Déboires en matière de vie privée : le règlement de l’« historique de localisation » par Google
Par Binoy Kampmark − Le 17 novembre 2022 − Source Oriental Review
via le Saker Francophone
L’échelle est colossale : ce sont les procureurs généraux de pas moins de 40 États des États-Unis qui se rassemblent pour accuser Google de duper ses utilisateurs. Cette fois-ci, les poursuites sont centrées sur la pratique consistant à laisser penser aux utilisateurs qu’ils ont bien débrayé la fonction de suivi du positionnement géographique depuis leur compte, alors que la société continue de collecter des données à leur sujet.
Le règlement à 391,5 milliards de dollars a été dirigé par Ellen Rosenblum, procureur général de l’Oregon, et Doug Petersen, procureur général du Nebraska. « Des années durant, Google a préféré ses profits à la vie privée de ses utilisateurs, », a affirmé Rosenblum. « Ils ont joué la ruse et la tromperie. Les consommateurs pensaient avoir débrayé les fonctions de suivi géographique depuis leur compte Google, mais la société a continué d’enregistrer secrètement leurs mouvements, et d’utiliser ces informations pour les annonceurs publicitaires. »
L’enquête a été déclenchée par des révélations parues dans un article d’Associated Pressremontant à 2018, « selon lequel de nombreux services Google sur les terminaux Android et sur les iPhones conservent vos données de géolocalisation même lorsque vous avez positionné un paramétrage de vie privée affirmant que Google ne le fera pas. »
Malgré les affirmations de Google selon lesquelles la fonction d’historisation de la géolocalisation pouvait être débrayée à tout moment, ce qui est censé ne plus enregistrer ces données, le rapport a découvert que ces affirmations étaient fausses. « Même avec l’historique de géolocalisation en pause, certaines applications Google conservent de manière automatisée des données de géolocalisation couplées à des marqueurs de temps, sans poser de question. (Il est possible, quoique fastidieux, de les effacer.) »Comme Jonathan Mayer, un informaticien de Princeton, et ancien chef des technologies pour la Commission Fédérale aux Communications, l’évoque : « Si vous autorisez les utilisateurs à couper une option dénommée « historique de géolocalisation », alors tous les emplacements où vous conservez un historique de géolocalisation devraient être désactivés. »
La compagnie n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi un autre paramètre des comptes Google, l’Activité Web & App, était automatiquement activée à l’initialisation de tout compte Google, même si on activait la fonction « off » dans l’historique de géolocalisation.
L’explication livrée à l’époque par Google était un exemple de verbiage peu convaincant. « Il existe plusieurs manières différentes suivant lesquelles Google peut utiliser la géolocalisation pour améliorer l’expérience des utilisateurs, parmi lesquelles : l’historique de géolocalisation, l’Activité Web & App, et le paramétrage propre à l’appareil dénomméServices de géolocalisation. » a affirmé un porte-parole de la société dans une déclaration faite à AP. « Nous livrons des descriptions claires de ces outils, et des contrôles robustes pour que les utilisateurs puissent les activer ou les désactiver, et effacer à tout moment leurs historiques. »
Depuis lors, l’approche trompeuse de la société vis-à-vis des données de géolocalisation a été considérée comme douteuse par l’Australian Federal Court. Cette affaire lancée contre Google par l’Australian Competition & Consumer Commission (ACCC), a noté que le paramètre du compte « Activité Web & App » permettait au géant technologique de récolter, de conserver et d’utiliser des informations identifiant un utilisateur lorsqu’il était activé, et que ce paramètre était activé par défaut.
Le mois dernier, Mark Brnovich, procureur général de l’Arizona, a lancé un règlement avec Google à hauteur de 85 millions de dollars, pour usage supposé de pratiques « trompeuses et infondées » au sujet du suivi de géolocalisation. Il s’agissait du résultat d’une action en justice inspirée par le rapport de 2018 par Associated Press.
Le règlement qui constitue le plus important règlement de toute l’histoire des États-Unis en matière de vie privée sur internet, énonce clairement que Google doit publier les informations au sujet de la géolocalisation de manière plus claire à partir de l’année prochaine. Des informations supplémentaires doivent être affichées aux utilisateurs lorsque le paramétrage d’un compte en lien à la géolocalisation est « activé » ou « désactivé ». Les données de suivi de géolocalisation qui sont collectées sans que cela puisse être désactivé doivent être affichées clairement, ainsi que les types de données de géolocalisation collectées par Google, et le fait que ces données sont exploitées sur « sur une page web améliorée ‘Technologies de géolocalisation' ».
Le règlement évoque également le rôle d’examen joué par les États des États-Unis qui ne sont pas satisfaits des approches fédérales laxistes envers la Silicon Valley. L’État de l’Oregon, pour citer un exemple, a institué un groupe de travail dédié à la vie privée du consommateur en 2019, et une loi sur les données en lien avec la vie privée est promise pour la session législative de 2023. Les violations de vie privée sont l’un des nombreux points centraux qui sont examinés, avec les discours nuisibles, les pratiques interdites par le droit du travail et les violations antitrust.
En réponse au règlement, José Castañeda, porte-parole de Google, a réagi suivant un cas d’école : minimiser l’affaire, et l’embrouiller dans un charabia inoffensif. « Dans la lignée des améliorations que nous avons pratiquées au cours des années récentes, nous avons réglé cette enquête, qui était basée sur des politiques de produits obsolètes, déjà modifiées il y a des années. »
L’ensemble du postulat sous-jacent à la chaîne de valeur des grandes sociétés technologiques réside dans l’utilisation des données personnelles. Celles-ci constituent le combustible fossile du monde numérique, réparties en gisements inexploités, jusqu’à ce qu’on les extraie. Les données de géolocalisation sont à cet égard inestimables, et figurent, selon les notes du département de la Justice de l’Oregon, « parmi les informations les plus sensibles et les plus précieuses que Google puisse récolter. » Un nombre limité de données de géolocalisation suffit à « exposer l’identité d’une personne et de ses habitudes, et peut être utilisé pour en déduire des détails personnels. »
Aux ignorants, et à ceux qui œuvrent en croyant la fausse hypothèse selon laquelle ils ont consenti à l’exercice, on affirme qu’ils ont affaire à des produits de la sophistication. C’est l’expérience utilisateur qui est au centre des choses, et des notions aussi abstraites que celle de la vie privée ne sont guère traitées que comme des problèmes désuets.
Les géants technologiques ont dépensé des millions, au travers de leurs armées de lobbyistes, pour se battre contre la tendance qui vise à édifier de meilleures protections de la vie privée, notablement celles qui influencent les jugements austères de la part de l’Union européenne. Les cibles clés sont le Digital Markets Act (DMA) ainsi que le Digital Services Act (DSA) de l’UE, particulièrement dans les domaines de la publicité et des accès aux données des plateformes. Ici, l’objectif, selon Natasha Lomas, consiste à « protéger leurs processus et leurs modèles d’affaires des mesures pouvant affaiblir leur puissance sur le marché. »
Selon les documents en provenance des lobbyies, récupérés par Corporate Europe Observatory et par Global Witness en usant de recours à la liberté de l’information, les géants technologiques ont dépensé 30 millions de dollars rien qu’en 2020.
Le règlement Google est peut-être l’un des plus importants de cette nature aux États-Unis, mais il ne change rien aux axiomes sur lesquels ces entreprises sont établies. Apple s’est particulièrement appliqué à déverser de l’argent sur l’initiative. L’addition du lobby est salée : 3,5 millions d’euros en 2020, et 6,5 millions d’euros en 2021. Le finaliste s’avère être Facebook (Meta), qui a augmenté d’un demi-million d’euros son budget de lobbying auprès de l’UE pour 2021. L’année précédente, le total s’établissait à 5,5 millions d’euros.
Ces tentatives montrent que les législateurs aux États-Unis, et ailleurs, ne peuvent guère se permettre l’auto-satisfaction. La bataille fait actuellement rage, et Google, pour avoir pris des coups, est loin d’être vaincue.
Binoy Kampmark
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone
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