jeudi 19 mai 2016

Le Baloutchistan s'ouvre à la Chine, espérant un "grand bond en avant" 

Publié le 18 mai 2016 à 15h48source : L’Obs

Quetta (Pakistan) (AFP) - Le Baloutchistan, la plus pauvre des provinces du Pakistan, compte bien décoller grâce à un méga-projet d'investissement chinois. C'est du moins ce qu'espère l'ex-chef insurgé Hazar Khan, qui a jeté ses armes aux orties, dans l'espoir d'un bon emploi.
Hazar Khan a passé 15 années de sa vie à lutter pour l'indépendance du Baloutchistan, une vaste étendue désertique et montagneuse qui jouxte l'Iran et l'Afghanistanet compose tout le coin sud-ouest du Pakistan.

Mais cette page est désormais tournée. "Nous avons passé notre vie dans les montagnes (à faire la guérilla) mais à présent nous voulons que nos enfants reçoivent de l'instruction et aient une vie meilleure", explique-t-il à l'AFP, précisant que toute sa famille a accepté de le suivre.
Khan a rendu les armes l'année dernière dans le cadre d'un plan d'amnistie mis en place par le gouvernement pakistanais. Cette offre, qui prévoit le versement d'une prime, a convaincu des centaines de rebelles de cesser le combat, selon les autorités. Hazar Khan espère pour sa part au moins 3.000 dollars, qu'il n'a pas encore touchés.

Le Baloutchistan est en proie depuis des années à une insurrection séparatiste et des violences confessionnelles qui en ont fait l'une des zones les plus instables et dangereuses du Pakistan, le rendant pratiquement inaccessible pour les voyageurs. Plus de la moitié de ses 8,5 millions d'habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
L'armée a été déployée pour lutter contre l'insurrection et les militants locaux des droits de l'Homme dénoncent de nombreuses exactions.
Mais un ambitieux projet visant à faciliter l'accès de la Chine au Moyen-Orient, à l'Afrique et à l'Europe pourrait changer la donne. Cette liaison routière, énergétique et de télécommunications traverserait de bout en bout lePakistan, rendant nécessaire la stabilité du Baloutchistan, où débouche l'infrastructure.

Ce projet, appelé couloir économique sino-pakistanais (CPEC), représente 46 milliards de dollars d'investissements, essentiellement apportés par Pékin. Lancé en grande pompe il y a un an, lors d'une visite du président chinois en avril 2015, il devrait engendrer des travaux colossaux sur des années.
Il prévoit notamment une autoroute de 2.000 km - déjà en construction - courant de la frontière chinoise, dans le nord-est, jusqu'au port de Gwadar à l'autre extrémité du pays. Ce port, censé fonctionner à plein régime dès 2017, doit pouvoir accueillir des bateaux de grande capacité. Le projet inclut également un gazoduc, des lignes de chemin de fer, un terminal GNL, des centrales électriques, des lignes haute tension et des liaisons de fibre optique.

- La paix à 95 % -
Gwadar, jusqu'ici un petit port de pêche baloutche assoupi au bord de la mer d'Arabie, est ainsi promis à un avenir de "futur Dubaï".
Conséquence: les prix de l'immobilier de Gwadar et ceux de la capitale provinciale Quetta s'envolent déjà.

La situation sécuritaire, "très mauvaise" il y a dix ans, s'améliore lentement, concède Nadir Hussain, un petit éditeur de Quetta. "Les gens sont revenus et ont commencé à créer de petites entreprises, à ouvrir de petites échoppes", note-t-il.

Des entrepreneurs se jettent à l'eau, espérant profiter de la dynamique créée par les Chinois.
"Nous avons rétabli la paix dans 95% du Baloutchistan", affirme à l'AFP Akbar Durrani, secrétaire d'Etat à l'Intérieur de la province.

Selon lui, 600 rebelles ont déposé les armes depuis le lancement du plan d'amnistie l'an dernier. Les compensations varient selon le rang des insurgés: jusqu'à 1,5 million de roupies (15.000 dollars) pour les commandants, 1 million pour leurs seconds et un demi-million pour les non-gradés.
Un chef tribal et ministre local de l'Irrigation, Nawab Changez Marri, s'inquiète toutefois de voir que les autorités ne tiennent pas toutes leurs promesses.

"Ils ne leur payent que 100.000 roupies et les laissent seuls sans assurer leur sécurité", déplore-t-il, affirmant que des insurgés ayant accepté le plan ont vu leurs familles massacrées par leurs anciens compagnons de lutte. De quoi faire réfléchir ceux d'entre eux qui envisageaient d'accepter l'amnistie.
Le projet CPEC lui-même n'a pas échappé aux problèmes de sécurité avec plusieurs attentats commis contre des ingénieurs chinois, des gazoducs ou des voies ferrées.
- Chinois confiants -

Mais malgré ces difficultés, la Chine se déclare confiante. "Je pense que la situation sécuritaire s'est beaucoup améliorée", a déclaré l'ambassadeur chinois par intérim Zhao Lijian lors d'une conférence à Gwadar en avril, saluant le travail de l'armée.
A long terme, les experts estiment cependant que la stabilité de la région et le succès du corridor dépendront beaucoup de la capacité du gouvernement à faire bénéficier concrètement la population baloutche du projet.

"Dans le cas contraire, nous résisterons", a prévenu un haut responsable baloutche en marge de la conférence de Gwadar. Beaucoup d'habitants craignent de voir les bénéfices du projet atterrir exclusivement dans les poches de l'élite pakistanaise.

Les autorités locales sont enthousiastes: "le projet de CPEC est un tournant crucial", lance le porte-parole dugouvernement provincial, Anwaar-ul-Haq Kakar.

Allahdad Thareen, un homme d'affaires local, veut y croire lui aussi: le CPEC va faire de Gwadar un "port international", souligne-t-il. "Il y aura un impact positif sur le vendeur de thé comme sur le gros importateur".

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