Les travailleurs détachés en France sont aussi français
source : Le Figaro.fr
- Par Pauline Chateau
- Mis à jour
- Publié
Employés par des agences d'intérim luxembourgeoises ou belges, ces travailleurs sont ensuite détachés en France. Un moyen, pour les entreprises françaises qui les emploient, d'obtenir une main d'oeuvre qualifiée, moins chère.
Plombier polonais, maçon portugais... Le travailleur détaché en France est également français. Comment expliquer ce paradoxe? Plusieurs agences d'intérim luxembourgeoises et belges, recrutent en effet des travailleurs français. Ces derniers sont ensuite chargés d'une mission en France, pour le compte d'une entreprise hexagonale. Ils deviennent ainsi des travailleurs détachés. Un système parfaitement légal. Au total, 18.000 travailleurs français seraient détachés en France, selon un rapport parlementaire réalisé en 2013.
»» Lire aussi: Le «plombier polonais» divise de nouveau l'Europe
Pour y mettre un terme, le député socialiste, Gilles Savary a déposé un amendement au code du travail, qui a été adopté en mars dernier. Il impose désormais aux intérimaires détachés en France, «les mêmes conditions d'emploi et de travail», qu'un intérimaire travaillant pour une agence française. Mais cette disposition ne règle toujours pas la question.
«Du trading de travailleurs low-cost»
La raison? Elle est déjà prévue par le code du travail, depuis l'entrée en vigueur de la directive européenne de 1996. D'après la réglementation européenne, le salaire et les conditions de travail de l'employé détaché doivent répondre aux normes du pays dans lequel il travaille. Un travailleur français détaché en France doit percevoir au moins le SMIC.
L'amendement de Gilles Savary ne règle donc pas la problématique essentielle: le différentiel des charges sociales. De fait, les cotisations sociales appliquées restent celles du pays d'origine de l'agence dans laquelle est employé le travailleur détaché. Or les cotisations au Luxembourg sont très basses, par rapport à la France. Le coût du travail détaché est donc nettement moins élevé pour les entreprises françaises. «Concrètement, le détachement d'intérim consiste en du placement de main d'oeuvre», soutient Gilles Savary, député PS, et auteur de la loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, en 2014, au Figaro. «C'est devenu du trading de travailleurs low-cost».
Les Français, 8% de la main-d'oeuvre détachée en France
«Les agences d'intérim luxembourgeoises ont mis en oeuvre une politique très agressive pour chercher à la fois des clients et des intérimaires en France», argue François Roux, délégué général de Prism'emploi, l'organisation patronale de l'intérim, au Figaro. «Certaines entreprises françaises ont pris l'habitude de travailler avec ces agences pour trouver de la main d'oeuvre, qui jouent désormais le rôle de “chasseur de tête”».
Les travailleurs français détachés en France représentent ainsi 8% de la main d'oeuvre détachée déclarée, soit 18.850 individus. Ces derniers sont pour la plupart des travailleurs transfrontaliers, résidant notamment en Lorraine. Pour François Roux, ce système d'optimisation fondé sur le différentiel de charges sociales, est véritablement «néfaste pour le travailleur français». «En travaillant pour une agence d'intérim étrangère, le travailleur français détaché ne bénéficie pas du même système de protection sociale: il n'a donc le droit, ni au chômage, ni à la retraite», soutient François Roux.
Des négociations européennes difficiles
L'État, non plus, ne semble pas sortir gagnant de ce système, puisqu'il ne perçoit pas les cotisations sociales qu'il devrait empocher. «Rien ne justifie ce système», assène Gilles Savary. «Il tue notre système de Sécurité sociale». Le déficit du régime général de la Sécurité sociale a atteint 9,7 milliards d'euros, selon les chiffres les plus récents de la Direction de la Sécurité sociale. «A l'échelle européenne, il faut absolument interdire le détachement d'un salarié dans le pays dans lequel il réside», indique François Roux. Une réclamation avec laquelle s'accorde Gilles Savary.
De son côté, la Commission européenne a présenté un projet de modification de la directive européenne de 1996, le 8 mars dernier. Un dossier explosif, puisque les États membres de l'Union européenne s'écharpent sur ce sujet. Les pays de l'Europe de l'Est considèrent en effet que le projet législatif de Bruxelles va limiter la libre circulation des travailleurs, et donc de leurs ressortissants en Europe. De l'autre côté, l'Allemagne et la France, notamment, désirent endiguer ce qu'ils définissent comme du «dumping social». «Les négociations risquent d'être particulièrement difficiles», regrette François Roux. Elles n'aboutiront seulement lorsque les régimes de protection sociale seront aplanis».
La rédaction vous conseille
- La France dope ses moyens de lutte contre le travail détaché
- Les travailleurs détachés en sept questions
- Travail détaché: sur le terrain, PME et artisans restent désarmés face à ce «dumping social»
- Le «plombier polonais» divise de nouveau l'Europe
- Travailleurs détachés: les réformes de Bruxelles divisent l'UE entre Est et Ouest
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire