Vaccin contre la dengue de Sanofi : un scandale sanitaire se profile-t-il aux Philippines ?
Les Philippines soupçonnent le Dengvaxia, vaccin contre la dengue de Sanofi Pasteur, d'être à l'origine de trois morts. Mais le groupe pharmaceutique nie tout lien entre son vaccin et ces décès récents. Sciences et Avenir fait le point sur cette polémique.
Dès décembre 2015, Dengvaxia est approuvé aux Philippines pour les personnes âgées de 9 à 45 ans.
© YURI CORTEZ / AFPC'est une maladie qui a progressé dans le monde de manière spectaculaire au cours des cinquante dernières années et désormais, la moitié de la population mondiale y est exposée, surtout dans les régions tropicales et subtropicales. Il s'agit de la dengue, une infection virale transmise par les moustiques Aedes et infectant 390 millions de personnes par an. La maladie est le plus souvent bénigne, mais des formes sévères et imprévisibles surviennent dans environ 1% des cas, plus souvent chez les jeunes enfants, entraînant le décès. Un seul vaccin a été homologué pour cette maladie : le Dengvaxia de Sanofi Pasteur. Après 20 ans de recherches, 1,5 milliard d'euros d'investissements et des résultats prometteurs, le groupe pharmaceutique vit un grand revers : début décembre 2017, les Philippines ont subitement suspendu la vente et la distribution dans le pays pour un an du Dengvaxia et ont ouvert une enquête sur la mort de 14 enfants figurant parmi la liste de ceux ayant été vaccinés. Le 2 février, un rapport gouvernemental soupçonne le vaccin d'être à l'origine de trois morts. Mais Sanofi nie tout lien entre ces décès et le vaccin. Cette polémique donnera-t-elle naissance à un scandale sanitaire aux Philippines, voire dans les autres pays où ce vaccin est disponible ? Sciences et Avenir fait le point, en retraçant les principales étapes de l'affaire Dengvaxia, des essais cliniques jusqu'à l'échec aux Philippines.
1. Des essais cliniques aux résultats prometteurs
Pour développer ce vaccin, Sanofi Pasteur a réalisé 25 études cliniques dans 15 pays à travers le monde. Plus de 40.000 volontaires ont participé au programme d’essais cliniques du vaccin contre la dengue (des phases cliniques 1 à 3), 29.000 d’entre eux ont reçu le vaccin, et les résultats ont été publiés "au fur et à mesure de leur disponibilité dans des revues primaires", nous précise Sanofi Pasteur. L'une des études phares de ce vaccin a été publiée en 2015 dans le New England Journal of Medicine : elle montre que le vaccin est efficace dans les populations préadolescentes à adultes (âgées de 9 ans et plus) vivant dans les pays endémiques. Le vaccin apporte une protection chez 66% des individus vaccinés contre la dengue, quelle que soit sa sévérité. De plus, il montre une efficacité chez les sujets de 9 ans et plus qui ont déjà été exposés à la dengue (82%), et aussi chez les sujets qui n'ont jamais été infectés (52,5%) avant la vaccination.
"C’est sur la base des résultats des études cliniques, en particulier celle-ci, que le vaccin contre la dengue a été enregistré en décembre 2015 au Mexique, aux Philippines et au Brésil", nous explique Sanofi Pasteur. A ce jour, Dengvaxia est enregistré dans 18 pays tous situés en zone endémique de la dengue, et actuellement distribué dans 10 pays : Brésil, Costa Rica, Salvador, Guatemala, Indonésie, Mexique, Paraguay, Pérou, Singapour et Thaïlande.
2. Lancement de la campagne de vaccination aux Philippines
Dès décembre 2015, Dengvaxia est approuvé aux Philippines pour les personnes âgées de 9 à 45 ans. La dengue est très présente dans ce pays d'Asie : 200.000 cas ont été rapportés en 2013, concernant surtout des enfants et adolescents. Les autorités de santé décident de lancer mi-2016 un programme public de vaccination dans les écoles de quatre provinces et destiné à près de 800.000 enfants âgés essentiellement de 9 à 14 ans. Sanofi Pasteur a collaboré à la mise en place de ce programme à large échelle, à la sensibilisation du public et au suivi de l’impact de cette vaccination dans le pays : effets secondaires éventuels, efficacité sur un grand nombre de personnes... Avant le début de ce programme de vaccination, le groupe a également lancé une étude pour évaluer, sur cinq ans, l'innocuité et l'efficacité à long terme du vaccin chez les personnes ayant des antécédents d’infection et celles qui n’ont jamais contracté la maladie (voir encadré ci-dessous).
INFECTIONS MULTIPLES. La dengue est une maladie infectieuse complexe que l’on peut contracter jusqu'à quatre fois (il y a 4 sérotypes - "variétés" - du virus), contrairement à la plupart des maladies infectieuses pour lesquelles une première infection offre une protection contre les infections ultérieures. Pour la dengue, la première infection peut prédisposer certaines personnes à une deuxième infection plus sévère que la première, après une période de protection transitoire de quelques mois à quelques années.
3. Découverte d'un risque de dengue sévère pour les patients jamais infectés
Les premiers résultats de cette analyse, rendus publics en novembre 2017, confirment que Dengvaxia apporte un effet protecteur persistant contre la dengue aux personnes déjà infectées par le passé. Cependant, les conclusions sont plus mitigées pour ceux qui n’ont pas déjà été infectés par le virus au moment de la vaccination : certains ont développé des cas de dengue sévères à plus long terme après avoir été infectés ! "Le risque accru de dengue sévère pour cette catégorie est de 2/1000 sur une durée de 5 ans", nous précise Sanofi Pasteur. Sur la base de ces résultats, le groupe a demandé aux autorités de santé des pays où le vaccin est disponible, enregistré, ou en cours d’évaluation, de mettre à jour sa notice d’utilisation afin de mentionner que la vaccination des personnes n’ayant aucun antécédent d’infection par le virus de la dengue n’est pas recommandée.
4. Les Philippines suspendent la campagne de vaccination
A la suite de l’annonce de Sanofi Pasteur, les autorités de santé des Philippines ont suspendu le programme public de vaccination début décembre 2017, - alors que plus de 700.000 écoliers avaient déjà été vaccinés - pour "protéger le public". Plus de Dengvaxia dans les écoles ni dans les cabinets de médecins. En fait, l'alerte de Sanofi a soulevé inquiétude et colère dans la population, notamment chez les parents des enfants vaccinés lors de la campagne publique. Les autorités philippines ont ouvert une enquête sur la mort de 14 enfants figurant parmi ceux ayant été vaccinés. Le 2 février, un rapport gouvernemental soupçonne le vaccin d'être à l'origine de trois morts.
5. Sanofi veut rassurer les Philippins
Mais le groupe pharmaceutique nie le lien entre ces décès et le vaccin. Il affirme que les "cas sévères" de dengue repérés n'ont pas entraîné de décès. "Ces personnes présentaient des symptômes comparables à ceux des formes sévères chez les personnes non vaccinées : une température supérieure à 38°C pendant plus de 2 jours, des saignements des muqueuses, et certaines anomalies des analyses biologiques, telles qu’une augmentation de l'hématocrite concomitante avec une diminution rapide des plaquettes. Après un traitement standard de la dengue, toutes ces personnes sont aujourd’hui en bonne santé", nous assure le groupe. Ce dernier a accepté, à la demande des autorités philippines, de rembourser 1,4 milliard de pesos (22,8 millions d'euros) de doses non utilisées, assurant que cette décision "est sans rapport avec d'éventuelles questions de sécurité ou de qualité du Dengvaxia". "Sanofi Pasteur est convaincu que ce climat est dû à un malentendu sur les bénéfices et les risques associés au vaccin contre la dengue", précisait un communiqué du groupe diffusé mi-janvier 2018.
6. Une décision (pour l'instant) unique de la part des Philippines
Pour l'instant, aucun autre pays, où le Dengvaxia a été enregistré ou est distribué, n'a suivi la décision des Philippines : "Dans tous les autres pays, le processus de mise à jour de la notice du vaccin suit son cours ainsi que l’information progressive des différentes instances scientifiques, médicales et réglementaires afin que les personnes désirant se faire vacciner soient rigoureusement informées", nous assure Sanofi Pasteur. Au Brésil en particulier, second pays après les Philippines ayant mis en place un programme public de vaccination, les autorités de santé ont annoncé le maintien du programme public de vaccination débuté en 2016.
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