Nickel, le compte sans banque qui affole les compteurs
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Frédéric Cazenave
Au tabac presse Nationale, dans le 13e arrondissement de Paris, Monique Rod est intarissable. « Le compte Nickel ? Cela rend service aux gens qui sont dans la panade. Sinon, ils n’auraient pas de carte de paiement ou de moyen pour se fairevirer de l’argent », explique la gérante, dont la boutique permet – comme 1 550 buralistes en France – d’ouvrir ce compte bancaire un peu particulier.
Particulier, car il fonctionne justement sans banque. Il suffit de 20 euros, de fournir un numéro de téléphone portable et de scanner sa pièce d’identité sur une borne, pour ressortir avec sa carte de paiement et son relevé d’identité bancaire. Nul besoin de montrer patte blanche en justifiant d’un niveau de ressources, ou d’un dépôt minimum. Pour alimenter sa carte, deux options : effectuer un virement depuis Internet ou déposer du liquide au bureau de tabac.
Impossible de tomber dans le rouge
Une formule à succès, puisqu’un 300 000e client s’est enregistré ce mercredi 25 mai, vingt-sept mois après l’ouverture du service en février 2014. « C’est très utile pour les interdits bancaires, pour ceux dont la carte est bloquée et qui doivent aller au guichet de leur banque pour retirer quelques euros. Cela leur évite d’être stigmatisés », souligne Maxime Pekkip, chargé de mission à l’association Crésus, un réseau national de prévention et d’accompagnement des ménages surendettés.
Ce dernier y voit un autre intérêt : les découverts n’étant pas autorisés, impossible de tomber dans le rouge, synonyme d’importants frais bancaires. En cas de prélèvements, le titulaire est même prévenu par SMS si son compte est insuffisamment crédité. « Les incidents de paiements sont un gouffre pour les particuliers fragiles financièrement, souligne Hugues Le Bret, l’un des fondateurs du compte Nickel. Avec notre service, vous ne pouvez pas dépenser plus que ce dont vous disposez. »
Puissant bouche-à-oreille
Il s’ouvre actuellement 20 000 comptes Nickel par mois. « Ce succès montre que toute une frange de la population se contente d’un produit simple, épuré, avec le strict minimum. Séduite aussi par l’absence de frais cachés », note Julien Maldonato, directeur conseil industrie financière chez Deloitte. Au premier trimestre, la jeune société a ainsi fait jeu égal avec Boursorama, la banque en ligne de la Société générale, qui a annoncé avoir recruté 60 000 nouveaux prospects. Certes, ce n’est pas la même typologie de clientèle. « Mais lorsqu’une banque en ligne dépense 220 euros en moyenne en frais et marketing pour acquérir un client, cela nous coûte moins de 20 euros », s’amuse M. Le Bret, qui, dans une vie pas si lointaine, officiait à la direction de la communication de… la Société générale.
En fait, le compte Nickel bénéficie d’un puissant bouche-à-oreille, de fortes retombées médiatiques, notamment dans la presse régionale, et surtout d’un trafic naturel de clients potentiels, tous ceux qui se rendent dans un bureau de tabac. Les buralistes, eux, ont tout intérêt à en faire la promotion. A chaque souscription, ils touchent 3 euros et perçoivent ensuite une commission lors de tout dépôt ou retrait d’espèces. Ou comment transformer les gérants de tabac en banquier…
LA VIVECROISSANcE DU NOMBRE D’UTILISATEURS ET LEUR TYPOLOGIE MONTRENT QUE CE SERVICE DÉPASSE MAINTENANT LE CADRE DES PERSONNES EN DÉLICATESSE AVEC LEUR BANQUE
Selon les calculs de l’entreprise, une boutique ouvrant un compte tous les deux jours réalisera, au bout de trois ans, de 8 % à 10 % de ses revenus grâce à cette nouvelle activité. « Cela ne sauvera pas un tabac en difficulté, tempère Mme Rod, qui a déjà plus de 1 500 comptes à son actif. Mais c’est un petit plus appréciable, et cela amène de nouveaux clients, qui en profitent pour acheter des cigarettes, un journal, faire un Loto… »
La vive croissance du nombre d’utilisateurs et leur typologie montrent que ce service dépasse maintenant le cadre des personnes en délicatesse avec leur banque.« Un tiers de nos clients sont plutôt aisés et s’en servent notamment pour faire des achats sur Internet. La part des opérations réalisées à l’étranger augmente aussi », précise M. Le Bret.
Au dernier pointage, 45 % des clients sont salariés, 30 % demandeurs d’emploi et 14 % artisans, commerçants ou professions libérales. Les parents en ouvrent même pour leurs enfants. L’offre 12-18 ans, lancée en octobre 2015, représente actuellement 4 % des souscriptions. « La clientèle évolue, confirme Mme Rod. Au début, il s’agissait principalement de marginaux, de sans-domicile fixe ou de personnes parlant mal le français, ce qui nous demandait de leur consacrer un peu de temps pour les aider à comprendre la procédure. Aujourd’hui, c’est nettement moins le cas. »
La direction vise 500 000 clients d’ici à la fin de l’année
Pratique et utile pour une partie de la population, est-ce économiquement intéressant pour tous, sachant que chaque débit est facturé entre 0,5 euro (au tabac) et 1 euro (dans un distributeur) ? « Nos clients les plus actifs paient en moyenne entre 40 et 60 euros de frais annuels et bénéficient d’une carte de paiement à l’international. Cela leur coûterait grosso modo la même chose dans l’établissement traditionnel le moins cher, mais avec une carte de base. Surtout, ils sont certains, avec nous, de ne pas se voir facturer des frais supplémentaires », argumente M. Le Bret. Petits bémols toutefois pour les amateurs, certains péages d’autoroute et parkings peuvent refuser la carte, et il est impossible de s’en servir pour louer une voiture si le montant de la caution n’est pas provisionné sur le compte.
Des petits désagréments qui ne sont pas de nature à brider la croissance de l’entreprise, qui emploie 81 personnes et devrait réaliser environ 19 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016. La direction compte même encore accélérer le tempo, et vise 500 000 clients d’ici à la fin de l’année.
Pour cela, elle va continuer à investir pour déployer de nouveaux points de vente – 2 300 buralistes prévus avant fin décembre –, lancer une application Android et iOS, permettre le paiement par SMS entre clients, avant de s’attaquer au marché des toutes petites entreprises. « Nous avons l’agrément de l’autorité de contrôle et les développements techniques sont fin prêts. Nous commencerons à diffuser cette offre fin 2016 », annonce M. Le Bret. Sa promesse ? Etre plus simple, plus réactif que les banques et… trois fois moins cher.
Lire aussi : Les tarifs bancaires en hausse en 2016
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