Irak - La ville irakienne de Tikrit, un an après la reconquête
Un des sept palais de Saddam Hussein à Tikrit, photographié en 2015.RFI/Angélique Férat
Tikrit a été « libérée » il y a un an. La ville de Saddam Hussein, où il avait fait construire pas moins de sept palais, était tombée aux mains de l’organisation Etat islamique en juin 2014, avec la complicité des tribus albu ajil et albu nasser. Sa reconquête par la mobilisation populaire avait remonté le moral des autorités irakiennes en mal de résultats. Les milices chiites, ces volontaires venus renforcer l’armée, avaient pris le contrôle de la ville. Mais très vite, des récits de pillages, incendies et lynchages avaient fuité.
De notre envoyée spéciale à Tikrit,
Dès les premiers kilomètres à la sortie de Bagdad, des bâtiments brûlés ou effondrés rappellent la violence des combats qui ont eu lieu aux portes même de la capitale irakienne pour défendre Taji et al-Balad. Mais la route est rouverte aux automobilistes, plus besoin de permis spécial ou d’escorte pour se rendre dans la capitale régionale de Salaheddine.
Les 150 kilomètres se déroulent sans problème. Restent tout de même quelques check-points et surtout, les milices chiites ont installé des campements tout le long de la route. Ici, les Brigades de la paix du mouvement de Moqtada al-Sadr ; ici, le groupe Badr d'Hadi al-Ameri. On trouve encore les Soldats de l’imam ou les Brigades de l'imam Ali. Ils ont pavoisé la route de drapeaux de l’imam Hussein, drapeaux noirs ou images qui flottent au vent.
Dès la célèbre porte de Tikrit, où trône une réplique de la mosquée al-Aqsa, on bute sur un contrôle de police. Seuls les habitants de Tikrit peuvent rentrer. Sinon, il faut expliquer qui on est, et qui on va voir.
La vie suit son chemin
Au bord des routes, il reste bien des voitures brûlées et rouillées. Le quartier des palais de Saddam Hussein est un amalgame d’herbes folles et de façades écroulées. Au pied de ce quartier a été érigé un mausolée en souvenir du massacre d’un millier de recrues de l’armée.
Le groupe EI a kidnappé et tué des centaines de jeunes gens, apparemment au seul motif qu’ils étaient chiites et dans l’armée. Plusieurs fosses communes ont été trouvées entre les palais de l’ancien dictateur irakien. Mais la ville, le cœur de Tikrit, a repris vie. Les rues ont été asphaltées, finis les trous d’obus ou les fuites d’eau qui inondaient les carrefours.
Ce professeur des écoles fait ses courses normalement, comme tous les jours, dit-il : « Lorsque j’ai quitté Tikrit en juin 2014, je ne pensais pas revoir ma maison debout, ni que la ville pourrait être remise en état aussi vite. Ce n’est pas fantastique, mais on a de l’eau, l’électricité fonctionne partout, même si on a seulement quatre heures d’électricité par jour. Les rues sont refaites, les écoles fonctionnent, les administrations fonctionnent. C’est, on va dire, tout à fait correct. »
Multiplication des enlèvements
Les badauds sont tous d’accord, la vie a repris et, quand votre maison n’a pas été détruite, la vie est tout à fait possible à Tikrit. Mais personne n’a d’argent : ni le gouvernorat pour reconstruire - il y aurait besoin de 200 millions de dollars pour la reconstruction -, ni les habitants - les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis cinq mois, l’Etat est en quasi faillite.
La lutte armée contre l’EI et la chute du prix du baril de pétrole, principale ressource de l’Irak, ont vidé les caisses de l’Etat irakien. Depuis un mois, les enlèvements se multiplient ; le responsable de la sécurité au gouvernorat nous assure que ce sont uniquement des enlèvements pour l’argent. Rien de politique, assure-t-il. Les gens ont besoin d’argent, alors ils ciblent ceux qui en ont.
Mais certains habitants de Tikrit, qui ne sont pas rentrés, parlent aussi de disparitions. Un imam aurait disparu une semaine après son retour. Un cheikh exilé accuse la mobilisation populaire, ces groupes de volontaires qui ont pris les armes pour combattre Daech et aider l’armée irakienne, d’être à l’origine de ces disparitions. Ils financeraient ainsi leurs salaires, le gouvernement ne les ayant pas payés depuis des mois.
Une région loin d'être pacifiée
Et si quasi toute la population de Tikrit est rentrée, ce n’est pas le cas dans les campagnes alentour. La moitié des habitants est de retour seulement. Une tribu n’est pas rentrée, celle des Albou Nasser, soit 15 000 personnes. Plusieurs villages sont vides : Iasreb, al-Awja, le village de Saddam Hussein, Solemanbek.
Peur, inquiétude, la confiance n’est pas au rendez-vous. La mobilisation populaire a prévenu certains de ne pas rentrer. Pourtant, les tribus ont fait le serment de donner aux autorités quiconque a aidé ou collaboré avec l’organisation Etat islamique.
Enfin, la région est loin d’être pacifiée. Autour de Beiji, la raffinerie, sa ville, les combats contre l’EI continuent. Et maintenant, les Kurdes et la mobilisation populaire se battent entre eux. A Toz Kormatu, il y a eu des affrontements violents cette semaine. Ville multi communautaire, elle voit aujourd’hui les deux alliés d’hier régulièrement s’affronter pour son contrôle.
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