vendredi 2 septembre 2022

 Annulation du régime simplifié des visas ou comment l’UE se prive d’un instrument de soft power face à la Russie

Réseau International, 2 septembre 2022 


par Karine Bechet-Golovko.

Le fanatisme est intéressant en ce qu’il conduit inexorablement à adopter des mesures, qui sont préjudiciables à leur auteur. C’est ainsi que l’atlantisme radical des institutions européennes oblige les États membres à suspendre le régime simplifié de délivrance des visas avec la Russie, faute de n’avoir pu trouver un accord pour une rupture totale et un isolement de l’Europe. De cette manière, les pays européens, en perdant le levier touristique, se prive d’un moyen particulièrement efficace de transmission des « valeurs » post-modernes, du nouveau mode de vie de l’homme seul et sans Patrie (c’est-à-dire désormais « libre »), des mouvements anticivilisationnels, bref de tout ce qui fait « l’attractivité » de l’Occident aujourd’hui et accompagne ses magasins et ses restos. Tout a un prix, la question restant de savoir qui va payer la note.

 

Les pays Baltes et certains pays de l’Est, toujours à la pointe de l’Atlantisme conquérant, demandaient la fin pure et simple des visas avec la Russie. Dans leur combat fanatique pour la réécriture de leur histoire nationale, ils sont prêts à sacrifier l’Europe, peu leur importe, ce n’est pas elle qui les attire.

À Prague, les ministres des Affaires étrangères européens se sont réunis pour en parler et, heureusement, ne sont pas parvenus à un accord de suicide collectif. Rien ne doit plus être comme avant déclare Borrell, soit, mais il n’arrive pas à comprendre comment doit être cet énième nouveau monde, sans la Russie dont on ne peut se passer, tout en restant un monde acceptable pour les pays occidentaux. Bref, les Russes, qui arrivent en Occident sont trop nombreux et présentent un danger, en soi, parce qu’ils sont Russes (si vous y voyez du racisme primaire … oui, c’est le cas), mais on doit garder contact avec les « bons » Russes, qui n’aiment pas leur pays. Eux, sont même utiles. Il ne reste que la possibilité d’un mur percé, avec un garde-chiourme au bout de chaque trou, pour vérifier le certificat de compatibilité idéologique de l’arrivant.

« Reste que l’Europe diverge sur la force des restrictions à adopter. À l’inverse des Pays Baltes, la Hongrie, l’Autriche, le Luxembourg, ou encore l’Allemagne et la France sont contre l’idée de se couper du tourisme russe, comme l’a demandé le président ukrainien Volodymyr Zelensky ».

De leur côté, la Pologne, les pays Baltes ou encore la République tchèque réduisent au maximum les visas attribués aux Russes. La Finlande déclare même que ce tourisme russe est « insupportable ». Grand bien leur en face, de toute manière ces pays ne sont pas des acteurs politiques et les radicaux russes se baladent sans problèmes à Vilnius depuis des années pour faire semblant d’exister politiquement, faute de soutien à l’intérieur du pays.

En revanche, les pays européens de l’Ouest, eh oui, cette barrière culturelle existe toujours, eux, comprennent un peu mieux ce qu’est le soft power et ne voient pas l’intérêt de couper totalement les ponts avec la Russie, ni de s’enfermer derrière un nouveau mur.

« Ces dirigeants craignent des effets pervers, en cas de fermeture de frontière. Nous ne devons pas avoir un nouveau rideau de fer en Europe », a par exemple souligné le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, ce mardi. La France considère aussi qu’il faut distinguer « les fauteurs de guerre (…) et les citoyens russes, les artistes, les étudiants, les journalistes par exemple ». Au-delà de la punition collective, certains spécialistes redoutent de tarir le soft power européen alors que les Russes peinent à avoir accès à des voix discordantes du régime : « La force de l’Union européenne, ce ne sont ni ses armées, ni ses services de renseignements, ni ses technologies : c’est sa capacité d’attraction ». »

Autrement dit, un compromis a été trouvé avec la suspension du régime simplifié des visas instauré en 2007. Les demandes seront examinées individuellement, les délais seront sensiblement allongés et les tarifs augmentés – rappelez-vous, que voyager en Europe n’est pas un droit, mais un privilège. Et les pays, qui veulent aller plus loin, tout à coup sont libres de le faire, la belle unité de l’espace juridique européen n’est plus en danger quand la cause est louable.

Cette mesure est beaucoup moins violente pour les Russes, qu’elle ne l’aurait été, il y a encore trois années de cela, l’UE a joué trop tard, il n’y aura pas d’effet de choc. Car depuis, le covid est passé, les voyages en Europe ont largement diminué, le tourisme s’est développé vers d’autres directions et le tourisme intérieur est en pleine progression. Les frontières russes restant ouvertes avec la très grande majorité des pays dans le monde, sans entraves, l’Europe ne peut pas enfermer la Russie derrière un mur politique, l’erreur de l’URSS ne sera pas réitérée. Seule l’Europe, elle, peut être amenée à se replier sur elle-même.

L’Ukraine vaut bien une Europe, Cher Ami …

Karine Bechet-Golovko

source : Russie Politics

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