samedi 21 mai 2016

L’incertitude plane sur l’accord UE-Canada

Exclusif. La Bulgarie et la Roumanie se montrent réticentes face à une ratification de l’accord UE-Canada, le CETA, à cause du refus d’Ottawa d’exempter leurs citoyens de visa.
La Bulgarie a rejoint la Roumanie – qui avait déjà indiqué vouloir opposer son véto à l’accord économique et commercial global (CETA) – pour exprimer sa déception face à la promesse non tenue d’Ottawa de libéraliser les visas pour les citoyens des deux pays européens. Pour ces derniers, c’est un moyen de faire pression sur Ottawa, la Commission et les États membres.
Le CETA a été conclu en 2014 et, selon la commissaire en charge du commerce, Cecilia Malmström, il s’agit du meilleur accord commercial jamais passé par l’UE. Il doit à présent être signé et ratifié.
Le Canada applique un régime d’exemption de visa avec tous les pays de l’UE sauf la Roumanie et la Bulgarie. Ottawa avait promis de résoudre le problème dans la déclaration du sommet UE-Canada de 2014, mais n’a pas tenu sa promesse. Les États-Unis exigent également un visa aux citoyens de Bulgarie, Roumanie, Pologne, Croatie et Chypre. La seule différence est que le CETA a déjà été conclu alors que le TTIP est toujours en cours de négociations.
Réciprocité
Dans une lettre commune, consultée par EurActiv, les ambassadeurs bulgare et roumain auprès de l’UE, Dimiter Tzantchev et Luminita Odobescu, affirment qu’ils sont déçus par la stratégie de la Commission dans le cadre du mécanisme de réciprocité intégré à la loi européenne en matière de visa.
Un règlement, en vigueur depuis le 20 décembre 2013, impose aux pays de l’Union d’agir de concert sur la question des visas. Notamment pour les cas de pays tiers qui soumettent les citoyens européens à une différence de traitement selon leur pays d’origine.
Néanmoins, le collège des commissaires s’est réuni le 12 avril et a décidé que si l’UE imposait des visas au Canada et aux USA, les conséquences seraient si terribles que la règle de réciprocité était impossible à appliquer. Selon le droit européen, l’exécutif avait jusqu’au 12 avril pour dire comment les États membres devraient réagir lorsqu’un pays étranger soumet les citoyens européens à des traitements différents.
Au lieu d’émettre un acte délégué et d’introduire des visas pour les citoyens canadiens voyageant en UE, la Commission a envoyé le débat au Conseil et au Parlement européens.
La Bulgarie et la Roumanie sont engagées dans un gros travail de lobbying pour défendre leur position devant la Commission, les États membres et la présidence néerlandaise du Conseil de l’UE. Parallèlement, des contacts ont été établis de manière intensive avec les autorités canadiennes, mais il semblerait que Sofia et Bucarest aient été déçus de ces échanges.
« Nous espérons que la Commission mettra en place les règlements et dispositions nécessaires pour sauvegarder le traité et les principes fondamentaux d’égalité et de non-discrimination envers les citoyens européens », ont écrit les ambassadeurs.
Les diplomates expliquent que leurs pays ont eu de nombreux contacts avec les autorités canadiennes sans pour autant se rapprocher d’une solution. EurActiv a appris que le Canada aurait même rendu le problème encore plus complexe en faisant le lien avec la manière dont les pays protègent leurs frontières, la situation des minorités ou les procédures d’obtention de passeports.
Les écueils persistent
Le statut juridique du CETA est en outre encore discuté. Relève-t-il de la compétence exclusive de l’Union européenne ou comporte-t-il des dispositions demeurant de la compétence des États membres ? Dans le premier cas, il pourra être mis en œuvre dès l’approbation du Conseil européen, sans attendre la ratification dans les 28 capitales. Dans le second cas, les dispositions de compétence communautaire pourront être mises en œuvre sans attendre ; tout le reste attendra la validation des parlements nationaux.
La Commission européenne a saisi la Cour de justice de l’UE pour obtenir son avis concernant le statut juridique d’un autre accord en phase de ratification, celui entre l’UE et Singapour, qui traite des mêmes matières que le CETA. Étant donné la longueur du processus, la Commission ne semble cependant pas vouloir attendre l’avis de la Cour.
« Il serait très difficile pour les gouvernements de Bulgarie et de Roumanie de trouver des arguments de promotion du partenariat stratégique entre le Canada et les États membres de l’UE, alors que le Canada continue à imposer un traitement discriminatoire à nos citoyens, sur la base de critères flous et changeants », poursuivent les ambassadeurs.
Les diplomates demandent à leurs homologues des 26 autres États européens de « retarder la discussion », parce qu’« il est très difficile pour nous d’aller vers l’adoption de cet accord en ce moment ».
L’intention de la présidence néerlandaise est d’envoyer un texte pour l’accord CETA au Conseil d’ici fin juin. Le processus de ratification par les États membres commencerait sans doute à ce moment. Ce n’est pas encore 100 % sûr, car y a encore des discussions pour savoir si l’accord est entre les États membres et le Canada ou entre l’UE et le Canada.
Un sommet UE-Canada est prévu pour le 27 octobre. Cependant, en l’absence d’un accord sur la question des visas, la rencontre pourrait être retardée.
Signature en octobre ?
La question a été discutée le 13 mai au Conseil des Affaires étrangères, qui prévoyait de faire un point sur les négociations du TTIP et du CETA, dans le but de signer l’accord en octobre.
Durant la réunion, Dimiter Tzantchev a informé quelques journalistes de la situation. « La position de la Bulgarie est claire. Nous considérons que le camp canadien doit donner la preuve d’un engagement politique fort pour résoudre le problème de la libéralisation des visas, dans des délais clairement définis. Je ne vois pas comment les citoyens et entreprises bulgares pourraient bénéficier du CETA si les visas sont toujours d’actualité », a-t-il indiqué.
Le processus de ratification du CETA ne se fera pas en un jour, rappelle l’ambassadeur. « Cela pourrait prendre deux ans. Dans ce contexte, nous devons établir un calendrier clair de libéralisation des visas pour les citoyens bulgares et roumains », insiste-t-il.
L’ambassadeur n’est cependant pas pessimiste et explique à EurActiv ce qu’il attend du sommet du 27 octobre. « Nous espérons un signal fort pour le lancement du processus du CETA. On parle également d’une entrée en vigueur rapide de l’accord, c’est un sujet qui doit être discuté dans les semaines et mois à venir. À ce jour, je ne peux pas dire si le sommet sera un échec, parce que tout dépendra de la réaction du Canada », assure-t-il.
Sofia a reçu un soutien solide de la Croatie lors des négociations, a par ailleurs révélé Dimiter Tzantchev.
La Bulgarie a également soulevé la question de la libéralisation des visas dans le contexte des négociations du TTIP.

RÉACTIONS

Dans un communiqué joint, les Amis de la Terre et AITEC, l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs, s’interrogent sur le manège juridique de la France en ce qui concerne le CETA.
Pour Amélie Canonne, de l'Aitec, « la morale de l’histoire c'est que le droit n'a aucun mal à s'effacer derrière le politique quand celui-ci affiche assez de détermination. Les États membres doivent cesser de se cacher derrière Bruxelles ; ils peuvent parfaitement prendre leurs responsabilités et refuser les conditions qui leur sont imposées, en refusant par exemple toute application du traité avant que leurs Parlements n'aient donné leur aval. »
« La France aurait notamment milité pour la reconnaissance du caractère mixte de l'accord. La prochaine étape consistera donc à déterminer quelles dispositions relèvent de la compétence exclusive de Bruxelles, et celles qui sont mixtes. Au cœur du débat : le chapitre 8 sur l'investissement, comportant le mécanisme controversé d'arbitrage des investissements, qui, s'il est de compétence européenne, permettrait aux entreprises canadiennes d'attaquer la France devant un tribunal arbitral, et ce, même si Parlement français rejetait le traité ultérieurement », expliquent les deux associations. « Le gouvernement [français] a multiplié ces dernières semaines les déclarations hostiles au TTIP. Il doit maintenant respecter sa propre logique et refuser toute mise en application provisoire du CETA en catimini, dans le but d'engager un vrai débat citoyen. »
Nicolas Roux, des Amis de la Terre confirme : « c'est une preuve de plus de la mauvaise foi de Bruxelles et de notre gouvernement. Fragmenter le traité en morceaux qui seront traités séparément par le Parlement, sans compréhension de la portée globale du texte, selon un calendrier inintelligible, c'est le meilleur moyen de faire accepter n'importe quoi à nos élu-e-s. Ce micmac qui nous est proposé démontre que la Commission et le gouvernement manipulent le droit pour légitimer ce qui les arrange ».

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