mercredi 27 mai 2020


J'ai testé une technique de réhabilitation naturelle du corail
Camille Jourdan source : Usbek et Rica

Deux plongeurs tenant une cagette contenant du corail

Au large de Toulon, la monitrice de plongée Sandrine Treyvaud enseigne une technique de réhabilitation naturelle du corail mise au point par l’ONG Ocean Quest Global. On a pu monter à bord de son bateau pour suivre une séance de formation.
À bord du Poisson Volé, Sandy passe entre les mains des plongeurs ; cette boule de corail a été baptisée ainsi par Sandrine Treyvaud, monitrice de plongée à Toulon. Depuis l’été 2018, cette dernière apprend à ses élèves à réaliser des boutures de coraux grâce à une technique développée par Ocean Quest Global, une ONG née en Malaisie.
À l’heure où pour préserver les écosystèmes marins, premières victimes du réchauffement climatique, la plupart des associations mettent au point des méthodes pour construire des récifs artificiels (sur des structures de métal, de plastique, des épaves, ou en utilisant de vieux pneus), Anuar Abdullah, le fondateur d’Ocean Quest Global, a fait le choix de se concentrer sur les habitats naturels : « Quand tu plantes une salade, c’est dans de la terre », abonde Sandrine. Leurs coraux, eux, ils les « plantent » donc sur les roches qu’ils trouvent au fond de l’eau. Là où ils ont l’habitude de grandir.
La recette secrète du catalyseur
Sur son bateau, Sandrine a embarqué tout le matériel nécessaire pour une séance de jardinage marin. À bord avec elle, ses cinq stagiaires du week-end écoutent attentivement les consignes. Première étape : prélever des petits morceaux de coraux sur Sandy. « Quand je suis rentrée en France après ma formation en Asie, je ne savais pas comment j’allais enseigner cette méthode ici, confie Sandrine, car la Méditerranée ne regorge pas des mêmes coraux tropicaux que là-bas… Puis j’ai fini par trouver Sandy, une espèce qui convient à cette méthode de réhabilitation. » La boule de corail sert donc de maman aux « bébés » toulonnais.

Illustration : © Andrea Mongia pour Usbek & Rica

Une fois découpés, les fragments de Sandy attendent d’être bouturés dans des coupelles remplies d’eau. Il ne faut pas traîner : à la surface, le corail a tendance à stresser, ce qui peut lui être fatal. Sur les instructions de Sandrine, les stagiaires travaillent en binôme : un premier saisit avec une pince à épiler le morceau de corail, puis le dépose sur l’un des rochers préalablement remontés du fond de l’eau ; un deuxième stagiaire ajoute alors un point de colle – une glu extrêmement pure, utilisée en chirurgie. Enfin, dernier ingrédient de l’opération : une goutte du catalyseur. Ce liquide élaboré par Anuar Abdullah, qui garde la recette secrète, est fabriqué à partir de calcium issu du squelette des coraux. Son rôle : faciliter la dissolution de la colle, solidifier la bouture et l’aider à croître plus vite.
Accessible à tous
Penchées sur leur rocher, Stéphanie et Pauline se concentrent pour que leurs gestes demeurent efficaces. Elles s’efforcent aussi de maintenir leurs boutures mouillées, en les arrosant régulièrement avec de l’eau de mer. « Je pensais que ça serait plus technique, reconnaît Pauline, mais en fait une fois qu’on nous a tout expliqué, ce n’est pas si difficile. »
Les récifs coralliens protègent nos côtes de l’érosion, nourrissent les poissons et contribuent à l’absorption du CO2 par les océans
 C’est justement le but d’Anuar Abdullah : rendre cette méthode accessible à tous, afin que n’importe sache réhabiliter le corail, dont la disparition aurait en effet des conséquences désastreuses, non seulement sur l’écosystème marin, mais aussi sur le nôtre puisque les récifs coralliens protègent nos côtes de l’érosion, nourrissent les poissons que nous mangeons et contribuent à l’absorption du dioxyde de carbone par les océans… Les plongeurs comme les non-plongeurs ont donc tout intérêt à savoir préserver ces forêts sous-marines.
« Nurserie naturelle »
Ça y est, les boutures sont prêtes à regagner les fonds méditerranéens. L’équipage du Poisson Volé se jette à l’eau, embarquant les rochers dans des panières en plastique. Pour venir voir régulièrement ses « bébés », Sandrine les place dans une nurserie : sur quelques mètres carrés au fond de l’eau s’alignent les substrats sur lesquels sont collées les boutures. « L’avantage d’une nurserie naturelle, c’est que si on l’oublie, elle continuera à se développer », assure Sandrine. À l’inverse, les récifs artificiels demandent beaucoup d’entretien.
En deux ans, Sandrine a déjà formé à Toulon une trentaine de jardiniers du corail. Mais la ville où elle tient son centre de plongée reste un lieu d’entraînement, l’idée étant que ses stagiaires soient en mesure de reproduire la méthode enseignée sur d’autres terrains, là où le corail est particulièrement menacé. La France, d’ailleurs, n’en manque pas : avec ses territoires d’outre-mer, elle est le quatrième pays qui compte le plus de récifs coralliens au monde.
Dans d’autres coins du globe, notamment en Asie, Ocean Quest Global mène de vastes opérations de sauvetage du corail. L’une des plus importantes reste celle de Maya Bay, en Thaïlande. Sa plage, rendue célèbre par le film The Beach de Danny Boyle, a été fermée au public en 2018. Un peu plus d’un an et plusieurs milliers de boutures de coraux plus tard, la vie marine, et notamment des centaines de requins, y a refait surface dans l’eau cristalline. Au milieu de bébés coraux alors devenus grands.

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