de l'immigration, nos amis lituaniens sont préoccupés par le problème inverse : l'émigration massive.
A la date du 1er janvier 2016, la population lituanienne était de 2 905 000 personnes, contre 3 052 000 en 2011 et 3 704 000 en 1991. Depuis la fin de la présence soviétique, le pays a ainsi perdu 23% de sa population – et les chiffres continuent de dégringoler chaque année.
Les projections démographiques ne sont guère rassurantes. Selon l'agence Eurostat, la Lituanie devrait compter 2 749 000 habitants en 2020 et à peine 2 100 000 vers 2035. Un score qui descend à 1 650 000 en 2080. Ces chiffres sont évidemment à prendre au conditionnel et ne prennent pas en compte les éventualités d'immigration, de natalité massive ou d'autres potentialités qui peuvent relancer la natalité et enrayer la tendance baissière.
Les chiffres de la natalité et de la fécondité sont par ailleurs satisfaisants. Contrairement à l'Allemagne où le taux de natalité était de 8,3% en 2016, il est de 10,6% en Lituanie. Le taux de fécondité des femmes s'élève quant à lui à 1,7 enfant par femme, alors qu'il est d'à peine 1,3 en Allemagne et 1,5 en Italie. Des statistiques plutôt rassurantes qui le sont moins au regard de la mortalité dont le taux s'élève à 14,4 pour mille, tandis qu'il est de 8,7 en Belgique et de 9,3 en France. En outre, la Lituanie avait enregistré le taux le plus élevé de suicides en 2005 : 68,1/100 000. En 2016, le nombre de décès a également été supérieur à celui des naissances : 40 300 contre 30 400.
Mais la cause principale de cette chute démographique se trouve dans l'émigration. Un phénomène qui a commencé dès 2004, avec l'adhésion du pays à l'UE et s'est creusé par la suite au fil des tribulations économiques de la Lituanie : la crise économique de 2008 ayant provoqué une contraction du PIB de 15% ; par la suite, les coupes dans le budget de la sécurité sociale et l'augmentation du chômage (9,1% en 2017) ont accentué le phénomène qui touche surtout les jeunes dont le sentiment global est caractérisé par un fort pessimisme à l'égard de leur pays. Ainsi, plus de 800 000 Lituaniens ont quitté leur pays après l'ouverture des frontières consécutive à la chute du communisme. Seuls 90 000 sont revenus en Lituanie.
De nos jours, l’émigré lituanien type, selon Voxeurop, est un "un jeune de moins de 34 ans, diplômé du supérieur ou d’un institut professionnel, mais au chômage depuis plusieurs années en Lituanie, célibataire ou en famille qu’il emmène avec lui". En 2015, ils sont partis principalement vers le Royaume-Uni (43%), vers l'Allemagne (17%), destinations suivies de l'Irlande (8%) et de la Norvège (7%).
Les immigrés lituaniens représentent au Royaume-Uni une communauté de 178 000 personnes, ce qui en fait la douzième minorité ethnique en terme d'importance numérique (la première étant les Polonais, bien devant les Pakistanais). En Allemagne, ils sont 53 500.
Les principales raisons de l'émigration sont économiques. Le site Voxeurop rapporte l'exode d'un couple de trentenaires : elle, géographe, lui, électromécanicien, qui ont du partir en Angleterre avec leurs deux enfants parce qu'ils ne trouvaient pas de travail. Les plus diplômés optent néanmoins pour la Norvège où le salaire minimum (10 000 couronnes, soit 3 000 euros) est douze fois supérieur au salaire minimal lituanien. Fait intéressant : un dixième des détenus norvégiens sont d'origine lituanienne. Cela s'explique par le vent de liberté que ces jeunes connaissent en Norvège, ce qui les incite à se relâcher et à commettre des actes délictueux souvent liés à l'alcool, à la drogue et/ou à des excès de vitesse. Autre fait intéressant : les Lituaniens expatriés ont envoyé, rien qu'en 2017, plus de 4 milliards d'euros à leurs proches restés au pays – un chiffre qui représente 4% du PIB lituanien.
Quant à l'immigration, elle demeure balbutiante dans ce pays pétri de tradition qui, en 2016, n'avait reçu que 496 réfugiés, tandis que 8000 migrants clandestins (principalement issus de Biélorussie, d'Ukraine et d'Arménie) ont été expulsés depuis l'adhésion du pays balte à l'UE, ce que déplore le professeur Kestutis Girmius, historien à l'université de Vilnius : "La Lituanie est une société homogène qui n'est pas encore habituée à une immigration extra-européenne", déclare-t-il à nos confrères du Monde. Les Lituaniens ethniques représentent en effet 80% de la population tandis que la minorité russe s'élève à 8% et la communauté polonaise à 7,5%. Quant aux Juifs, ils ne sont plus que 0,1% de la population. La jadis florissante communauté juive de Lituanie, forte de 200 000 personnes avant la guerre, a été décimée par les nazis et leurs supplétifs locaux qui ont massacré environ 195 000 hommes, femmes et enfants – un sujet toujours tabou.
Pour le sociologue Vladas Gaidys, l’émigration ne cessera pas si ses causes ne sont pas résorbées, or elles sont nombreuses : "Il n’y a pas de travail, ni de quoi rembourser les crédits. Comment vivre normalement, quand une fois le chauffage payé, il ne reste plus grand-chose ?", s’interroge-t-il. Et de conclure : "La Lituanie n'est pas un endroit où fait bon vivre pour les jeunes". 82% des lycéens affirment en effet penser partir à l'étranger.
La classe politique, longtemps sourde à cette réalité, semble enfin mesurer la gravité du problème. Ainsi, aux élections législatives qui d'octobre 2016, les partis politiques se sont emparés du sujet, promettant à qui mieux mieux hausses de salaire et politique sociale. La victoire surprise de l'Union des Verts (passé de 1 siège à 54) montre à quel point le peuple lituanien est exaspéré et aspire à des réformes en profondeur. Le nouveau premier-ministre Saulius Skvernelis, nommé en novembre, a promis de faire de la lutte contre l'émigration une priorité nationale.
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