Vieillissement du béton : Une instrumentation des structures marines
Publié le 06/02/2018 par Vincent Groizeleau via Mer et Marine
Quais supportant des colis lourds, digues, systèmes d’ancrage, structures flottantes, fondations d’éoliennes offshore… Le béton est largement employé dans les ouvrages maritimes et trouve de nouvelles applications liées au développement des énergies marines renouvelables (EMR). Il est par exemple utilisé pour fixer les fondations d’éoliennes offshore au sous-sol marin, alors que du ciment est dans le cadre des processus de « grouting » injecté entre les piles et pièces de transition pour assurer une bonne tenue entre ces deux éléments. Le béton fait maintenant son apparition dans les éoliennes flottantes, dont certains types de fondations sont intégralement réalisés avec ce matériau alors que d’autres sont basées sur des solutions mixtes avec de l’acier.
Un aspect crucial pour les EMR
Mais le béton, même si ses propriétés sont globalement très bien connues, réserve dans le domaine des EMR un certain nombre de surprises. Des problèmes sont par exemple apparus sur un champ allemand, où le béton employé a mal résisté, provoquant un phénomène de corrosion sur les piles en acier supportant les éoliennes. « Beaucoup d’industriels développant dans projets maritimes, en particulier dans les EMR, estiment que le béton n’est pas un sujet compliqué. Mais c’est en réalité un aspect crucial, qui le sera d’ailleurs encore plus avec l’éolien flottant. Pour ces applications, la question du comportement et du vieillissement du béton est une science complexe et nouvelle. Dans l’éolien posé, le béton travaille en effet dans des modes de flexion et de compression très spécifiques. Pour l’éolien flottant, il faudra ajouter les contraintes d’un système dynamique. Tout l’enjeu est d’éviter qu’un emploi mal maîtrisé du béton devienne une source de faiblesse des équipements », explique Dominique Follut, ingénieur et directeur Développement et Innovation de KEOPS Performance.
Une solution de monitoring développée au sein de Neopolia
Basé à Carquefou, près de Nantes, ce groupe spécialisé dans le monitoring et la supervision, historiquement présent dans le secteur de l’énergie, s’intéresse depuis plusieurs années au développement des EMR. Concernant la problématique du béton sur les nouveaux équipements maritimes, KEOPS s’est associé au sein de Neopolia à d’autres acteurs régionaux pour développer une solution permettant d’instrumenter les structures marines. Cette alliance originale associe le monde de l’entreprise et celui de la recherche. Objectif : mieux connaître leur évolution en surveillant en permanence le comportement et le vieillissement des matériaux. La société de travaux publics Charier, spécialiste des travaux d’infrastructures maritimes et terrestres en béton, pilote ce groupement, qui compte donc KEOPS, chargé de la collecte des données sur site, de leur transport, de leur stockage en vue d’une exploitation opérationnelle. Le bureau d’études Cétéal apporte quant à lui son expertise dans le dimensionnement des structures, alors que l’équipe TRUST de l’Université de Nantes (Laboratoire GeM), spécialisée notamment dans la fiabilité et l’instrumentation des structures, a conçu des capteurs spécifiques. Placés au cœur du béton par Capacités, filiale de l’Université, à des endroits stratégiques, ils permettent de mesurer en temps réel les effets de traction, la température, les déformations, l’hydrométrie et la pénétration des chlorures. Le sel de mer peut en effet profiter de la porosité du béton pour, progressivement, s’infiltrer jusqu’aux armatures en acier. Celle-ci se corrodent alors très vite, gonflent et font « exploser » la structure. Or, lorsque ces effets deviennent visibles, par exemple avec l’apparition de fissures, il est généralement trop tard pour corriger les faiblesses de l’ouvrage sans passer par de lourds et couteux travaux, sans compter les délais d’immobilisation.
« Réduire les coûts de maintenance et l’indisponibilité des équipements »
« Les différents acteurs ont apporté leurs compétences et savoir-faire pour mettre au point une solution de monitoring du béton dans des conditions océaniques compliquées. Grâce à l’instrumentation et aux données collectées, il est possible de suivre en temps réel l’évolution du béton à différents endroits de la structure. Cela permet par exemple de voir la vitesse de pénétration des chlorures et, ainsi, de pouvoir agir de manière préventive en ayant la possibilité d’adapter la maintenance aux contraintes opérationnelles. L’objectif du système que nous proposons est très clairement de réduire les coûts de maintenance et l’indisponibilité des équipements ». Une instrumentation qui devrait se révéler particulièrement intéressante pour les projets EMR, pour lesquels les industriels manquent encore de recul concernant la fatigue à long terme du béton.
Le nouveau terminal de Montoir (© NSNP - F. BADAIRE)
Un démonstrateur installé sur le nouveau quai de Montoir
Mais cette solution intéresse aussi les structures maritimes plus « conventionnelles » et c’est d’ailleurs avec l’une d’entre elles que le dispositif de monitoring a été déployé pour la première fois. Un démonstrateur a, ainsi, été implanté dans le nouveau quai du terminal à marchandises diverses et conteneurs de Montoir-de-Bretagne. Un chantier de grande ampleur lancé par le Grand Port Maritime de Nantes Saint-Nazaire et dont la réalisation a été confiée au groupe Bouygues, qui a achevé les travaux à l’automne 2017.
Chargement d'une nacelle d'éolienne offshore sur le nouveau terminal de Montoir (© GE)
L’extension du TMDC a porté sur la construction de 350 mètres supplémentaires de quai (52 mètres de largeur) le long de l’estuaire de la Loire, en amont du pont de Saint-Nazaire. Avec, comme l’explique Pascal Lijour, chef du service Ingénierie maritime du GPMNSN, une spécificité : « Ce quai a non seulement été conçu pour permettre au port d’accueillir des porte-conteneurs plus grands, mais tient également compte du développement de l’activité EMR. Il borde en effet l’usine General Electric qui produit des nacelles d’éoliennes offshore. Face à l’usine, le quai a donc été adapté pour le transfert et l’embarquement des nacelles sur des navires. Il s’agit d’équipements très lourds puisqu’avec leurs supports, on parle de colis de 500 tonnes. Sur 200 mètres, le quai est donc renforcé pour supporter une charge de 15 tonnes au mètre carré, contre 6 tonnes pour sa partie classique, ce qui correspond aux standards de l’activité conteneurs ».
Une nouveauté pour le port de Nantes Saint-Nazaire, qui s’est immédiatement montré intéressé par l’idée d’installer un système de monitoring. « L’un des grands sujets pour ces nouveaux ouvrages dédiés aux EMR, avec lesquelles les contraintes sont très fortes, est le vieillissement du béton. Il est donc pour nous très intéressant, en particulier en matière de maintenance, de suivre son évolution dans la durée grâce aux capteurs et à la centrale d’acquisition qui ont été installés pendant la construction du quai ».
Lors de la construction du nouveau terminal de Montoir (© KEOPS)
Premier test grandeur nature
Mené en partenariat avec le port et Bouygues, accompagné par le Pôle Mer Bretagne Atlantique et soutenu financièrement par la région des Pays de la Loire, le projet a permis de mettre en œuvre un premier système de monitoring. « Ce démonstrateur nous permet de tester cette solution en grandeur nature et dans la durée sur une infrastructure intéressante sur le plan technique. Il s’agit en effet d’un gros ouvrage, soumis au marnage, à des conditions océaniques puisqu’ouvert sur l’estuaire et avec de fortes contraintes opérationnelles », souligne Dominique Follut. Equiper ce quai a également été très instructif concernant les process à mettre en place pendant la phase d’installation. « Cela a constitué un retour d’expérience extrêmement profitable sur les contraintes de mise en œuvre d’un tel système sur un chantier de génie civil ». L’installation du système de monitoring est en effet une opération délicate, certains capteurs étant minuscules, comme ceux qui mesurent dans 6 directions le champ de pression autour du béton, pas plus gros que des granulats. Il a aussi fallu fixer sur la ferraille la fibre optique par laquelle les données sont transférées, en prenant garde à ce qu’elle ne soit pas endommagée pendant le coulage du béton. Pour s’en assurer, le système est d’ailleurs immédiatement mis en route, ce qui permet de confirmer le bon fonctionnement des capteurs pendant le coulage et même, grâce au recueil des premières données, de suivre au passage le bon déroulement de la construction de la structure.
Installation du système de monitoring lors de la construction du nouveau terminal de Montoir (© KEOPS)
Le nouveau terminal de Montoir avec l'armoire où débouche le réseau de monitoring (© MER ET MARINE - VG)
D’autres utilités
Sur le nouveau quai de Montoir, deux travées de poutres ont, ainsi, été équipées de capteurs, dont les informations sont transférées en direct vers un centre de données où elles sont analysées. Les résultats sont restitués sous forme de tableaux de bord. Ils permettront donc de suivre le comportement de l’ouvrage dans les années qui viennent. On notera que la présence de capteurs fonctionnant de manière permanente sur une telle structure peut aussi avoir d’autres utilités. Pour le suivi de construction, on l’a vu, mais aussi, c’est l’une des possibilités offertes par le système, aider grâce aux données recueillies à déterminer les responsabilités en cas d’incident, comme par exemple des dégâts occasionnés suite à un choc lors d’un accostage.
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