dimanche 26 juillet 2020

(Quand l'UE essaie d'interdire la vente de semences libres en France pour protéger les multinationales de l'agro-alimentaire. note de rené)


Ventes de semences : les réactions à l’opposition de la Commission

Le 10 juin 2020, la France adoptait un article de loi qui permettait enfin la vente, à des non professionnels, de variétés du domaine public non inscrites au Catalogue officiel des variétés. Mais le 23 juin, apparemment pas encore informée que cette loi avait été adoptée, la Commission expliquait dans un « avis circonstancié » que cet article ne pouvait être adopté en l’état. Inf’OGM s’est procuré cet avis et sa diffusion a permis aux différents acteurs de réagir. Voilà les positions de la Confédération paysanne et du Réseau Semences Paysannes, l’Union française des semenciers (UFS) ne nous ayant pas répondu.

Depuis 2016, certains élus tentent de légaliser officiellement la possibilité de vendre des semences du domaine public non inscrites au Catalogue à des non professionnels. Deux lois plus tard, toutes deux rejetées par le Conseil constitutionnel [1], cette possibilité de vente était enfin inscrite dans le droit français, par l’article 10 de la loi relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, promulguée le 10 juin [2].
Au moment du vote au Parlement, le Gouvernement et certains députés avaient clairement affiché leur rejet de cette possibilité au motif d’une incompatibilité avec les directives européennes. Cependant, pour que le reste du projet de loi puisse quand même être adopté, Didier Guillaume, l’alors ministre de l’Agriculture, avait prévenu :« le Gouvernement notifiera cet article auprès de la Commission européenne afin qu’elle puisse donner son avis sur sa compatibilité avec la réglementation européenne » [3]. En cas de doute de compatibilité légale d’une règle technique, un gouvernement doit en effet consulter la Commission avant son adoption [4].

Que reproche la Commission à la France ?

L’avis circonstancié, bien que document public, doit être demandé par des canaux bien précis à la Commission. Inf’OGM a obtenu ce document dès le 10 juillet et l’a immédiatement publié sur son site Internet, pour le rendre accessible aux acteurs du dossier [5]. Cet avis, rédigé le 22 juin, méconnaît de façon surprenante l’adoption définitive de la loi française le 10 juin. Il notifie à la France que ce « projet de loi » viole plusieurs directives européennes (voir encadré).

L’avis circonstancié [6] de la Commission [7]

Pour la Commission, le projet de loi :
- « ne considère pas que la variété de semence vendue au consommateur final constitue une exploitation commerciale soumise, en tant que telle, aux exigences de commercialisation prévues à la directive 2002/55/CE [8], et n’est donc pas conforme à l’article 2, paragraphe 1, point a) de la directive 2002/55/CE et à l’article 1er bis de la directive 66/401/CEE [9], selon lesquels le terme "commercialisation" désigne «  la vente, la détention en vue de la vente, l’offre de vente et toute cession, toute fourniture ou tout transfert, en vue d’une exploitation commerciale, de semences à des tiers, que ce soit contre rémunération ou non » ;
- introduit des dérogations pour des semences ne relevant pas du champ d’application de la directive 2009/145/CE ; [NDLR : les variétés menacées d’érosion génétique] ;
- accorde des exemptions à certaines exigences qui vont au-delà de la directive 2002/55/CE et la directive 66/401/CEE, et ne se fondent pas sur les possibilités de dérogations prévues dans lesdites directives
 ».
En résumé moins juridico-technique, la Commission relève une non-conformité sur la possibilité de commercialisation (c’est essentiellement sur ce point que réagissent les acteurs interviewés ci-dessous), après examen de des différents textes de la réglementation européenne semences existante.
En conséquence, la Commission demande à reporter de six mois la période d’examen de la loi et somme le Gouvernement français « d’informer la Commission des suites qu’il entend donner à cet avis ». Interrogé, le Chef du bureau français des semences et de la protection intégrée des cultures, Laurent Jacquiau, nous informe que « l’analyse est en cours chez [eux] ». Enfin, la Commission rappelle qu’en cas d’adoption de ladite loi sans tenir compte de cet avis, elle « pourrait engager une procédure conformément à l’article 258 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».
Mais la procédure TRIS de consultation devient caduque dès lors que la règle est adoptée, comme c’est le cas ici. D’autres procédures entrent alors en jeu [10]. La Commission nous précise en effet qu’elle pourra, si elle le juge pertinent, « demander des éclaircissements et/ou émettre une réaction vis-à-vis les autorités françaises ». De même, il faut savoir que cet article est fragile, car, nous précise la Commission, « les particuliers peuvent invoquer les articles 5 et 6 de la Directive (UE) 2015/1535 devant un juge national [car] cette disposition refuse l’application d’une [telle] règle technique nationale ». Ces articles invoquent l’obligation de reporter de plusieurs mois (selon les cas) l’adoption d’une règle technique lorsqu’elle est en consultation et fait l’objet d’un avis circonstancié de la Commission ou d’un État membre. Ils n’évoquent pas le fait que « seuls les particuliers » puissent invoquer ces articles, donc a priori n’importe quelle entreprise pourrait également adopter cette démarche.

« En vue de » ne signifie pas « dans le cadre de »

La Confédération paysanne et le Réseau semences paysannes (RSP) dénoncent conjointement l’amalgame fait dans les expressions "en vue de" (une exploitation commerciale) et "dans le cadre de" (une exploitation commerciale). « Certes, analyse Guy Kastler de la Confédération paysanne, la vente à un utilisateur final non professionnel est une activité commerciale puisqu’il s’agit d’une vente, mais elle ne se fait pas "en vue d’une exploitation commerciale" dès lors que le destinataire ne peut être qu’un utilisateur final ne faisant aucune exploitation commerciale de la marchandise qu’il a achetée, ni revente de semences, ni vente de la récolte. Ce qui n’est évidemment pas le cas de la vente "en vue d’une exploitation non commerciale" de semences achetées à des tiers. L’achat pour revente, et donc la première vente, s’est bien faite en vue de la revente, donc "en vue d’une exploitation commerciale", et fait donc tomber le lot de semences dans le champ d’application de la réglementation. Les obstacles auxquels se heurte la nécessaire évolution de cette réglementation ne doivent pas être instrumentalisés pour interdire les échanges directs entre paysans, au nom de l’entraide [11]et/ou amateurs aujourd’hui exclus de son champ d’application ». 
Le RSP, quant à lui, « réaffirme son interprétation des directives européennes concernant la commercialisation de semences : l’obligation d’inscription au Catalogue officiel des variétés, ne concerne que les cessions faites « en vue d’une exploitation commerciale de la variété », ce qui ne comprend pas par exemple la vente directe à des jardinier.ère.s amateurs, des collectivités territoriales ». Et il conclut : « Aujourd’hui comme hier, il est donc possible de faire circuler (échange, troc, vente directe) ces semences non standardisées par le Catalogue officiel » [12] ».
Inf’OGM ne dispose d’aucune information sur une éventuelle procédure engagée par la Commission contre la France. On peut d’ailleurs se poser la question de cette promulgation avant la fin du délai de réponse de la Commission : n’y avait-il pas là un calcul pour à la fois faire croire que le Gouvernement français défendait cet article, mais en même temps satisfaire le lobby semencier en pointant Bruxelles comme obstacle à cet article ?
La Commission pourrait d’ailleurs aussi ne rien faire avant la réforme prévue des directives européennes commercialisation des semences [13] et laisser en attendant l’initiative au Gouvernement français et aux acteurs économiques. En effet, ces derniers, malgré la promulgation de cette loi à laquelle ils étaient opposés, pourraient poursuivre tout vendeur de semences de variétés non enregistrées au Catalogue du simple fait que cette loi n’est pas opposable aux tiers vu qu’elle a été adoptée sans respecter la procédure européenne. À la grande satisfaction des grandes entreprises semencières qui veulent peser sur la réforme annoncée pour renforcer encore leur monopole. D’autres acteurs, autour de Kokopelli, appellent au contraire le Gouvernement français à défendre sa loi [14], si elle venait à être attaquée devant un tribunal national ou la Cour de justice de l’UE qui aura sans doute quelque difficulté à remettre en cause son arrêt de 2012 [15], lequel concluait déjà à une non conformité de ce type de commercialisation (prôné par l’article 10) avec le droit européen...
Interrogée également, l’Union française des semenciers (UFS), qui représente 135 entreprises semencières implantées en France, n’a pas encore répondu.

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