Gaz de schiste : ma stupéfaction devant le reportage du Monde
Un puits de gaz de schiste à l’est du centre-ville de Fort Worth, en septembre 2011 (Xavier Frison/Politis)
Quelle fut ma stupéfaction en découvrant le reportage du journaliste Jean-Michel Bezat publié sur Le Monde du 26 juillet, à l’occasion de sa visite à Fort Worth, sur le territoire Texan [un reportage financé par Total sans que cela soit révélé aux lecteurs, ndlr]. Mes constatations sur le terrain m’amènent à livrer une autre version des faits.
L’équivalent de 2,4 millions de piscines olympiques d’eaux polluées
N’en déplaise aux partisans d’un optimisme béat, l’exploitation du gaz de schiste présente quelques rédhibitoires inconvénients. Commençons par le sort réservé à l’or bleu par nos amis de l’or noir. Pour effectuer une fracturation hydraulique, chaque puits nécessite 20 millions de litres d’eau mélangés à du sable et à un cocktail d’environ 500 produits chimiques.Le spectacle est édifiant. On peut admirer au Texas des files de camion de plus de trois kilomètres de long qui attendent consciencieusement d’injecter leurs marchandises dans le sous-sol. Le processus de fracturation en lui-même dure environ cinq jours, et le puits doit être alimenté toutes les douze minutes par un nouveau camion. Au final, 80% de l’eau injectée – soit seize millions de litres de cette mixture, stagnent dans le sol, et personne n’est en capacité aujourd’hui d’indiquer le devenir de cette « potion magique ».
Bientôt, ce seront pas moins de 450 000 puits qui seront forés dans le sol des Etats-Unis. Pour évaluer le désastre, le calcul est simple : environ 7 200 milliards de litres d’eaux polluées, soit l’équivalent de 2,4 millions de piscines olympiques stagneront dans le sous-sol américain. A cela s’ajoutent des risques majeurs de contamination des nappes phréatiques et des eaux de surface liées aux techniques de forage et au traitement des eaux usées.
Pire que le charbon
Autre argument fréquemment cité : le gaz de schiste serait une aubaine pour en finir avec le charbon, véritable menace pour le climat. A ce stade pourtant, rien ne le confirme. En effet, le volume de fuite de méthane inhérent à l’exploitation des gaz de schiste fait débat. Certaines études et de nombreux interlocuteurs rencontrés in situ avancent que le bilan global pourrait s’avérer équivalent, voire pire que le charbon (cf. l’étude réalisée par l’université de Cornell).Mais bien plus encore, à cela s’ajoutent d’autres impacts sur la biodiversité et la santé. D’après les mesures effectuées par les scientifiques de The Nature Conservancy, l’impact d’un site d’exploitation détruit quatre à cinq hectares d’espaces naturels et fragmente ainsi les habitats nécessaires à la conservation de la biodiversité.
Concernant la santé des populations, on peut légitimement se poser des questions. La contre-enquête du film « Gasland », intitulée « Truthland » et financée par les compagnies gazières, se garde bien d’insister sur ce point. Les bassins de rétention des eaux usées sont très rudimentaires et laissés à l’air libre. « Quand ces retenues d’eau débordent, plus aucune végétation ne pousse et du bétail meurt », m’a confié un texan pro-gaz de schiste rencontré sur place. L’évaporation du liquide dans l’atmosphère n’est pas évaluée et ne doit par conséquent pas être sous-estimée.
En raison de l’irréversibilité des conséquences qu’ils entraînent, les choix énergétiques nous concernent tous. A quelques semaines de la conférence gouvernementale sur la transition énergétique, notre capacité à résister aux lobbys et à préserver le bien commun est plus que jamais d’actualité.
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