Géoingénierie : un test pour refroidir la Terre est à l'étude
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Classé sous :CHANGEMENT CLIMATIQUE , PNAS , PINATUBO
Par Laurent Sacco, Futura
Des chercheurs de l'université de Harvard espèrent tester dans la stratosphère une expérience de géoingénierie. L'idée est de valider cette possibilité de refroidir l'atmosphère si, un jour prochain, cette voie devenait nécessaire, et ce sans faire courir de risque au climat, à la couche d'ozone ou à la santé humaine. Ils se préparent à lancer un ballon en 2018 si tout va bien.
CE QU'IL FAUT RETENIR
- Les besoins en énergie, la réalité économique et la motivation fluctuante d'agir rendent incertaine l'ampleur du réchauffement climatique au cours du XXIesiècle.
- Des études sur la géoingénièrie ne sont plus un luxe, afin d'en évaluer rigoureusement risques et avantages.
- La géoingénièrie ne peut toutefois être un alibi pour éviter de changer notre utilisation de l'énergie et de la décarbonner le plus possible.
- Injecter des particules de calcite dans l'atmosphère pourrait refroidir la planète sans effets secondaires.
- Un test concret dans la stratosphère, à très petite échelle pour éviter tout risque, est en cours d'étude pour 2018.
Fin 2013, le célèbre climatologue James Hansen, militant très engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique, s'est fait remarqué (une fois de plus) en publiant avec trois de ces éminents collègues une lettre ouverte. Ces chercheurs estiment que, malheureusement, on ne réussira pas à substituer les énergies renouvelables aux énergies fossiles suffisamment à temps pour limiter le réchauffement climatique sous le seuil de 2 °C et pour assurer une vie décente aux neuf milliards d'humains que portera bientôt la Planète. Il faudrait nécessairement pour cela en passer par une période durant laquelle le nucléaire servira d'appoint, ce qui implique non pas une réduction du nombre des centrales nucléaires mais au contraire leur multiplication.
En France, c'est aussi la thèse que soutient depuis des années Jean-Marc Jancovici, pour qui également, les coûts réels et les contraintes découlant des ENR rendent totalement irréaliste leur mise en place dans les temps pour assurer 100 % des besoins. Toutes ces personnalités ne sont pas du tout opposées à la poursuite d'une vigoureuse montée en puissance des ENR et elles reconnaissent que, bien que la technologie nucléaire deviennent de plus en plus sûre, elle n'est pas sans risque. Mais pour eux, l'effondrement économique et les tensions sociales qui découleront d'un changement climatique catastrophique et d'une réduction importante de l'énergie disponible auront des coûts humains incomparablement plus graves que quelques accidents nucléaires potentiels ou réels (rappelons que les experts de l'OMS et de l'Unscear, l'équivalent du Giec pour les risques nucléaires, ne prévoient pas, pour le moment, de morts du fait de la radioactivité liées à la catastrophe de la centrale de Fukushima).
La géoingénièrie, un outil pour lutter contre le réchauffement climatique ?
Malheureusement, à part peut-être en Chine, les nations ne semblent se diriger ni vers une réduction suffisamment rapide des énergies fossiles, dont la consommation croît en outre plus vite que la production des ENR, ni dans la direction indiquée par Hansen et ses collègues. Il est donc à craindre que l'on soit un jour contraint de jouer la carte de la géoingénièrie.
Mais une telle aventure ne peut être lancée à la légère tant le remède risque de se révéler pire que le mal. Il faudrait indéniablement de très sérieuses et très importantes recherches avant de jouer à l'apprenti-sorcier avec le climat.
David Keith explique l'importance de la géoingénièrie. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © TEDx Talks
Le physicien David Keith, professeur à l'université de Harvard en est persuadé et lui-même réfléchit à la géoingénièrie depuis les années 1990. L'année dernière (voir l'article ci-dessous), avec des collègues, il avait proposé d'étudier l'impact de l'injection de quantités massives de calcite dans l'atmosphère. Comme certains composés soufrés volcaniques, cette calcite peut modifier la réflectivité de la Terre et donc, en théorie, faire baisser la température de notre planète. Surtout, elle ne devrait pas détruire la couche d’ozone, contrairement au dioxyde de soufre par exemple. Mais comment être certain que cette technique ne produira pas d'effets indésirables ?
Il faut aussi se garder de faux espoirs, qui conduiraient à consommer toujours plus d'énergie fossile et à gaspiller de l'argent dans une géoingénièrie finalement inefficace. En outre, refroidir l'atmosphère est une chose mais continuer à y injecter du gaz carbonique en est une autre car cela revient aussi à injecter du gaz carbonique dans les océans et donc à poursuivre leur acidification, ce qui peut devenir une catastrophe pour les écosystèmes.
Des tests d'injections d'aérosols dans la stratosphère depuis un ballon
David Keith est bien conscient de tout cela et il insiste sur la nécessité de continuer à orienter l'économie de la planète vers un développement durable en la décarbonnant. Mais il insiste vigoureusement aussi sur la nécessité de développer les études sur la géoingénièrie. Ainsi, à l'occasion du forum U.S. Solar Geoengineering Research qui s'est tenu ce mois-ci, il vient d'annoncer que des études préparatoires sont en cours pour lancer dès l'année prochaine un ballon dans la stratosphère afin de réaliser des expériences concrètes.
Le projet doit se faire avec l'aide de World View Enterprises, qui se propose également de démocratiser l'accès à la stratosphère avec des ballons. L'un d'entre eux devrait emporter à 20 km d'altitude un module équipé de capteurs et pouvant libérer plusieurs composés chimiques, comme la calcite mais aussi l'alumine. Il s'agit de voir comment ces composés vont se disperser et comment ils vont réagir avec l'atmosphère au-dessus de l'Arizona.
Les quantités libérées devraient être minimes, de l'ordre du kilogramme, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une expérience destinée à refroidir l'atmosphère au-dessus de l'Arizona mais plutôt de tester à très petite échelle ce qui peut se passer avec des composés qui seraient en mesure de le faire. De plus, les chercheurs commenceront avec des particules de glace d'eau. Aucun risque pour le climat ou la météo donc. Des tests avec des composés soufrés sont prévus mais les quantités libérées seront inférieures à celles produites par un jet en une minute...
Nous n'en sommes toutefois pour le moment qu'à des études préparatoires. David Keith et ses collègues veulent avancer prudemment, avec transparence et en communiquant avec des ONG que la géoingénièrie inquièterait. Leur but est de ne pas donner de mauvaises raisons susceptibles d'empêcher des recherches dans ce domaine qui pourrait malheureusement devenir vital dans quelques décennies.
POUR EN SAVOIR PLUS
Géoingénierie : l'Homme pourrait refroidir le climat sans détruire la couche d'ozone
Article de Laurent Sacco publié le 16/12/2016
L'Homme a modifié dangereusement le climat en injectant massivement du gaz carbonique dans l'atmosphère. Peut-être pourra-t-il limiter, sur le long terme, les problèmes engendrés par le réchauffement climatique grâce à la géoingénierie. Il serait ainsi possible d'injecter desaérosols capables de refroidir le climat sans toucher à la couche d'ozone.
Il semble malheureusement de moins en moins probable que l'humanité puisse s'entendre et agir suffisamment rapidement pour éviter une augmentation de deux degrés de la température globale moyenne de la planète. Au-delà de cette température, la stabilité du climat ne sera plus garantie et il y aura des réfugiés climatiques à gérer. Par ailleurs, le manque d'eau et des pics de températures infernales risquent de se faire cruellement sentir dans la région allant de l'Afrique du Nord jusqu'au Pakistan.
La technologie pourrait bien être notre seul et mince espoir pour affronter ce problème et en limiter les effets. Il faudrait, bien sûr, faire des percées spectaculaires en moins de dix ans dans les domaines de la fusion contrôlée et des cellules photovoltaïques, mais mieux vaut ne pas trop y compter. Certains espèrent que la séquestration géologique du gaz carbonique pourra également devenir efficace et qu'elle sera mise en place à grande échelle. Une autre carte à jouer, mais qui ne sera sans doute efficace qu'à long terme (elle ne peut donc pas résoudre à court terme les problèmes du réchauffement climatique) serait de faire de la géoingénierie.
Il a ainsi été proposé d'injecter dans l'atmosphère des composés chimiques capables de modifier la réflectivité de cette atmosphère, et donc de la refroidir. En s'inspirant de l'impact des éruptions volcaniques sur le climat, l'idée d'utiliser des aérosols soufrés est venue à l'esprit de chercheurs (voir article ci-dessous). Toutefois, ces fines particules détruisent la couche d'ozone, ce qui peut contribuer à accélérer le réchauffement global. Dans l'idéal, il faudrait trouver un composant qui n'ait aucun effet secondaire de ce type, que ce soit sur le climat ou, tout simplement, sur les écosystèmes.
De la calcite trouvable en France. © Didier Descouens, Wikipédia, CC by-sa 3.0
La calcite, un antiacide pour refroidir l'atmosphère
Un groupe de chercheurs états-uniens de la Harvard John A. Paulson School of Engineering and Applied Sciences (Seas) est sur une piste, comme ils l'expliquent dans un article publié dans les Pnas ainsi que dans une vidéo. Il suffirait, peut-être, d'utiliser un carbonate de calcium bien connu : la calcite.
Le concept a plusieurs avantages. Ce minéral est relativement abondant sur Terre, où il se trouve sous plusieurs formes naturelles avec des traces de manganèse, fer, aluminium etc. Surtout, il ne se contenterait pas d'être inoffensif pour la couche d'ozone : des particules à base de calcite agiraient en fait comme une sorte d'antiacide pour la stratosphère et la couche d'ozone. À la surface de ces particules, des réactions chimiques actives s'y produiraient qui neutraliseraient les composés soufrés acides menaçant les molécules d'O3.
Un moyen de faire d'une pierre deux coups : l'Homme aurait une carte à jouer pour limiter les effets du changement climatique et pourrait accélérer la réparation de la couche d'ozone qui est en cours. Cependant, comme le précisent les chercheurs, il ne faut pas s'attendre à ce que cette technique résolve le problème du réchauffement climatique à elle seule. Les études doivent aussi se poursuivre afin de vérifier qu'aucun effet secondaire indésirable n'arrive. La Terre est un système dynamique complexe, aussi bien au niveau du climat que de la biosphère ; l'Homme pourrait avoir des surprises désagréables s'il n'y prend garde.
La géoingénierie pourrait-elle réduire l'impact des cyclones ?
Article de Laurent Sacco publié le 03/11/2015
Les ouragans tropicaux tels que Katrina devraient malheureusement se multiplier au cours du XXIe siècle à cause du réchauffement climatique. Selon un groupe de chercheurs, la géoingénierie serait en mesure de réduire cette augmentation. Il faudrait pour cela injecter massivement des aérosols dans l'atmosphère afin d'imiter des éruptions volcaniques comme celle du Pinatubo, survenue aux Philippines en 1991.
John Von Neumann, l'un des géants du Panthéon de l'informatique avec Alan Turing, se serait en grande partie impliqué dans la théorie des ordinateurs dans le but de réaliser des prédictions météorologiques. Cela reste à prouver. Ce qui est sûr c'est que la modélisation numérique du temps et du climat sur Terre à l'aide de supercalculateurs doit beaucoup au physicien et mathématicien anglais Lewis Richardson (1881-1953). Le livre qu'il a publié à ce sujet en 1922, alors qu'aucun ordinateur n'existait encore, a été d'une importance cruciale pour les tentatives ultérieures de modélisation dont l'essor a vraiment commencé après la seconde guerre mondiale, grâce à la conquête spatiale et aux travaux de Verner Suomi sur les satellites météorologiques.
Ordinateurs et modèles numériques ont permis aux membres du Giec de tirer la sonnette d'alarme en ce qui concerne l'évolution du climat au cours du XXIe siècle. La technologie grâce à laquelle l'Homme a vraiment pu commencer à sortir du Néolithique depuis quelques siècles est pourtant en train de menacer son avenir via le réchauffement climatique dont Homo sapiens est responsable. Ne pourrait-elle pas aussi réparer les dommages qu'elle a causés ? En d'autres termes n'est-il pas possible de faire de la géoingénierie en ce qui concerne le climat ?
La question se pose à nouveau à l'heure où un certain pessimisme se fait jour quant à la capacité et la volonté de l'humanité à limiter sa consommation des énergies fossiles, et son rejet de CO2dans l'atmosphère, afin de maintenir le réchauffement climatique global annoncé en dessous de 2 °C.
La concentration de gaz à effet de serre n'a jamais autant augmenté que ces quinze dernières années. Malgré les engagements pris par de nombreux pays, aucune solution concrète ne semble émerger. Le Cnes a rencontré Jean Jouzel, climatologue de renom, afin d’en savoir plus. © Cnes
Un Pinatubo tous les deux ans pendant 50 ans !
De fait, une équipe internationale de chercheurs en géosciences vient de proposer (comme Bill Gates et d'autres avant eux) d'utiliser la technologie pour lutter contre la formation des cyclonestropicaux qui devraient se faire plus nombreux et plus dévastateurs au cours de ce siècle. L'idée de base n'est pas nouvelle : en 2006, Paul Crutzen, prix Nobel de chimie 1995, avait proposé, avec d'autres scientifiques, d'injecter dans l'atmosphère des aérosols soufrés (ces aérosols peuvent refroidir le climat contrairement à d'autres) afin d'imiter l'impact de certaines éruptions volcaniquessur le climat, telle celle du Pinatubo en 1991. Le 15 juin 1991, aux Philippines, ce volcan avait propulsé jusqu'à 35 kilomètres d'altitude au moins 17 millions de tonnes de sulfates. Dans l'année qui a suivi, les températures ont sensiblement baissé un peu partout sur la planète (de 0,4 à 0,6 °C dans l'hémisphère nord et de 0,4 °C au sud). En effet, le vaste ensemble de nuages contenant des aérosols soufrés qui a résulté de cette éruption volcanique a fait plusieurs fois le tour de la Terre, absorbant les rayons solaires et réduisant la quantité de lumière parvenant au sol.
Comme elle l'explique dans un article publié dans les Pnas, l'équipe de chercheurs a voulu tester numériquement le concept de refroidissement artificiel du climat à l'aide d'injection de dioxyde de soufre (SO2), très précisément dans l'optique d'inhiber la croissance du nombre d'ouragans tropicaux du calibre d'Isabel ou de Katrina.
Les travaux conduits par ces chercheurs dans la cadre du Geoengineering Model Intercomparison Project montrent que le concept est scientifiquement crédible. Il serait possible de diviser par deux le nombre de cyclones au cours de la seconde moitié du XXIe siècle si l'on injectait chaque année environ 10 millions de tonnes d'aérosols soufrés dans l'atmosphère pendant 50 ans à partir de 2020. Cela équivaudrait à une éruption du Pinatubo tous les deux ans. Le projet serait bien évidemment coûteux mais réalisable et sans doute moins onéreux que l'impact sur l'humanité de l'augmentation du nombre de cyclones.
Il y a toutefois un écueil que les chercheurs ne dissimulent pas : il est hors de question d'injecter vraiment du SO2 dans l'atmosphère car cela entraînerait une diminution de la couche d'ozone. Il reste donc à trouver un aérosol à l'effet équivalent mais sans cet inconvénient...
Les aérosols, ces particules qui favorisent l'effet de serre Les aérosols sont de petites particules présentes dans l’atmosphère. Ils sont responsables de la formation de nuages et, par la même occasion, contribuent à l'effet de serre et au réchauffement climatique. Le Cnes nous explique au cours de cette vidéo comment les aérosols sont surveillés depuis déjà plusieurs années.
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