La poussée de la géo-ingénierie est une terrifiante défaite politique
4 décembre 2017 / Geneviève Azam et Maxime Combes source : Reporterre
Estimant que les émissions de gaz à effet de serre sont impossibles à maîtriser, les climatosceptiques de M. Trump et des puissants comme Bill Gates veulent développer la géo-ingénierie. Les auteurs de cette tribune en soulignent les risques et appellent à renforcer le moratoire des Nations unies sur ces techniques désastreuses.
Geneviève Azam est économiste, membre d’Attac France, auteur de Osons rester humain. Les impasses de la toute-puissance (Les liens qui libèrent, 2015). Maxime Combes est économiste, membre d’Attac France, auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015).
Après l’alerte renouvelée des scientifiques et en raison d’un introuvable sursaut politique capable de prendre des mesures courageuses et visionnaires, une tragédie en quatre actes, au dénouement encore incertain, est enclenchée. Une implacable logique, pseudo-rationnelle et certainement pas raisonnable, pour administrer le désastre climatique et en faire le récit apparaît désormais clairement. Il est temps de la stopper.
Acte I – Déclarer forfait et déposer armes et bagages
L’objectif de l’Accord de Paris de maintenir en deçà de 2°C l’augmentation de la température moyenne au cours du siècle, sans même évoquer celui de 1,5°C, ne pourra pas être tenu en l’état actuel des décisions politiques. Un concert de voix de plus en plus nombreuses, les mêmes souvent qui avaient célébré sans retenue l’accord de la COP21, déclare forfait et dépose armes et bagages : l’objectif ne sera pas respecté et il faudrait donc l’enterrer. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) ne baisseront pas suffisamment et il faudrait accepter cette « réalité ».
Acte II – Les limites de la « capture » naturelle du CO2
Point final ? Non, car si on ne peut pas faire baisser les émissions, il reste à les compenser et à développer les « émissions négatives ». On parlera de neutralité carbone ou d’émissions nettes. L’article 4 de l’Accord de Paris a tenté d’en préciser la signification en fixant pour objectif « zéro émission nette ». Ajouter « net » à un objectif de réduction d’émission dénature l’objectif initial. La lutte contre le réchauffement climatique est réduite à la maîtrise d’un élément séparé, le carbone, et l’on parle de neutralité carbone en se reposant sur une comptabilité des émissions réelles, des « émissions évitées » (compensation) et des « émissions négatives » (capture). Le plan climat de Nicolas Hulot, présenté en juillet 2017, a ainsi substitué un objectif de neutralité carbone d’ici à 2050 aux habituels objectifs de réduction de 80 à 95 % des émissions de gaz à effet de serre.
Les « émissions négatives » résultent d’une capture et d’un stockage des GES, une fois qu’ils sont relâchés dans l’atmosphère. Or les puits de carbone « naturels », qui assurent cette tâche, se dégradent : les tronçonneuses et les incendies font reculer les forêts qui absorbent un tiers des émissions anthropiques, tandis que le réchauffement réduit la capacité des océans à dissoudre le CO2 alors qu’ils captent un quart de ces mêmes émissions. Soumis à un réchauffement climatique intense, ces puits de carbone, auquel on peut rajouter le pergélisol, ne donnent aucune garantie quant à leur capacité de capture et stockage à long terme. Enfin, la conversion des terres et forêts en puits de carbone pour absorber les émissions fait fi des immenses besoins de terres et forêts pour assurer une alimentation saine pour la population mondiale.
Acte III – Réfracter les rayons du Soleil, ensemencer les océans
Il reste alors la géo-ingénierie, avec deux techniques essentielles mises en avant : le management des radiations solaires (SRM) par pulvérisation d’un nuage à base de sulfates qui réfracterait les rayons solaires et l’ensemencement des océans pour accélérer leur capacité de capture du carbone. Un moratoire, adopté par les Nations unies en 2010 lors d’une réunion de la Convention sur la diversité biologique, interdit l’utilisation de ces techniques.
Acte IV – La même logique implacable et meurtrière que celle des armes nucléaires
Mais les États-Unis, qui n’ont pas signé cette convention internationale, se posent désormais comme chefs de file et pays hôte pour des expérimentations, notamment en matière de management des radiations solaires. La Russie et la Chine sont également dans les starting blocks. Un plan B qui s‘accorde parfaitement avec la stratégie de Donald Trump, qui entend résoudre les problèmes du monde par des murs de protection ! Le recyclage des dits « climatosceptiques » dans la géo-ingénierie ne date pas d’hier, mais la nomination de l’ancien directeur d’Exxon Rex Tillerson comme secrétaire d’État, les a installés au pouvoir ou dans ses coulisses. Le climatoscepticisme des conseillers actuels de la Maison-Blanche est l’autre nom du refus délibéré de limiter la production et la consommation des énergies fossiles. La science est, selon ces « sceptiques », une affaire d’idéologie. La géo-ingénierie tombe à pic .
Ainsi, une centaine de scientifiques et des entrepreneurs, sous l’égide de l’université d’Harvard et avec le soutien financier de la fondation de Bill Gates notamment, ainsi que celui de l’industrie spatiale, vont réaliser une expérience à ciel ouvert en 2018, en Arizona, afin d’évaluer les coûts, les bénéfices et les risques du contrôle des radiations solaires. Ces risques sont pourtant déjà bien documentés. Un des leaders de l’expérience de Harvard, Franck Keutsch, parle à ce propos de « terrifying prospect », « projet terrifiant » qu’il espère ne pas voir utiliser à grande échelle un jour, mais qu’il faut, selon lui, développer pour la connaissance, étant donné la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons ! Cette logique implacable et meurtrière est déjà connue pour les armes nucléaires. Une autre expérimentation à ciel ouvert est prévue pour 2018 en Californie par des climatologues de l’université de Washington et des ingénieurs de la Silicon Valley pour blanchir les nuages.
Pour autant, nous aurions tort de nous focaliser sur les États-Unis. Un climat favorable a précédé ces possibilités. Notons que l’ancien assistant-chef pour le climat de l’ex-secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, Janos Pasztor, dirige la Carnegie Climate Geoingeniering Governance Initiative (C2G2) et, qu’avec d’autres « experts », ils ont affirmé pendant la C0P 23 à Bonn que « la géo-ingénierie est risquée, mais doit être explorée comme un moyen supplémentaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Ils invitent pour ce faire à ouvrir le débat au sujet de techniques dont « nous aurions besoin ». Le dernier rapport du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) est à cet égard éloquent : un chapitre entier est consacré à ces « émissions négatives » (Bridging the Gap –ch. 7, "Carbon dioxide removal"). À côté des techniques dites naturelles de capture du carbone par les sols et la forêt (qui s’appuient sur les marchés du carbone et induisent de lourds problèmes écologiques et sociaux d’utilisation des terres et des forêts), figurent les techniques de capture et stockage du carbone (CCS) et, pour la première fois dans un rapport du PNUE, les techniques de géo-ingénierie, comme le renforcement de la capacité des océans à capturer le carbone. La Corée du Sud entend précisément expérimenter cette technique en plein océan.
Dénouement - Expérimenter la géo-ingénierie à grande échelle, c’est condamner l’humanité à ne plus pouvoir en sortir
La neutralité carbone abrite une défaite politique, imaginairement compensée par des prouesses techniques, dont les effets ne sont ni maîtrisés ni maîtrisables. L’expérimentation par des perturbations provoquées engage vers l’irréversible : à supposer que la technique de contrôle des radiations solaires soit utilisée à grande échelle, sans parler des effets de domination géopolitique et de militarisation de la Terre, des perturbations du cycle hydrologique, tout arrêt de cette technique provoquerait un réchauffement fort et accéléré, à la mesure de la concentration des émissions nouvelles dans l’atmosphère. Expérimenter la géo-ingénierie à grande échelle, c’est condamner l’humanité à ne plus pouvoir en sortir.
C’est pourquoi ces expérimentations doivent cesser et le moratoire des Nations unies, obtenu dans le cadre de la Convention biodiversité, doit être renforcé et étendu à la Convention cadre sur les dérèglements climatiques ! Une vingtaine d’organisations, dont Attac France, ont interpellé les responsables de la Convention climat, les membres du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ainsi que les parties prenantes des négociations en ce sens lors de la COP23 à Bonn (voir la lettre en anglais). Plus largement, nous appelons les pouvoirs publics à prendre conscience du problème, et nous appelons la société civile et l’opinion publique à un renforcement de l’observation des projets en cours et, en cas de nécessité, à procéder à des actes de résistance et de désobéissance pour en empêcher l’aboutissement.
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