mardi 10 mai 2016

Infliger à nos enfants la dictature de la viande et la bêtise d’experts est dangereux

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Attention, vous allez lire une réponse adressée au professeur Jean-Marie Bourre, désigné comme un « expert » en nutrition par le journal le Figaro, qui vient de plomber – ou plutôt atomiser – les menus végétariens à la cantine.
Dans cette tribune publiée dans la catégorie Santé du Figaro, le professeur démonte virulemment les menus végétariens (et végétaliens) qui pourraient être servis dans les cantines françaises.
Selon l’expert en « neuro-toxicologie » et en « neuro-pharmaco-nutrition », l’adoption de menus alternatifs sans viande seraient dangereux pour la santé des enfants, mais également pour celle des adultes. Rien que ça !
Le pamphlet de 875 mots du professeur aura très rapidement fait réagir des personnalités du web mais aussi l’Association Végétarienne de Francequi commente sans surprise la tribune :
Quand Le Figaro invite Jean-Marie Bourre, représentant bien connu des charcutiers, à donner son avis sur le menu végétarien, que croyez-vous qu’il répond ?
Mlle Pigut, une célèbre blogeuse de la sphère végétalienne emboîte le pas d’un ton légèrement ironique et sarcastique…
Le bonheur du matin, Jean-Marie Bourre sur la dangerosité du végétarisme (rire jaune).
Je vous épargne les commentaires outrés/scandalisés et plus ou moins argumentés contre cette tribune complètement à charge contre le végétarisme et le végétalisme.
Quand on lit cette tribune, on ne peut que se révolter face à la faiblesse des arguments avancés, aux raccourcis douteux et face à la propagande déraisonnée, à peine voilée, des produits animaux.
Mais alors comment est-ce possible que quatre repas végétariens sur les 21 qui composent une semaine puissent créer des profonds déséquilibres alimentaires chez les enfants ? C’est bien ce que souhaite nous faire croire le professeur, en utilisant des pirouettes sémantiques et nutritionnelles.
Attention décryptage.

L’affligeante argumentation du professeur

Selon M. Bourre, les principes de l’alimentation végétarienne et végétalienne ne reposent pas sur la nutrition. Aussi étrange que cela puisse paraître, ces deux diètes qui font donc FORCEMENT référence à la nutrition ne se baseraient que sur des considérations, et je cite, philosophique, sociologique, écologique, avec des possibles répercussions négatives sur l’économie.
Balayer du revers de la main ces deux diètes largement connues en invoquant la sacro-sainte économie n’est rien autre que de la mauvaise foi. Balayer les composantes nutritionnelles majeures de ces diètes démontre tout simplement une méconnaissance dramatique et dangereuse du sujet.
Pire encore, M. Bourre fait un dangereux amalgame au début de sa tribune en supposant implicitement que les menus végétarien proposés dans les cantines seraient une alternative pour la viande de porc. Voilà des considérations religieuses à peine voilée qui ne devraient même pas intervenir dans ce débat.
Autre perle émanant du professeur, les végétariens et les végétaliens pourraient être en meilleur santé s’ils consommaient des végétaux génétiquement modifiés (OGM) améliorés sur le plan nutritionnel. M. Bourre n’hésite donc pas à utiliser frauduleusement l’image négative qui plane sur les OGM pour déprécier le végétarisme et le végétalisme. C’est quand même fort de roquefort…
D’un point de vue nutritionnel, Jean-Marie Bourre avance que les produits animaux sont irremplaçables, et avancent un certain nombre de faits pour justifier la consommation :
  • de produits laitiers, avec l’indispensable calcium contenu dans le lait, le yaourt et le fromage;
  • de produits de la mer, avec l’importante vitamine D;
  • de produits animaux et tripiers de manière générale pour soutenir les apports en vitamine B12, en acides gras ou bien encore en fer.
Pour être clair, j’ai publié très récemment un article critique sur la place des produits animaux dans notre alimentation, et je concluais qu’ils étaient très souvent associés à une bonne santédès lors qu’ils intègrent une alimentation riche en végétaux, en fruits, en produits complets, et que ces produits animaux restent en quantité limitée et de bonne qualité.

Les bienfaits du végétarisme et du végétalisme

Toutefois, et contrairement à tout ce que peut dire M. Bourre, une alimentation végétarienne (ou végétalienne) bien menée représente une alternative sûre pour maintenir un bon état de santé, lutter contre de nombreuses maladies métaboliques et certains cancers.
Il y a pléthore d’études scientifiques, de rapports et de communiqués qui indiquent avec confiance que la diète végétarienne est excellente pour la santé.
Par exemple, une récente synthèse scientifique réalisée par des chercheurs de Pologne indique que cette diète est efficace pour lutter contre l’obésité, les maladies cardiovasculaires, les arrêts cardiaques, l’hypertension artérielle, les risques de diabète ou bien encore contre l’artériosclérose [1].
Plusieurs nouvelles synthèses publiées récemment indiquent elles aussi que le régime végétarien est associé avec des risques réduits de nombreuses maladies civilisations [2] [3]. Attention toutefois, les auteurs mettent également en garde des effets potentiellement négatifs, notamment sur les risques de carence en vitamine B12 et en fer pour les femmes.
Cette position positive et favorable au végétarisme est d’ailleurs largement soutenue par l’Ecole de Santé Publique de Harvard, l’une des institutions publiques les plus sérieuses sur la nutrition et la santé, qui propose une série de recettes végétariennes à intégrer dans une alimentation équilibrée.
Une diète également soutenue par l’Association Américaine de Diététique, qui regroupe des milliers de praticiens, et qui indique dans une publication de 2009 l’ensemble des bienfaits et des contraintes du végétarisme. Selon l’association, « des menus végétariens ou végétaliens bien menés sont appropriés à tous les stades de la vie, comprenant la grossesse, la lactation, l’enfance et l’adolescence [4]. »
Cette position a été soutenue par une récente synthèse de la littérature scientifique, et publiée dans un journal de bonne qualité. Cette étude indique que les végétaliennes ne font pas courir de risque majeur pour la santé du bébé pendant la grossesse [5]. Les auteurs mettent cependant en garde contre les carences en vitamine B12 et en fer, déjà pointées du doigt plus haut dans ce billet.
En bref, il apparait aujourd’hui inconcevable de tenir ce genre de propos dans un journal avec une audience grand public. Il est inconcevable de pointer du doigt les dangers du végétarisme à la cantine alors que la majorité des preuves scientifiques s’accordent sur les bienfaits de cette diète. Il est finalement inconcevable de dénigrer le végétarisme (avec le végétalisme) appliqué aux cantines scolaires alors que cette mesure ne concernerait que quatre repas sur 21 au cours d’une semaine.
Cela est d’autant plus scandaleux que les menus proposés dans les cantines manquent généralement dramatiquement de légumes et de fruits, et proposent des fritures, des viandes transformées, du pain blanc et des crèmes desserts en excès selon plusieurs enquêtes indépendantes.

Le sacro-saint calcium des produits laitiers

J’aimerais réagir en détail sur un point en particulier, sur l’argumentation de M. Bourre pour justifier la consommation de produits laitiers. Selon le professeur, et c’est un argument classique, il serait impossible de « satisfaire nos besoins réels en calcium et d’apporter plus de 50 % des quantités recommandées ».
Il est étonnant que le professeur aux multiples casquettes ignore le fait que les recommandations en produits laitiers, afin de satisfaire nos besoins en calcium, sont largement surévaluées. L’Organisation Mondiale de la Santé indique elle-même un « paradoxe du calcium » où les pays qui en consomment le plus possèdent une mauvaise santé osseuse.
  • L’allégation du professeur ne tient pas compte de la biodisponibilité du calcium des végétaux et de certaines eaux minérales supérieure à celle des produits animaux.
  • L’allégation du professeur ne tient également pas compte des besoins en calcium qui diminuent dès lors que l’on consomme moins de viande, moins de sel et que l’on améliore son hygiène de vie (sport, tabagisme, alcool, etc.).
  • Finalement, l’allégation du professeur ne tient pas compte du dernier programme de l’OMS qui permet de connaître votre risque de fracture et qui ne prend pas en considération la part des produits laitiers.
Mais pourquoi M. Bourre se place-t-il à ce point-là à l’opposé du consensus scientifique ? Pourquoi M. Bourre déteste-t-il le végétarisme et le végétalisme ?

Beaucoup de bêtises et de conflits d’intérêts

En réalité M. Bourre est bien connu du grand public et des professionnels de la santé ou de l’agroalimentaire puisqu’il cumule plusieurs bourdes télévisées, en parlant notamment d’Hitler et du végétarisme (oui oui, on parle bien du vrai point Godwin).
M. Bourre cumule également les liens d’intérêts avec l’industrie agroalimentaire. L’enquête de Thierry Souccar et d’Isabelle Robard démontrait les liens entre le professionnel et l’industrie de la charcuterie, de l’huître, de l’œuf, du pain et même du pruneau.
Plus grave encore, Lanutrition.fr publiait les avis de deux spécialistes de la santé cardiovasculaire qui indiquaient les dangers de suivre les recommandations du professeur Bourre.
Pour conclure, même si cette tribune peut paraître intéressante de prime abord et aborder certains aspects importants sur la nutrition, elle est avant tout un concentrée de désinformation et de méconnaissance des avancées scientifiques sur ce sujet.
M. Bourre tente de démontrer l’intérêt majeur des protéines animales et la faiblesse de l’association des protéines végétales alors que l’Anses, notre autorité scientifique sur l’alimentation et la santé, indique, et je cite, que « les régimes végétariens […] permettent d’assurer un apport protéique en quantité et en qualité satisfaisantes pour l’enfant et l’adulte. »
Les tribunes partisanes, écrites par des professionnels dont le libre-arbitre peut décemment être remis en question, doivent être intensément combattues. La réalité scientifique doit primer sur les intérêts financiers et les considérations subjectives.

Notes et références
[1] Pilis, W., Stec, K., Zych, M., & Pilis, A. (2014). Health benefits and risk associated with adopting a vegetarian diet. Roczniki Państwowego Zakładu Higieny, 65(1).
[2] Orlich, M. J., & Fraser, G. E. (2014). Vegetarian diets in the Adventist Health Study 2: a review of initial published findings. The American journal of clinical nutrition, 100(Supplement 1), 353S-358S.
[3] Sabaté, J., & Wien, M. (2015). A perspective on vegetarian dietary patterns and risk of metabolic syndrome. British Journal of Nutrition113(S2), S136-S143.
[4] Craig, W. J., & Mangels, A. R. (2009). Position of the American Dietetic Association: vegetarian diets. Journal of the American Dietetic Association, 109(7), 1266-1282.
[5] Piccoli, G. B., Clari, R., Vigotti, F. N., Leone, F., Attini, R., Cabiddu, G., … & Pani, A. (2015). Vegan–vegetarian diets in pregnancy: danger or panacea? A systematic narrative review. BJOG: An International Journal of Obstetrics & Gynaecology, 122(5), 623-633.
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