L’URNWA pourrait être contrainte de cesser de sauver des vies à Gaza : le monde restera-t-il de marbre ? (The Guardian)
L’URNWA pourrait être contrainte de cesser de sauver des vies à Gaza : le monde restera-t-il de marbre ?
Article originel : Unrwa may be forced to stop saving lives in Gaza. Will the world let that happen?
Par Philippe Lazzarini *
The Guardian, 20.12.24
L’agence pourrait être contrainte de cesser son travail dans les territoires palestiniens occupés dès le mois prochain, si la législation passée par le parlement israélien venait à être mise en œuvre. Les lois paralyseraient la réponse humanitaire à Gaza, et priveraient des millions de réfugiés palestiniens de services essentiels en Cisjordanie occupée, Jérusalem-Est compris. Aujourd’hui, la communauté internationale se trouve à un croisement.
L’indignation face au projet de démanteler l’UNRWA et ses opérations essentielles s’est en grande partie dissipée. L’enjeu est plus important que jamais, et le temps presse.
L’UNRWA, l’Agence des Nations Unies chargée de la protection et du bien-être des réfugiés palestiniens depuis trois quarts de siècle, a toujours été conçue pour être temporaire. La fin de son mandat était prévue dès sa création. Le choix qui se présente à nous aujourd’hui consiste soit à jeter aux orties l’investissement de plusieurs décennies dans le développement humain et les droits de l’Homme en démantelant l’agence de manière chaotique du jour au lendemain, soit à poursuivre un processus politique bien engagé dans lequel l’UNRWA continuerait de fournir une éducation et des services de santé à des millions de réfugiés palestiniens, jusqu’à ce que des institutions palestiniennes aient les moyens de prendre le relais.
L’agence pourrait être contrainte de cesser son travail dans les territoires palestiniens occupés dès le mois prochain, si la législation passée par le parlement israélien venait à être mise en œuvre. Les lois paralyseraient la réponse humanitaire à Gaza, et priveraient des millions de réfugiés palestiniens de services essentiels en Cisjordanie occupée, Jérusalem-Est compris. Elles élimineraient aussi un témoin direct des innombrables horreurs et injustices subies par les Palestiniens depuis des décennies.
Les efforts éhontés du gouvernement israélien pour contrarier la volonté de la communauté internationale – exprimée à travers de multiples résolutions des Nations Unies – et démanteler unilatéralement une agence des Nations Unies ont suscité une indignation et une condamnation publiques qui se sont en grande partie dissipées dans une inertie politique. Le manque de courage politique et de leadership moral, précisément là où nous en avons le plus besoin, n’augure rien de bon pour notre système multilatéral.
Qu’est-ce qui est en jeu ? Pour les réfugiés palestiniens, rien de moins que leur vie et leur avenir. Interdire l’accès à l’éducation, aux services de soin et de santé, ainsi qu’à d’autres services sociaux, aura un effet dévastateur sur plusieurs générations. Toute complicité dans cette entreprise érode, non seulement notre humanité, mais aussi la légitimité de notre système multilatéral. L’absence quasi-totale de sanctions politiques, économiques, ou juridiques pour les violations flagrantes des Conventions de Genève, le mépris affiché pour les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations Unies, et le refus manifeste des décisions de la Cour Internationale de Justice, tournent en dérision l’État de droit international.
La guerre contre les Palestiniens à Gaza s’accompagne de l’agression sans précédent de tous ceux qui parlent ou agissent pour défendre les droits de l’Homme, le droit international, et les victimes d’une guerre barbare. Les travailleurs humanitaires avec des dizaines d’années d’expérience auprès de populations affectées par la guerre, se retrouvent soudainement accusés de terrorisme ou de complicité avec des terroristes. Ceux qui critiquent la politique et les actions du gouvernement israélien sont harcelés et menacés. La propagande incendiaire diffusée par le ministère israélien des Affaires Etrangères se retrouve maintenant sur des panneaux publicitaires dans des lieux stratégiques aux Etats Unis et en Europe, ainsi que sur des publicités Google promouvant des sites internet de désinformation. Ces efforts largement financés visent à détourner l’attention de la brutalité d’une occupation illégale, et des crimes internationaux commis sous nos yeux en toute impunité.
Le gouvernement israélien et ses affiliés justifient les actions entreprises contre l’UNRWA par des accusations selon lesquelles l’agence serait infiltrée par le Hamas, bien que toutes les allégations étayées par des preuves aient fait l’objet d’enquêtes approfondies. En parallèle, le Hamas accuse la direction de l’UNRWA de collusion avec l’occupation israélienne, et s’oppose aux efforts de l’agence en faveur de la promotion des droits humains et de l’égalité des sexes. Loin de prendre part au conflit, l’UNRWA est une des victimes de cette guerre.
Les efforts pour discréditer et éventuellement démanteler l’UNRWA visent un objectif simple : éliminer le statut de réfugié palestinien, et modifier unilatéralement les paramètres établis de longue date pour une solution politique au conflit israélo-palestinien. La poursuite aveugle de cet objectif a négligé le fait que le statut de réfugié palestinien n’est pas lié à l’UNRWA, mais inscrit dans le cadre d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies qui précède l’établissement de l’agence.
Aujourd’hui, la communauté internationale se trouve à un croisement. Une des voies mène à un monde dans lequel nous renions notre engagement en faveur d’une solution politique à la question de la Palestine. Il s’agit d’un monde dystopique, où Israël, en tant que puissance occupante, est seul responsable de la population vivant au sein des territoires occupés palestiniens, sous-traitant potentiellement l’occupation à des acteurs privés encore moins responsables devant la communauté internationale.
L’autre voie mène à un monde où les garde-fous de l’État de droit international tiennent bon, et où la question palestinienne est résolue par des moyens politiques. C’est le chemin qu’emprunte actuellement l’Alliance globale pour la mise en œuvre de la solution à deux Etats, créée à l’initiative du Royaume d’Arabie Saoudite, de l’Union Européenne, et de la Ligue des Etats arabes. Cet effort, qui ravive l’initiative de paix arabe, vise à établir une irréversible marche à suivre vers une solution à deux Etats, et à donner à une administration palestinienne les moyens de gouverner le futur Etat de Palestine, bande de Gaza comprise.
C’est la voie que l’UNRWA a vocation à soutenir. En attendant l’établissement d’un Etat palestinien, l’agence sera essentielle pour veiller à ce que les enfants de Gaza ne soient pas condamnés à un avenir dans les décombres, sans éducation, et sans espoir. Aucune autre entité, à l’exception d’un Etat opérationnel, n’est en mesure d’éduquer des centaines de milliers de filles et de garçons, ou de dispenser des soins de santé primaires à des millions de Palestiniens. Dans le cadre d’une solution politique, l’UNRWA pourra progressivement achever son mandat ; ses professeurs, médecins et infirmiers devenant le personnel qualifié d’institutions palestiniennes indépendantes et autonomes.
Il est encore temps d’éviter un avenir cataclysmique, où puissance militaire et propagande façonnent l’ordre mondial, déterminant où et quand les droits de l’Homme et l’État de droit s’appliquent, si tant est qu’ils s’appliquent encore. Nous avons les outils et institutions adéquats pour défendre et renforcer notre système multilatéral et notre État de droit international. Nous avons simplement besoin de trouver le courage politique d’en faire usage.
* Philippe Lazzarini est Commissaire-Général de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
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