mardi 6 septembre 2022

 Comment une photo postée sur Telegram a permis de détruire le QG du Groupe Wagner (Ukraine)

L'information est une arme et elle a de nouveau tué.

Repéré par Thomas Burgel sur Wired UK

30/08/2022 à 7h16 via Korii


On se souvient comment, il y a quelques semaines déjà, un journaliste russe avait à l'occasion d'un reportage télévisé offert aux armées ukrainiennes, sur un plateau, le placement exact d'un mortier, un 2S4 Tioulpan, qu'il leur suffisait ensuite de cibler et de détruire.

Plus récemment, et de manière relativement similaire, un journaliste polonais accusait TF1 d'imprudence mortelle: quelques informations cruciales mais non-floutées lors d'un reportage dans le Donbass auraient permis à l'artillerie russe de régler ses mires avec précision, et de tuer un soldat ukrainien, le dénommé «Keks».

Il y a quelques jours, très moqueur et souvent piquant, le compte Twitter du ministère ukrainien de la Défense remerciait un touriste russe pour son involontaire participation à l'effort de guerre ukrainien. En slip de bain et fier de sa drôle de photo-souvenir, l'homme posait aux côtés de positions anti-aériennes russes.

Kiev sous-entendait par son tweet que les informations contenues dans le cliché avaient été suffisantes pour que ses armées visent et détruisent le système russe.

Le même ministère ukrainien de la Défense peut sans doute également remercier le journaliste pro-russe qui, le 8 août dans la ville occupée de Popasna, postait fièrement sur l'application de messagerie Telegram une photo de ce qui semblait être le QG des mercenaires du tristement célèbre groupe Wagner, appelé à la rescousse par le Kremlin pour suppléer en Ukraine, avec force crimes et horreurs, ses troupes régulières.

Car le 14 août, ledit quartier général était bombardé par l'Ukraine, tuant quelques mercenaires et détruisant une partie du bâtiment. Et comme le rapportent divers média, tels l'édition britannique de Wiredou la Pravda ukrainienne, c'est bien l'analyse du cliché posté une semaine plus tôt par le fier journaliste pro-russe, sur lequel une adresse pouvait être lue, qui aurait permis l'identification précise des lieux puis leur destruction.

Ainsi que l'explique Wired, cette action ukrainienne est une preuve supplémentaire de l'importance prise par l'OSINT, l'information en open-source, dans les conflits modernes.

Des spécialistes civils en la matière, anonyme ou plus reconnus comme les renommés Bellingcat, tout comme des unités militaires ou du renseignement rodées à l'exercice, scrutent ainsi les réseaux sociaux et y décortiquent toute photo, image satellite, vidéo TikTok pour y découvrir de quelconques indices offrant autant de cruciales informations sur le plan opérationnel.

L'information qui tue

Pour ne citer que deux cas parmi une infinité, c'est également l'OSINT qui a largement appuyé l'enquête sur la destruction du vol MH17, au-dessus de la région de Donetsk en 2014, ou qui permet en ce moment-même de constater l'ampleur effrayante des camps de détention et de triage mis en place par la Russie pour filtrer les populations ukrainiennes déplacées.

«Ce que vous voyez actuellement en Russie et en Ukraine est une beaucoup plus grande quantité d'enquêtes permettant de géolocaliser des cibles, des bases, des équipements militaires», explique Jack McDonald, du King’s College à Londres, à Wired.

La population ukrainienne est appelée à contribuer à l'effort de renseignement également. L'application d'État Diia, qui permet à la population du cru de stocker divers documents officiels et lui offre de nombreux services administratifs, a par exemple été dotée d'une option nommée «e-Enemy» laissant tout un chacun transmettre la position de militaires russes.

Ces renseignements en open-source ne peuvent en revanche pas tout faire. Maggie Smith, une autre experte interrogée par Wired, explique que l'OSINT et les informations glanées sur les réseaux sociaux notamment ne font que pointer d'autres moyens plus fins et plus officiels dans une direction.

«En tant qu'officier sur le terrain, il faut être conscient de cette énorme quantité de données produite par n'importe lequel de vos soldats, à n'importe quel moment», explique la professeure du Army Cyber Institute de West Point.

Outre les photos, précieuses pour déterminer votre position, «les signaux émis par les téléphones cellulaires ou une présence sur le web peuvent donner des informations à vos adversaires sur votre emplacement, vos cycles d'entraînement, tout ce genre de choses».

Bref: quiconque participe à un conflit est désormais un grand producteur d'informations très sensibles et facilement accessibles, et leur captation par le renseignement ennemi ou par d'anonymes taupes du net peut déboucher sur un désastre.

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