vendredi 29 décembre 2017

Quand la pomme nous prend pour des poires : la société civile se mobilise contre le système Apple (France)

source : Les Amis de la Terre
Une vague de mobilisation sans précédent se déroule en France depuis le 3 novembre 2017. Emmenée par ATTAC, qui demande à Apple - qui ne paie que 0,005% d’impôts en Europe mais qui a distribué 250 milliards à ses actionnaires depuis 2013 - de contribuer équitablement à l’effort fiscal, la campagne #iPhoneRevolt réunit plusieurs ONG dont le Réseau de Résistance à l’Agression Publicitaire et les Amis de la Terre. Les Amis de la Terre dénoncent une politique sociale et environnementale opaque et surévaluée et demandent notamment qu’Apple produise des smartphones durables et réparables, publie la liste exhaustive des sites d’extraction des métaux dans sa chaîne d’approvisionnement et s’engage à recycler l’intégralité des métaux contenus dans ses produits. Enfin l’association Halte à l’Obsolescence Programmée a porté plainte contre la marque mercredi 27 décembre.

Actions directes, plainte : une mobilisation importante de la société civile

"Apple paye 0,005% d’impôt. Et vous ? " c’etait un des messages peints par ATTAC 44, le GIGNV et les Amis de la Terre Loire-Atlantique sur la vitrine d’Apple le 2 décembre à la galerie commerciale de Nantes Atlantis. Au même moment, à Paris, l’Apple store d’Opéra était occupé pendant plusieurs heures par les militants d’ATTAC avec la présence de Khaled Gaidji, administrateur du Réseau à l’Agression Publicitaire et d’Alma Dufour, chargée de campagne sur les modes de production et de consommation responsables aux Amis de la Terre-FranceUne trentaine d’actions directes dans le cadre de la campagne d’ATTAC #Applepayetesimpôts ont eu lieu dans toute la France le samedi 2 novembre. Après les révélations des Paradise Papers, dans lequelles la firme de Cupertino est lourdement impliquée, cette mobilisation a su opportunément rappeler l’entreprise au bon souvenir des citoyens européens. Le lendemain, Apple a ainsi annoncé qu’elle verserait les 13 milliards d’amende que la Commission européenne lui somme de payer à l’Irlande sur un compte bloqué en attendant le résultat de son appel. Néanmoins, la multinationale refuse toujours de retirer ce dernier ou de publier un reporting pays par pays de ses activités[1].
Pas d’engagement non plus sur le volet environnemental et notamment sur la surexploitation des ressources non renouvelables, exacerbée par une politique de recyclage quasi-inexistante et des pratiques d’obstruction à la réparation agressives et d’obsolescence programmée. Apple a notamment admis le 20 décembre que l’installation du nouveau système d’exploitation IOS 11.2 sur les anciens modèles SE, 6, 6S et 7 ralentissait ces derniers, à une période correspondant à la sortie de l’iPhone 8 ! Obligée de sortir de son silence suite à des plaintes déposées aux États-Unis et en Israël, elle a avancé une justification pour le moins douteuse : le ralentissement serait imposé afin de préserver les batteries lithium-ion de ces modèles susceptible d’arrêt brutal [2]. Pourquoi l’entreprise n’a -t-elle donc pas pris la peine d’en informer ses clients avant que le tollé n’éclate ? Pourquoi ce problème n’apparait pas sur les batteries des concurrents ? Et surtout pourquoi est-elle la seule marque dont les anciens modèles connaissent de forts pics de ralentissement au moment de la sortie de la nouvelle version ? L’association Halte à l’Obsolescence Programmée a décidé de porter plainte au titre du délit d’obsolescence programmée introduit par la loi de Transition énergétique pour la croissance verte, ce mercredi 27 décembre, et appelle les consommateurs français à manifester les problèmes qu’ils ont rencontré avec leur propres appareils[3].

La stratégie d’Apple : reverdir son image pour détourner l’attention des véritables impacts financiers, sociaux et environnementaux de son activité.

Apple s’est engagée ces dernières années dans une politique d’amélioration de son impact environnemental et social, qu’elle valorise intensément auprès de la société civile et des média. L’entreprise mise énormément sur une image lisse et sympathique qui générerait, à elle seule, plus de 150 milliards de sa valeur boursière[4].
Contrainte par le Dodd Franck Act de 2010 d’identifier son approvisionnement en or, tungstène, tantale et étain ("minerais du conflit") en provenance de République démocratique du Congo et des États limitrophes, elle a pris le parti de cette obligation pour se distinguer de ses concurrents en publiant la liste des fondeurs/affineurs impliqués dans sa chaîne et en étendant un programme similaire au Cobalt (non concerné par la réglementation)[5].
Elle a surtout lancé le développement en propre et par ses fournisseurs de 4 Gigawatt d’énergies renouvelables d’ici 2020[6]. Un programme qui devrait lui permettre de diminuer de 30% les émissions de CO2 liées à la fabrication, qui représentent 77% de l’impact climatique total de ses produits. Un effort louable que l’entreprise cherche néanmoins à survaloriser en jouant, comme toujours, sur la séparation juridique entre ses propres installations et celles de ces fournisseurs. Ainsi, un tout autre chiffre est mis en avant sur le site : "96 % de l’électricité alimentant nos installations mondiales provient de sources renouvelables", malheureusement repris tels quels par certains médias[7] alors qu’il concerne en réalité les bureaux, les magasins et les centres de données Apple et non la vraie source de consommation énergétique : les sites d’extraction, d’affinage, de fabrication et d’assemblage, qui ne sont pas gérés directement par la marque !
Enfin, la multinationale a annoncé cette année, l’objectif de recycler 100% des métaux contenus dans ses produits à un horizon non défini[8].
Un ensemble d’engagements apparemment responsables, lui permettant indéniablement de se distinguer de ses concurrents de l’électronique[9]. Mais "au pays des aveugles, les borgnes sont rois" comme nous l’expliquions à RTL le 3 novembre dernier [10].

La réalité : la non redistribution de la valeur aux travailleurs et aux États et l’épuisement rapide des ressources naturelles

Si Apple fait mieux que ses concurrents, elle jouit d’une puissance financière sans commune mesure avec ces derniers. Il s’agit ainsi de l’entreprise qui a réalisé le plus de bénéfices au monde en 2016 [11], notamment grâce à une pression forte sur les coûts d’approvisionnement et la pratique particulièrement agressive de l’évasion fiscaleLa main d’œuvre d’assemblage ne représente ainsi que 7 euros sur le coût d’un iPhone 8 [12]. Une stratégie qui donne lieu à des dérives dénoncées régulièrement par des syndicats de travailleurs chinois, les ONG et certains médias [13]. Pour la production de l’iPhone X, la multinationale, par ses propres choix stratégiques, a directement été à l’origine des cadences infernales qui ont été imposées aux ouvriers cet été[14]. Une réalité très éloignée de l’image d’un dialogue constructif avec les fournisseurs que la multinationale souhaite renvoyer. En 2014 Apple a payé 0,005% d’impôts sur les bénéfices réalisés sur les ventes en Europe, en Afrique et en Inde, alors qu’elle distribue annuellement 40 milliards en dividendes et rachat d’actions à ses actionnaires. Ce qui en fait la société rémunérant le mieux le capital au monde [15] !
Les Amis de la Terre ont décidé de rejoindre la campagne iPhoneRevolt, considérant que la crise environnementale, le changement climatique et la justice sociale sont intimement liés. Sans une politique de redistribution plus juste de la valeur le long de la chaîne d’approvisionnement, permettant de faire face aux coûts d’une production préservant les écosystèmes et les droits humains, les plans de vigilance des multinationales resteront des coquilles vides [16].
Que valent, en effet, les plans mis en place pour identifier et maîtriser les risques d’approvisionnement en minerais du conflit et en cobalt de République Démocratique du Congo, alors que l’entreprise ne publie toujours pas la liste des mines impliquées ? Le reportage Cash Investigation sur les Paradise Papers [17] nous a appris que le géant suisse de l’extraction minière, Glencore, a versé au Président de RDC et à ses proches, une centaine de millions d’euros afin d’être exonéré du droit d’entrée de l’exploitation de la plus grande mine à ciel ouvert du pays. Droit d’entrée de 500 millions, l’équivalent du budget annuel de la santé de ce pays. Or, cette mine fait partie des fournisseurs de cobalt pour les iPhones. Il s’agit ici d’une mine industrielle, relativement sécurisée et non d’une des mines artisanales, aux conditions de travail et de sécurité proprement effrayantes, qui fournissent encore des métaux pour les produits Apple. C’est dire toute l’importance des enquêtes de terrain dans ce domaine et la virtualité des mesures mises sur la table jusqu’ici.
De la même manière,l’entreprise verdit son image en développant les énergies renouvelables par le biais de la génération de 2,5 milliards d’obligations vertes. Cet emprunt, un des premiers de cet ampleur a su opportunément être valorisé auprès des médias lors de la décision de Donald Trump de sortir de l’accord de Paris. Mais alors que l’entreprise dispose de 250 milliards de trésorerie, cette somme fait pâle figure à côté des impôts qu’elle aurait dû payer aux États : entre 1 et 2,7 milliards d’impôts rien que pour la France et 16 milliards en Europe sur la période 2002-2016[18] ! Or, une partie de ces montants pourraient être employés à développer des solutions pour la transition énergétique et la solidarité pour l’adaptation aux changement climatique des pays les plus pauvres.
Du tour de passe-passe financier on passe clairement au green washing s’agissant du programme de recyclage. Il s’agit en effet d’un simple effet d’annonce à ce jour. Aucun objectif chiffré, aucun plan d’investissement et le ciblage de 3 métaux sur la soixantaine composant ses produits ! Alors que l’entreprise continue de sortir un modèle d’iPhone tous les ans et fait obstruction à leur réparation et qu’il est désormais avéré qu’elle les ralentit volontairement. Le robot Liam capable de démonter 2 million d’iPhones par an alors que l’entreprise en vend 200 million fait lui aussi figure d’attirant trompe l’œil.
Depuis 1972, la menace du changement climatique est identifiée et fait l’objet de politiques publiques et de négociations internationales. Mais l’objectif de limiter le réchauffement climatique à deux degrés sera probablement non atteint avec pour effet immédiat, la paupérisation de plus de 100 millions de personnes supplémentaires d’ici 2030 [19]. Il n’y a plus que 10 à 60 ans de réserves exploitables pour la plupart des métaux stratégiques [20] Plus de 40 000 enfants travailleraient dans des mines dans le monde, et le secteur extractif concentre à lui seul près d’1/3 des violations des droits humains commises par des entreprises dans le monde [21] .
La situation est grave, il n’est pas insensé de demander que l’entreprise la plus riche du monde cesse ses tours de passe-passe et assume enfin le vrai coût de la justice climatique et environnementale !
[3] Halte à l’Obsolescence Programmée, décembre 2017, Hop porte plainte contre Apple pour obsolescence programmée
[4] Résistance à l’agression publicitaire, octobre 2017, Les dérives publicitaires de la marque à la pomme
[5] Apple, mai 2017, Specialized disclosure report
[7] Business France, juin 2017, Apple is borrowing $1 billion to fight climate change ; Génération nouvelle technologie, mai 2017, Apple est passée à 96% d’utilisation d’énergies renouvelables dans le monde entier
[9] Greenpeace, octobre 2017, Guide to Greener Electronics
[11] Fortune, Fortune 500 2016
[13] Basta, septembre 2016 Derrière l’iPhone d’Apple : quatorze années de violation des droits des travailleurs en Chine
[14] Slate, novembre 2017, Des lycéennes chinoises ont travaillé 11 heures par jour pour produire l’iPhone X
[16] Cash Investigation, Novembre 2017, « Paradise Papers » : Au cœur d’un scandale mondial
[17] Les Amis de la Terre France et Action Aid- Peuples Solidaires, octobre 2017, Fin de cavale pour les multinationales ? D’une loi pionnière en France à un traité à l’ONU
[18] Attac, novembre 2017, Apple : le hold-up mondial
[19] Banque Mondiale, Plus de 100 millions d’êtres humains pourraient continuer d’échapper à la pauvreté grâce à un effort immédiat en faveur d’un développement respectueux du climat
[20] US Geological Survey, 2017, Mineral Commodities Summaries 2016
[21] UNICEF, 2012, Children’s rights and the mining sector

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