Comme, je n'ai pas envie d'écrire, je vous propose une nouvelle sur le monde clauque des usagers de crack?
UNE RENCONTRE
EN
ENFER
par rené guiart
Sacré nom de dieu, qu’est-ce qu’elle est sombre cette rue. Un vrai coupe gorge ! Je ne sais pourquoi, je m’y ballade à cette heure sans et pourquoi mes pas m’y entraînent.
Faut dire que le bas de la rue Marcadet, ce n’est pas le pied. A une heure du matin, tu te demandes si tu vas pas te faire dépouiller par les crackers qui par groupes se rencontrent, attendent le dealer et te mate comme si t’étais un extra-terrestre.
En fait, je ne sais pas quoi foutre de ma vie, à l’instant. Alors, je traîne. Je n’ai pas envie d’aller au café, je n’ai pas envie de voir des potes. J’ai envie de rien, à part suivre mes pas et voir où ils m’entraînent.
Pour l’instant, j’ai l’air con à l’intersection de la rue Marcadet et de la rue Poissonnière, à attendre, je ne sais quoi, debout, immobile, sans bouger.
C’est vraiment une connerie, un truc à se faire agresser bêtement, seulement, mes pieds refusent d’avancer. Je dois avoir l’air d’un psychotique.
Tiens, il se passe quelque chose, un fourgon s’est arrêté le long du trottoir. L’intérieur s’éclaire. Un type en descend et ouvre la porte latérale. C’est marrant, tous les gars et les filles se précipitent, je voie des mains se tendre, des filles qui pénètrent à l’intérieur et je les vois s’asseoir à travers les vitres.
Les mains se remplissent de gobelets en plastique et me semble-t-il en les voyant revenir vers moi de paquets de gâteaux.
Mes pas impulsivement se dirigent vers le groupe compact, la curiosité sans doute. Deux gars bloquent la porte du fourgon, distribuant café, sirops divers, paquets de gâteaux, et l’outillage indispensable aux camés pour qu’ils évitent de se contaminer. Je fais la queue et lorsque mon tour vient, je demande : “ Un café au lait, s’il vous plaît ? Non, on ne se connaît pas, je suis nouveau dans le quartier. Des gâteaux, j’veux bien, merci. Qu’est-ce que je consomme, rien...de l’alcool, comme tout le monde. Une adresse ? Rue Philippe de Girard ? D’accord, merci...au revoir. “
Sympas, les gars. Ils nomment tout un chacun par son prénom comme s’ils les connaissaient depuis longtemps. Rue Philippe de Girard, pourquoi pas, après tout. J’ai rien à foutre en ce moment et le travail ne me courre pas après. Ca pourrait m’occuper. Après tout, je fais aussi parti des glandus, à traîner ma vie dans l’inquiétude de ne pas trouver du travail et avec les copains qui quittent le navire les uns après les autres. Il est vrai que le chômage est une maladie qui s’attrape lorsqu’elle dure trop longtemps. En plus, on est coupable de ne pas en trouver assez vite, comme si on avait envie de rien foutre et de prendre du plaisir à glander sans jamais s’arrêter. On se retrouve au café et, eux ils ont l’impression qu’on n’en a jamais démarré.
Tu les vois partir au resto ou ailleurs et toi, tu restes là devant ton verre au trois quart fini en attendant que quelqu’un de connaissance apparaisse. Tu rencontre d’autres personnes plus proches de ta galère et ensemble, vous faîtes le tour de l’horizon avec des mots qui passent le temps. Alors, pourquoi ne pas aller rue Philippe de Girard, voir les paumés. Après tout, je m’emmerde comme un rat mort. Pourquoi ne pas essayer de voir ce que les autres font ou plutôt voir ce qu’ils sont ? Ca ne risque pas de me démolir plus que le chômage. C’est quelque chose à envisager, ça pourrait être une manière d’être utile à quelqu’un et à arrêter de me regarder le nombril du soir au matin. C’est ça qu’ils me disent mes camarades qui ont du travail “ Arrête de te regarder le nombril et bouges-toi le cul ! “
Oui, peut-être, j’irais demain ou après-demain, mais l’idée me plaît et je sais que je ferais la démarche, pour voir.
Finalement, mes pas me ramènent vers le métro, me ramènent chez moi dans le 14ème, dans mon modeste espace où mon ennui se construit au fur à mesure que mes demandes d’emploi reçoivent des réponses négatives.
Comme d’hab, une fois rentré, je sens les murs se refermer. Comme d’hab, je me suis arrêté chez l’épicier pour m’acheter un pack de bières. Comme d’hab, je commence ma tambouille en m’ouvrant une mousse. Comme d’hab, j’allume ma télé et mon ordi, regardant l’une, laissant l’autre allumé, en attente d’une hypothétique inspiration.
Une fois, ce rituel accompli, je m’allonge et j’attends, que d’une part l’eau finisse de bouillir, de l’autre que s’annoncent les nouvelles. A partir de là, il me restera encore cinq heures à me morfondre avant le dodo.
Ce qu’il faudrait, c’est quelque chose qui bouleverse ma vie, qui me fasse penser que j’en reste l’acteur principal sans avoir l’impression de me faire balancer d’un côté, de l’autre des murs.
C’est vrai que j’en ai marre, marre de traîner la vie, et quand je dis traîner la vie, c’est parce que j’ai la conviction que ce n’est pas de la mienne dont il s’agit. Bof, peut-être que les camés vont me réveiller, on verra demain, car c’est demain que j’irais, j’en ai trop d’être seulement ce que je suis.
Le lendemain, comme d’hab, je me traîne. Jamais, je ne bois de café ou ne mange quoi que ce soit le matin. C’est une habitude que j’ai prise quand je travaillais. Depuis, elle est restée. Seulement de l’eau de source et trois cigarettes me suffisent. Ensuite la douche, un coup de rasage, un coup de brossage de dent et le mec est fin prêt pour sa tournée du matin au Pole emploi. J’ai déjà fait au moins deux formations de six mois grâce à l’agence. Mais aucune n’a m’a amené vers l’emploi. De toute façon, c’est bientôt la fin de mes indemnités et bientôt le RMI. Tout ceci me donne une espèce de certitude de ne plus rien valoir, de ne plus rien représenter pour personne. Faut dire aussi que je n’ai plus de nana depuis longtemps, depuis que mes recherches infructueuses m’ont gâté le caractère, me rendant méchant et caractériel. Et des fois, j’ai l’impression que lorsque j’annonce mon état social à une femme, c’est comme si je l’entendais se dire que mieux vaut réfléchir à deux fois avant de vouloir jouer les prolongations avec looseur. Maintenant, j’ai acquis une bonne perception de la manière dont les autres me jaugent. Dire que a contrario, je suis quelqu’un qui ne juge pas me semble facile, j’ai comme tout le monde, malgré ma situation, besoin de me sentir égal ou supérieur à quelqu’un. Cela me réconforte comme tout un chacun. Mais, je ne compte pas le faire avec les camés. En fait, si je suis honnête avec moi, j’ai sans doute besoin d’eux. Et, c’est sans doute la raison qui va me conduire rue Philippe de Girard.
Bon, je vais arrêter de réfléchir sur mon pauvre petit sort. La journée commence et je suis prêt pour la recherche d’emploi. Heureusement, j’habite à côté, juste le boulevard Arago à traverser et j’y suis. Une fois à l’intérieur, j’y reste en général une heure, le temps de voir les annonces murales, de relever ce qui pourrait être intéressant, de demander les références à un conseiller, de remplir les lettres sur place et ensuite de poster le tout....sans illusion.
Finalement, une fois sur le trottoir, le Pole emploi me parut une mauvaise direction. Surtout que depuis hier, les nouvelles propositions d’emplois ne devaient pas se disputer. Je me pose la question, vais-je y aller tout de suite où me rendre au café, en boire un et voir si une connaissance n’y traînerait pas à cette heure. Comme mon café n’est pas loin de la rue Philippe de Girard, pour l’une ou pour l’autre destination, le changement est Gare du Nord. D’ici là, j’aurais eu le temps de réfléchir. Mes pas choisirent pour moi, ils me dirigèrent vers le RER. Comme toujours le matin, beaucoup de monde se rend au travail et toujours, on trouve les mêmes en train de mendier dans les rames. Il y en avait un, plus particulièrement qui retenait mon attention. Maigre à faire peur, des vêtements sales et odorants flottants autour d’un corps décharné, des yeux exorbités dans un visage osseux mangé par une barbe peu fourni.
Il arrivait complètement déchiré, baragouinant des mots incompréhensibles parmi lesquels on arrivait à saisir “Mesdames, messieurs, un ou deux euros pour manger”. Il avait un air à faire peur aux enfants, et souvent, son agitation ne rencontrait aucun succès. Depuis que je l’observais, j’avais compris qu’il naviguait avec deux autres personnes, un homme et une femme dans le même état. Ils se partageaient les rames et se retrouvaient entre chaque station pour évaluer leur avoir.
Je m’imaginais bien les clients de la rue Philippe de Girard dans cet état. Un frisson me parcourut. Si tel était le cas, je ne sais trop ce que j’allais y faire.
Arrivé à Gare du Nord, j’hésitais sur le couloir dans lequel j’allais m’engager. Après tout, le café ne bougerait pas et, au moins j’aurais quelque chose à raconter. J’optais donc pour Philippe de Girard.
Je m’enfilais le long couloir jusqu’à la station La Chapelle pour sortir rue Marx Dormoy. Devant moi, le square de la chapelle. Une fois, je m’y étais arrêté avec une amie. Nos ébats buccaux avaient vite été interrompus par le manège de crackers en pleine consommation. Même les mères de familles n’osaient plus y amener leurs enfants et nous avions été obligés de nous transporter ailleurs.
Tiens, maintenant que j’y pense, c’est vrai que je l’aimais beaucoup. Elle était belle comme un jour, une belle femme noire comme on peux en rêver la nuit. Bon, trêve de souvenirs douloureux, engageons-nous. La rue, Philippe de Girard se trouve au niveau de la station Marx Dormoy, mais on peut aussi y accéder en traversant le Monoprix à proximité. La rue est pleine de boutiques, beaucoup de pakistanais ou d’indiens, une population bariolée. En nombre la population africaine, rebeu ou indienne. Beaucoup de circulation aussi, car la rue donne sur le périphérique et les boulevards. Beaucoup de restaus rapides grecs, turcs, chinois. Une rue populaire pleine de mouvements
D’ailleurs me voilà au magasin.
Je traverse le Monoprix et me retrouve face au numéro indiqué, pile dessus. On dirait une ou plutôt deux espèces de boutiques, deux espèces de grandes devantures vitrées, avec portes également vitrées. Portes d’ailleurs ouvertes, ce qui se comprend, vu la chaleur de ce début d’été.
La boutique en face de moi, me laisse apercevoir des femmes qui s’agitent, je perçois des voix perçantes. A l’intérieur, des tables, des chaises et au bout de la pièce une espèce de comptoir où semble trôner deux cafetières. Dans l’autre boutique, des hommes rentrent et sortent. Certains discutent devant la porte, beaucoup de mouvements par contre se laisse deviner à l’intérieur. C’est l’endroit que m’a indiqué le gars de l’autre nuit. Par curiosité, je m’attarde en me collant dans la cabine téléphonique en face pour pouvoir mater à l’intérieur. Des chaises, des tables, pareils qu’à côté et un morceau de comptoir qui se laisse deviner. Des hommes assis, mangeant et buvant dans des tasses ou des gobelets.
Allez, il faut y aller, me dis-je en surmontant un instant d’hésitation. Je traverse la rue, les deux types devant la porte me regardent bizarre, je dis bonjour, ils me répondent salut. Je pénètre dans les lieux.
A peine franchie la porte, je me retrouve dans une pièce étroite, quatre mètre sur huit où trois tables, entourées exactement de onze chaises se disputent l’espace. Toutes occupées pratiquement que par des blacks et quelques rebeus. Devant le comptoir quatre blacks également occupés à manger des céréales. Je ne sais où me diriger, je reste bloquer, mes pieds se refusant à avancer. Un sourire stupide sur les lèvres, je zoom alentour. Marrant, presque tous les rebeus ont une ou deux balafres sur le visage, pas les blacks. La plupart sont maigres, nombre d’entre eux ont un regard traqué, fatigué. Certains dorment affalés sur les chaises ou la tête dans les coudes sur une table. Je ne sais que faire, que dire. Un brouhaha constant augmenté d’une musique zouk plane sur les conversations. A cause de cela, les voix ne portent pas à travers la pièce. Deux ou trois blacks dansent au rythme comme savent le faire les antillais. J’entends un salut auquel je ne répond pas, ignorant qu’il m’est adressé et trop fasciné par le spectacle pour faire attention.
Mal m’en prend, car un black se place devant moi, la figure déformée par la colère.
“J’te dis bonjour et toi sale blanc, tu réponds pas. Tu te prends pour qui connard ! “
Je suis interloqué, l’autre me prend même par le paletot. Que dois-je faire, appeler à l’aide ou m’écraser.
Je choisis de m’écraser.
“ Alors connard, tu m’réponds ? “
“ Excuse, j’t’ai pas entendu. “
“ Fils de pute ! “ - sa voix monte en crescendo. Là, je trouve qu’il exagère. Brusquement une personne intervient, le saisissant par le bras.
“ Arrête Alberto, calme-toi, tu vas pas encore mettre le souk. C’est un nouveau. Laisse-le débarquer. Allez va t’asseoir, j’t’amène un café. “
Et se retournant vers moi.
“ Allez donc prendre un café, Lydia va vous servir. “
Je me dirigeais vers le comptoir, saluant la jeune fille derrière.
Elle m’interpelle.
“ Bonjour, vous pouvez me donner votre prénom, s’il vous plaît ? “
“ Pascal Jourdain. “
“ Non, juste votre prénom, ça suffit et votre date de naissance si c’est la première fois que vous venez ? “ - elle écrit sur un registre - “ vous voulez boire quelque chose, café noir, au lait, thé, jus d’orange, peut-être des céréales, vous choisissez “ - ajoute-t-elle en m’indiquant une série de paquets posés sur une planchette derrière elle.
“ Café au lait, s’il vous plaît. “
Elle est bien potelée la petite et en tout cas a un charmant sourire. Elle se saisit d’un gobelet sur une pile fixée à la porte du placard mural, appuie sur la cafetière et me le remplit à moitié, ajoutant du lait.
“ Le sucre et les Toullettes sont sur le comptoir. “
“ Merci, je pourrais aussi avoir des céréales. “
“ Bien sûr, lesquelles ? “
“ Les mêmes “ - lui répondis-je en indiquant le bol de mon voisin où des fraises surnagent. Elle se saisit d’un bol, le remplit, recouvre le tout de lait et me le tend, toujours avec son beau sourire.
“ Merci. “
Je commence à manger tranquillement, essayant de saisir les conversations autour de moi. La jeune fille m’apostropha.
“ Vous connaissez l’association Charonne ? “ - sur ma réponse affirmative, elle continua - “ vous savez ce que l’on fait ici ? - sur ma réponse négative, elle poursuivit. - “ nous sommes une association qui travaille sur la toxicomanie, vous êtes toxicomane ? “ - sur ma réponse négative, elle poursuivit - “ rien, vraiment, même pas de l’alcool ? “
“ L’alcool, si. “
“ En tout cas, ici, vous pouvez laver votre linge, vous doucher. Nous avons un docteur trois fois par semaine et un infirmier tous les jours. Si avez des problèmes administratifs, en tant qu’éducateurs, nous sommes là pour vous aider. Nous travaillons aussi sur la prévention. Nous avons également des préservatifs à disposition. “
Elle ne puit continuer, car d’autres personnes l’accaparèrent. Elle devait les connaître depuis longtemps, car elle plaisanta en riant avec eux, les nommant par leurs prénoms.
Je me remis à manger tranquillement, cherchant à capter les conversations autour de moi. La salle d’eau était dans le sous-sol et des personnes montaient et descendaient sans cesse. Bientôt, je finis par repérer trois éducateurs, à part la jeune fille derrière le comptoir. Parfois, ils venaient la rejoindre et servaient eux aussi. Tous appelaient les clients par leurs prénoms. Entre eux, ils utilisaient le terme usagers. Je remarquais alors un écran de télévision installé dans un des placards muraux. Manifestement, on voyait une salle d’eau et des gens s’y agiter, occupés à se laver le visage, à se brosser les dents ou remplir des machines de linges.
Après avoir fini et mes céréales et mon café, je demandais à aller aux toilettes. Il me fut indiqué le sous-sol. Je descendis les escaliers, m'effaça pour laisser passer quelqu’un qui remontait. Je fus accueilli par un éducateur black, lui aussi. “ Les toilettes ? “ lui demandais-je.
“ Il faut attendre, c’est occupé. “
Je restais debout. Les voix étaient à la limite de l’énervement. Extrêmement sollicité, l’éducateur ne savait pas où donner de la tête. Tout le temps obligé de tempérer les demandes ou les récriminations, il n’avait pas le temps de souffler. Les usagers étaient nerveux, très revendicatifs. Dans un coin, un autre éducateur auquel je n’avais pas prêté attention soignait les pieds d’un usager. Par curiosité, je jetais un oeil, l’éducateur me sourit. Je dois dire que je fus impressionné. Les pieds étaient dans un état ! Je n’avais jamais vu ça. Déformés, couverts de plaies suintantes.
Il les nettoyait et les désinfectait avec délicatesse. Le spectacle me donnant plutôt l’envie de gerber, je me retournais pour regarder les autres. Ils n’étaient pas tous maigres, mais aucun ne semblaient en bonne santé. Beaucoup avaient les dents très abîmées. Au bout de dix bonnes minutes, je finis par interpeller l’éducateur trop accaparé par les autres.
“ Vous êtes sûr qu’il y a quelqu’un à l’intérieur ? “
“ Oui, je suis sûr. “ et il se leva pour venir cogner contre la porte.
“ Eh, Farid, tu t’es endormi ou quoi. T’es pas le seul au monde ! “
Une voix sortit des toilettes.
“ Fais pas chier, j’ai la chiasse, ça peut arriver non. “
“ T’es sûr que tu fais pas autre chose ? “
“ Ca va, j’arrive, arrête de m’emmerder. “ Et effectivement, la chasse d’eau résonna et la porte finit par s’ouvrir.
“ C’est toi qui fais chier. “ - me demanda le rebeu au visage en lame de couteau qui en sortit. - “ la prochaine fois, j’te coupe, t’as compris ! “ - ajouta-t-il en approchant son visage du mien d’un air menaçant.
“ Arrête, Farid, et remonte en haut. “ - lui dit l’éducateur en le poussant par le bras vers l’escalier. “ J’t’attends en haut. “ - me dit l’autre en s’y engageant.
“ T'inquiète pas, il est toujours comme ça, mais il est pas dangereux. Dans deux minutes, il t’aura oublié. “
“ Merci. “ et je m’engageais dans les toilettes, en pensant que j’avais jamais dit autant merci que depuis que j’étais entré dans cet endroit. En tout cas, travailler là-dedans, ne devait pas être une sinécure.
Je fis ce que j’avais à faire et remontait. Le type qui m’avait agressé était affalé sur une table, complètement KO. Bon débarras !
Une chaise étant libre, je me posais et attendit comme semblaient le faire la plupart des types présents. J’évitais par prudence de fixer les personnes, une atmosphère légèrement électrique planant sur le lieu. Le brouhaha devait être permanent ici, entre la musique, les gens qui s’apostrophaient, ceux qui discutaient et ceux qui s’engueulaient. Entre tous ceux-là, les éducateurs se la jouaient à la valse permanente. Une porte au fond de la salle donnait sur ce que je compris être des bureaux. Là aussi, une valse incessante de gens rentrant, sortant, se jouait.
Mon voisin se leva.
” Tu veux un café ? “
“ Merci, j’veux bien, deux sucres, s’il te plaît. “
Il revint avec les deux cafés.
“ Moi, c’est Pascal. “ - lui dis-je.
“ Tito. “
Il se rassit, sirotant lentement son café.
“ T’as un plan ? “
La question posée sur un mode feutré ne réveilla même pas mon autre voisin plongé dans un sommeil bienheureux, mais me surpris néanmoins. De quel plan parlait-il ? Par prudence, je répondis par la négative.
“ Moi, j’en ai un, si t’as des tunes. “
“ Tu sais, moi “ - dis-je d’un air négligent - “ je suis Rmiste. “
“ Alors, on l’est tous. “
Sans savoir pourquoi, un élan me poussa à m’enfoncer, l’ennui sans doute.
“ Tu proposes quoi ? “
“ Je sais pas, qu’est ce que tu veux, du chichon, de la galette. Pour les deux, j’ai. “
Au lieu de freiner des quatre fers, je lui sortis, sans réfléchir, sans doute pour faire le malin.
“ Le chichon, c’est bon, j’ai ma dose. “
Mais quel diable de l’enfer me poussa à donner une telle réponse. Je m’enferre sans savoir pourquoi, et je me condamne à y aller. Il faut que je revienne en arrière. Je sais qu’est-ce que c’est que le crack. J’en ai entendu parler, c’est l’enfer.
“ Je peux t’avoir une galette. C’est 39 euro; “
Une galette, de quoi me parle-t-il. Je croyais qu’il voulait me vendre du crack. Qu’est-ce que c’était encore cette merde-là.
“ En échange, du service, tu me feras fumer. “
Des cailloux ? Il est grave ce mec, il veut me vendre des cailloux. Je préfère ne pas lui répondre. Mais devant mon silence obstiné, l’autre se met à insister en rapprochant sa chaise pour me fixer de visage à visage.
“ Tu veux du crack ou tu me prends pour un con. “
Ses yeux sont devenus fixes, méchants. C’est pas vrai, ils sont tous excités dans cette tôle. Tu ne peux pas parler une minute sans qu’il y en ait un qui pète les plombs. Mais me voilà bien dans l’embarras avec l’autre yeux exorbités. Pourtant, on m’avait prévenu de ne jamais jouer avec les camés. Avec eux, on sait où on met le doigt, mais on ne sait jamais quand ils vont le couper. L’autre malade me dit de regarder sa main, je regarde et discrètement, il me montre un cutter fermé. La gueule balafrée des rebeux autour de moi, ne me rassure pas et, justement celui-là en a une au cou, ce dont je ne m’étais pas aperçu. Je le regarde dans les yeux, sans ciller, ce qui me demande un effort aussi démesuré que de ne pas trembloter.
“ C’est quoi le problème ? “
“ Le problème, c’est que tu me prends pour un con ! “ - il me regarde méchant - “ On sort, si t’es un homme. “
C’est pas vrai, je me fais agresser dans une foule. Et je sais même pas pourquoi. En tout cas, c’est parti tout seul, carrément dans la provoc. Toujours mes yeux dans ses yeux, je lui sors : “ J’ peux pas, j’ai peur d’attraper la grippe. “
Alors là, ses pupilles font la culbute dans ses orbites. Je devine sa main se crisper sur son cutter. Ca va partir en frite et la plus grillée, ça va être ma pomme.
Brutalement, l’autre se déforme la figure et éclate d’un rire énorme, plein de postillons dirigés vers ma figure. De quoi attraper un bataillon de maladies.
“ AHAHAHAHAHAH ! Toi, t’es un mec ! AHAHAHAHAH ! “
Il se lève tout en continuant à rire et franchit la porte. Je le regarde toujours, il s’est immobilisé sur le trottoir et me regarde. Dans un geste lent, il se passe le pouce sur la gorge tout en me lorgnant sévère, puis s’en va.
Encore un drôle celui-là. Au moins ici, on ne s’ennuie pas.
Qu’est-ce qui se passe encore ? Ah, une table qui valse, des chaises qui se renversent, deux types qui se mangent la gueule. Aussitôt, les éducs arrivent, retiennent l’un, retiennent l’autre, calment l’un, entraînent l’autre dans les bureaux. Les discussions reprennent comme si de rien.
Derrière le comptoir, les éducs ont permuté. La jeune fille a été remplacée par deux hommes. Elle, a disparu par la porte qui mènent aux bureaux, peut-être serait-il temps de quitter les lieux. J’attends, je réfléchis. Finalement, Je ne sais pas pourquoi, je reste le cul scotché sur la chaise. Qu’est-ce que j’attends ? Sans doute la curiosité, et peut-être une envie qu’il arrive quelque chose.
Il y a beaucoup d’antillais, je dirais même une majorité. Tiens, le type qui m’a ennuyé aux douches se réveille. Il jette un regard perdu autour de lui, le glisse sur ma personne, indifférent. L’éduc avait raison, il m’a complètement oublié. Sans doute, l’effet de la came.
Une impulsion, je me lève, demande deux cafés et en présente un au type au cerveau embrumé.
“ Tu veux un café ? “
Il me regarde les yeux tellement dans le vague qu’ils donnent l’impression de loucher. Le merci ne franchit pas ses lèvres. Il commence à siroter sans s’occuper le moins du monde de ma personne. Moi, je reste debout comme un con, le temps nécessaire pour me poser la question du raison de mon geste, alors que peu de temps auparavant, je le vouais aux gémonies. Pour me donner du genre, je me dandinais sur mes jambes, l’air du canard qui ne sais pas faire “coin, coin. “
Le brouhaha commence à me gaver, le souk à me saouler. La chaise à côté se libère, j’en profite pour m’y poser. Mon type se lève pour se diriger vers le comptoir et revenir avec deux bols de céréales.
“ Tiens, mange ! “ - me dit-il en m’en présentant un.
Une main tendue sans doute. Sans dire merci, comme lui. Je mange l’air absent comme ils font tous. D’un coup d’un seul, j’ai décidé de me faire passer pour l’un d’entre eux. Et pour ce faire, quel meilleur moyen que me fondre dans leurs comportements, leurs tics et leurs expressions orales. Je ne sais pas où ça va me mener, mais autant faire ça que rester la bouche ouverte en avalant les mouches des offres d’emploi inutiles.
“ Tu fais quoi après ? “
Sans le regarder comme lui, je réponds.
“ Rien, zoner. “
Il ne parle plus, muet comme la tombe de ma belle-mère. Je racle le fond de mon bol avec conscience. J’attends. Les minutes passent, j’attends. C’est pas le genre bavard ce type. Il a dû apprendre le français dans une cage à lapin, son vocabulaire est restreint.
“ Ca te dit un plan ? “
“ Faut voir. “
Pourquoi, je lui dis ça. Une espèce d’envie que ça change, juste que ça change. Pour que se dissipe ce brouillard qui me ronge la tête et la vie et que meurt l’inactivité où je ne suis plus rien. Cette fois-ci, c’est moi qui cause, toujours sans le regarder, l’air indifférent.
“ Quand ? “
“ Faut voir. “ - C’est un gros malin. C’est comme ça la vie, pleine de gros malins.
Mon type se lève, se dirige vers la porte, sans rien dire et, disparaît. J’ai pas bougé, j’ai rien dit. Bof, il est peut-être temps que je parte, je vais quand même pas prendre racine ici. Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Ah, oui, faire un tour au troquet, et de toute façon comme il me reste pas trop de tunes, je ne vais pas taper l’incruste. Après, j’irais faire mes lettres de motivation. Oui, c’est ce que je vais faire.
Je me lève, personne ne s’occupe de moi. Bon, très bien, je m’en vais. A la porte, je me retourne, lève haut la main et dit “ Salut tout le monde ! “
Seul, le mec qui danse au milieu de la salle me répond. Il a un sourire qui ressemble à une mape monde, c’est à dire jusqu’aux oreilles.
Je remonte la rue Philippe de Girard en direction de Marx Dormoy. Je vais en avoir pour au moins un quart d’heure avant la rue de Clignancourt. Autant le faire dans le nonchalant, de toute façon, j’ai le temps.
Arrivé au niveau du Crédit Lyonnais, j’aperçois mon type, il est avec une fille, une rebeu. Il me fait face, même s’il n’a pas l’air de s’apercevoir de mon existence. J’avance tranquille, en me dirigeant vers le métro, je le croise automatique. La fille est grassouillette, avec une lourde poitrine et un cul proéminent, exactement ce que j’aime. Je suis presque arrivé à son niveau. J’espère qu’il va me parler. Je regarde droit devant moi, comme s’il n’existait pas.
“ Eh, mec ! “
Il m’a interpellé. Je fais semblant de le découvrir comme si j’avais été plongé dans mon monde. Je m’arrête, je souris à la fille.
“ Ouais ? “
“ T’aurais pas 20 euros ? “
Carrément 20 euros, l’autre. Il me prend pour Crésus.
“ Désolé, mec. 10, c’est tout. “ - Qu’est-ce qui me prend. Je suis naze au quoi ? J’ai pas de tunes et je suis prêt à lui refiler 10 euros, comme ça, pour sa gueule de blanche neige.
“ Vas-y, donne ! “
Merde, même pas un merci. Je fouille mes poches et lui refile le biffeton chiffonné. Mon regard ne peut pas s’empêcher de reluquer la fille. Elle me botte vraiment et elle s’en aperçoit.
L’autre, il se tourne vers elle.
” On y va. “ - Aussi sec, il se casse avec elle, me plantant là, comme un con que je suis. Je ne peux m’empêcher de le héler dans une dernière tentative.
“Eh ! On se revoit ? “
Pas de réponse, l’autre, il continue en discutant avec la fille tout en moulinant avec ses bras. Je continue à les suivre du regard ou plutôt à la suivre elle.
Sur le trottoir en face, ils bloquent, ça a pas l’air d’aller. Ils ont en l’air de s’engueuler. Brusquement, la fille le quitte et revient dans ma direction. Lui, file dans la rue Ordener pour disparaître au coin d’un bâtiment. Je ne bouge pas, comme paralysé à la regarder elle, venir vers moi. J’ai peur qu’elle ne passe sans me regarder. Elle approche, elle est là, devant moi, souriante. Je lui rends un sourire automatique.
“ Tu m’offres une bière ? “
Une bière à cette heure-là. Il est à peine onze heures ! Bon, pas de problème, je lui prends le bras que je sens bien en chair à travers le tissu. Un frisson me parcourt.
“ Non, pas vers le café, on va aller chez l’arabe. “
Pourquoi pas au café, et pourquoi chez l’épicier. Nous pénétrons dans la rue Riquet, le magasin est juste à côté. A peine entrée, elle se dirigea vers l’armoire réfrigérante et se choisit deux 8/6, deux bières fortes que moi- même je n’ai jamais pu ingurgiter.
“ Non, pas de 8/6 pour moi, juste une 64. “
“ Mais, c’est pas pour toi, c’est pour moi. “
Ah, bon, deux 8/6, mais moi, déjà avec une, je suis considéré comme mort. J’vais quand même l’accompagner avec deux 64. Mais, je me connais, deux appelle trois, trois appelle quatre, et quatre, le reste. Si, elle, elle continue à la 8/6, on va être pété en moins de deux. Perso, j’aurais vu la rencontre en plus romantique, là, ça craint sérieux.
Munis de nos bières, nous nous retrouvons sur le trottoir.
“ On va où ? “ - lui demandais-je.
Derrière, à côté du marché, on va s’asseoir sur une bite et boire tranquille. Sur une bite - me dis-je in petto, qu’est-ce qu’elle veut dire par là. C’est de la provoc ou quoi. Elle cherche à m’allumer ou elle est nature. Après lui avoir jeté un coup d’oeil pour vérifier, je décide qu’elle est nature.
Bientôt, nous fûmes arrivé et chacun assis sur sa bite, nous nous mîmes à écluser. Le goût de la bière, si tôt le matin, me fit grimacer. Elle, rien du tout. Elle commença à s’en envoyer une lampée à faire tomber un mec comme moi par terre. Je émis un hoquet, le manque d’habitude.
“ Alors, tu fais quoi dans la vie ? “ - me demanda-t-elle.
“ Rien, chômedu. “
“ Tu te défonce à quoi ? “
A elle, je n’allais pas raconter des craques, c’est sûr qu’elle allait me la faire à l’envers en moins de deux.
“ La Beuh et alcool. “
“ T’as jamais goûté du crack. “
“ Non ! “
“ T’as du fric ? “
“ Un peu, pourquoi ? “
“ Pour rien, comme ça. “
Mon oeil, pour rien, comme ça. Elle me prend pour un teubé, celle-là. Faudrait être le dernier des imbéciles pour ne pas comprendre qu’elle me prend pour le pigeon qui va lui payer sa dope. Mais, moi, c’est pas sa dope que je vise, c’est autre chose. Elle me fait vraiment craquer, surtout quand elle se penche et me laisse plonger dans son décolleté. J’en ai des frissons qui me remontent jusqu’à la dernière vertèbre de la colonne vertébrale.
Elle ouvre sa deuxième bière alors que j’en suis à la moitié de la mienne. Et là, elle me fait un sourire sensuel qui me fait m’étouffer dans ma gorgée de bière. Cela, la fait rire, d’un rire clair et cristallin. Je ris à mon tour, content de l’instant qui nous rapproche et nous unit. Curieux, malgré tout, je lui demande : “ Tu fréquente la boutique ? “
“ Oui, et toi, je ne t’y ai jamais vu. “
“ J’y étais aujourd’hui pour la première fois. “ - et toujours curieux - “ C’est ton copain avec qui tu étais ? “`
“ De temps en temps. “
C’est tout, j’attends, mais elle n’en dit pas plus. Du coup, je finis ma bière pour ne pas me trouver con avec une réponse que je n’aurais pas.
“ On fais quoi après ? “ demande-t-elle.
Là, elle me prend par surprise. Mais, ma réponse est toute prête. “ Chez moi ! “
“ Alors, on s’en reprend deux pour la route ! “
Euh, et si on mangeait avant, mais je n’ose lui suggérer de crainte qu’elle ne change d’avis. Moi, par contre, j’ai la dalle et l’alcool n’est pas fait pour la calmer, mais peut-être qu’à la quatrième, cela ira mieux. Remarque ma deuxième, je la finis aussi vite qu’elle. Bon, il est temps de se lever et d’aller chez moi. Au magasin, finalement, elle s’en prend trois, moi de même. Arrivé devant le café de Marx Dormoy, elle se fait héler par deux renois. Ils se mettent à discuter sans plus s’occuper de moi. Moi par contre, j’ai une sacrée envie de pisser, je m’échappe dans le café pour satisfaire mon envie sans oublier de le lui signaler. A la manière dont elle cause, elle en a pour un moment, je prends mon temps. Ah, ça fait du bien. Au moment, où je me reboutonne, je l’entends m’appeler. J’ouvre la porte, toujours en train de ma reboutonner. Elle est là, devant moi. D’un air décidé, elle me repousse à l’intérieur et referme la porte derrière elle. Nous sommes collé à cause l'exiguïté du chiot. Je sens ses seins à travers ma chemise.
“ T’as pas vingt euros ? “
“ Euh ? “
“ Attends. “
Elle me colle ses mains sur ma braguette et commence à en défaire les boutons. Puis, elle se met à genoux et commence à me faire une fellation. Nom de dieu, elle suce bien la salope. Je sens tout de suite la montée du plaisir, surtout que j’avais envie d’elle depuis le premier regard.
“ Putain, c’est bon, c’est bon. “ - ne puis-je m’empêcher de soupirer.
C’est fini, ça a été trop rapide, déjà, elle se relève. Je lui répète en la regardant droit dans les yeux: “ C’était bon. “
Elle me dit, les yeux également dans les yeux.
“ Maintenant, mes vingt euros. “
Ah, merde, elle gâche tout.
“ Tu me dois vingt euros, alors tu vas me les donner ! “ - sa voix est montée un tantinet.
“ Mais, pourquoi ? “ - lui répondis-je bêtement.
“ Pour mon crack, connard ! “
Sa voix a encore monté un ton dans l’aigu. A son avis, je dois être trop lent, car elle me sort un cutter et le place sur mon visage et répète : “ Mes vingt euros, connard ! “ Là, c’est carrément l’enfer, c’est pas possible, je suis en train de me faire braquer par une fille. Mais, c’est surtout le terme connard que je supporte pas beaucoup. Pourtant, je décide de ne pas trop réfléchir, son cutter trop sur mon visage ne me laisse pas de doute. Cette salope est prête à me balafrer.
Alors, devant tant d’insistance et un visage laid par la méchanceté exprimée, je sors des billets, trente euros en tout. Alors que je veux séparer les billets pour lui refiler les vingt euros, elle se saisit du tout, rouvre la porte et avant de disparaître, me jette. “ Si tu préviens les flics, j’te ferais la peau, pauvre enculé ! “
J’en reste baba, les doigts sur ma braguette pour la reboutonner. J’ai pourtant l’esprit de lui gueuler : “ C’est quoi ton prénom. “ Je l’entends répondre “ Aicha ! “
En plus, cette salope, elle m’a sûrement tiré les bières. Je n’ai vraiment pas l’air con. Non seulement, j’me suis fait piqué mon fric et en plus, la fille se tire avec deux renois.
Lorsque, je me retrouve à l’air libre, évidemment, plus personne ! Elle a vraiment disparu avec ces deux cons de renois, même pas beaux en plus. Même en regardant à travers les immeubles, je ne la retrouverais pas. Mais maintenant que je sais qu’elle fréquente la boutique, je suis sûr de la retrouver. Bon, tout ce qu’il me reste à faire, c’est de tirer du fric au Crédit Lyonnais à côté. La bière m’a laissé un sale goût dans la bouche, il faut que je mange quelque chose, un turc du coin fera parfaitement l’affaire.
Après, j’irais dans mon café rue de Clignancourt, au moins là, je ne risque pas de me faire braquer dans les chiottes. C’est plus tranquille
Sauf que je voudrais bien la revoir, où peut-elle être ? Peut-être que si je revenais à la boutique, je finirais par apprendre dans quel coin, je pourrais la retrouver. C’est une salope, mais j’aimerais bien la revoir, au moins pour la curiosité.
Après tout, elle m’a fait vivre autre chose, passer un vent d’aventure et pour cela, je lui dois d’avoir existé, même si sur le moment, je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait. Oui, c’est ce que je vais faire après avoir casser une croûte, revenir à la boutique. Ca serait bien le diable, si personne n’est capable de me dire où la trouver. De toute façon, tout de suite, c’est fermé. Ils m’avaient prévenus qu’ils n’ouvraient qu’à 14 heures, le temps pour eux de manger et de faire un break.
Mon repas ne fut pas trop mauvais, ni d’ailleurs très cher, accompagner d’un coca-cola pour faire passer la bière. Une fois fini, mes pas me dirigèrent vers la boutique. En début d’après-midi, il n’y avait presque personne et que des gens calmes dont deux dormant profondément. Je me dirigeais directement vers le comptoir où la jeune fille à nouveau officiait.
“ Ca va ? “ - me dit-elle - “ est-ce que je pourrais avoir votre prénom ? “
“ Je vous l’ai donné ce matin. “
“ Oui, mais nous comptons tous les passages le matin et l’après-midi. “
“ Pascal. “
“ Merci, je peux vous servir quelque chose, café au lait, thé, jus d’orange ? “
“ Un petit noir, avec plaisir. “ - j’en profitais pour lui demander - “ Dites-moi, vous ne connaîtriez pas Aïcha ? “
“ Äïcha, si pourquoi ? “
“ Vous ne sauriez pas où je peux la trouver ? “
“ Trouver Aïcha, non, je ne sais pas, peut-être à l’espace femme. “
“ L’espace femme ? “
“ Oui, c’est la boutique à côté, réservée aux femmes. Vous devriez demander. Elle y est peut-être. “
“ Merci. “
Je bus mon café d’un trait avant de sortir et me diriger à côté. La salle était aussi grande, c’est à dire aussi petite, un comptoir aussi trônait au bout de la salle. La salle d’eau, les WC et une machine à laver se situaient derrière. Sept femmes discutaient ensemble par groupe ou s’interpellaient. Une jeune femme, sans doute une éducatrice frappait à la porte de la douche en parlant fort.
“ Sandra, dépêche-toi, ça fait une heure que t’es sous la douche. Qu’est-ce que tu fais ? Tu t’es endormie ? “
Une voix criarde et en colère répliqua de derrière la porte.
“ J’arrive, arrête de m’emmerder. “
“ Ouais, c’est ça, dépêches-toi quand même ! “
Tout à coup, la porte s’ouvrit et une furie nue comme un ver et dégoulinante surgit.
“ Qu’est-ce que t’as à m’emmerder, qu’est-ce que t’as. Tu me cherches, c’est pas possible, tu me cherches ! “
Aussitôt trois femmes se levèrent dont deux jeunes, se dirigeant aussitôt vers la folle furieuse. La plus âgée parla la première d’une voix autoritaire.
“ Tu te calmes Sandra, depuis que t’es arrivée, tu nous mets la pression. On peut pas travailler avec toi dans ces conditions ! Tu te calmes et tu finis de t’habiller, après on parlera ! “
“ On parlera de quoi ? Toi, d’abord. ! “ - dit-elle en désignant la femme qui venait de parler - “ depuis que je suis arrivé, tu me cherches, fais gaffe, tu me prends pas pour une conne, j’vais te ruiner ta race, sale pute ! “
A ce moment-là pour détendre l’atmosphère, je me mis à toussoter relativement brutalement “ Hum, hum, hum ! “
Toutes se retournèrent d’un seul coup.
La folle furieuse n’était même pas belle avec des seins qui croulaient par la maigreur de son corps. La tête, même topo, grêlée de crevasses comme la face visible de la lune. Bref, pas de quoi réveiller un mort. Si Aïcha faisait partie de ce monde, je comprenais pourquoi, elle était un peu nerveuse.
“ Oui, c’est quoi ? “ - demanda la plus âgée.
La folle furieuse eut quand même un geste féminin et cacha ses seins avant de réintégrer la douche sans plus rien dire. Finalement, rien de mieux qu’une présence masculine pour calmer les ardeurs féminine. Je devrais me proposer comme éducateur.
“ Excusez-moi, je cherche Aïcha. “
Le groupe de femmes se replia dans ma direction. Elles furent bientôt là à me cerner. J’en ressentis un malaise comme si tous les molosses de l’enfer me fixaient d’une ardente passion.
“ Oui, Aïcha. “ - ajoutais-je brusquement intimidé.
“ Qu’est-ce que tu lui veux à Aïcha ? “ - m’aboya la plus âgée. Les autres refermaient le cercle sur moi. Je fus certain qu’elles allaient me castrer.
“ Rien, je veux juste la rencontrer. “ - et là j’eux l’idée géniale - “ parce que je l’aime ! “
Elles me regardèrent soudain avec de grands yeux et brutalement éclatèrent toutes de rire. D’un rire homérique, d’un rire qui détruisait ma connerie et ma grande naïveté.
Une fille assise m’interpella, genre pas vraiment fille, mais plus assez garçon.
“ Laisse tomber Aïcha, mon mignon. Elle va te détruire et elle te laissera même sans un slip pour te couvrir. Si t’as besoin d’une femme, je suis là. Je m’appelle Carole. “
L’intervention de la fille eut le don d’accroître le fou rire général. Décidément, jamais je ne serais éducateur. Encore une déception dans ma vie.
Une des jeunes éducs m’adressa la parole avec un sourire.
“ On lui dira. Mais aujourd’hui, on ne la pas vu. Et en général, si elle n’est pas là avant deux heures, elle ne vient plus. Mais demandez à côté, vous aurez peut-être plus de chance. “
C’est ça, et après, je demanderais au gardien de la paix et, après le gardien de la paix, je demanderais à la dame pipi, peut-être que l’un ou l’autre sauront me répondre.
“ Au revoir ! “ - me dirent-elles, la bouche en queue de poule pour étouffer leur fou rire.
Pas fiérot, je m’en retournais. Echec sur toute la ligne.
De l’autre côté, du monde était arrivé. Un parmi eux semblait particulièrement agité. Il interpellait tout le monde, sans que personne ne semble lui demander de se calmer. Quand, il me vit arriver, il s’approcha à me regarder sous le nez, et quand je dis sous le nez, c’est carrément nez à nez. Je ne dis rien, laissant passer un orage que je sentais prêt à éclater à tout moment, tout en respirant sa mauvaise haleine et en laissant stoïque ses postillons me ravager le visage. Et ce qui retenait surtout mon courage, c’était sa main dans sa poche agitée de mouvements sporadiques.
“ Bernard, laisse-le ! “
Un éducateur, genre un peu costaud et une figure avenante arriva pour prendre le type par le bras et à mon grand soulagement finir par l’entraîner avec lui.
” Vient, on va dans le bureau, tu vas me dire ce qui ne va pas. “
“ Y’a tout qui va pas, y’a tout. J’me suis fait dépouillé hier, ils m’ont tout piqué, mon fric, mon sac, mes papiers. Mais j’te jure sur la tête de ma mère, j’vais leur niquer leur race à ces enculés. J’vais les trouver et j’vais leur niquer leur race ! “
“ Allez, viens, on va en parler. “
Une fois le zigue parti, je me dirigeais vers le comptoir où la jeune fille était secondée par un autre éducateur. Je leur demandais : “ Qu’est-ce qu’il a ? “
“ Lui, rien “- me répondit-elle - “ comme d’habitude. Hier, il avait plein de sous et il ne sait plus ce qu’il en a fait. Avec lui, c’est toujours comme ça. Il se fait toujours voler et après il veut égorger le monde entier. “
“ Un mec marrant ? “
Devant mon ton sarcastique, son collègue voulut me corriger.
“ Méfiez-vous, il est psy plus, plus. Faut mieux pour vous rester à l’écart. “
Un renoi accoudé au comptoir, son café au lait à la main ajouta d’un air indifférent.
“ C’est une grande gueule doublé d’un connard puissance 8. “
J’attendis la suite, mais rien ne vint. Manifestement, l’autre était passé à autre chose dans sa tête. Ce n’est pas avec ce genre de mec que j’allais avoir une conversation nourrie.
“ Ah, au fait ! Elles n’ont pas pu me renseigner à côté ? “ - dis-je à la jeune fille.
“ Vous renseignez sur quoi ? “ - me répondit-elle.
“ Au sujet de Aïcha, vous ne vous souvenez pas. Je vous ai posé la question tout à l’heure. “
“ Ah, alors si elles l’ont pas vu et nous non plus, c’est qu’elle n’est pas passée aujourd’hui. “
“ Vous ne pourriez pas vérifier sur votre registre ? “
“ Désolé, mais nous ne donnons aucune information concernant les usagers. Vous comprenez, nous sommes tenus par le secret professionnel. “
“ Excusez-moi, je ne savais pas. “
Elle tint à bien m’expliquer le pourquoi du comment.
“ Vous comprenez si un usager vient régler ses comptes chez nous et cherche quelqu’un. Vous voyez la situation où nous pouvons nous trouver imbriquer. “
Moi, je ne voyais rien, mais elle sûrement, vu la conviction de son ton. Et ce qu’elle évoquait ne semblait pas particulièrement agréable.
Sans répondre, je restais les coudes au comptoir, sans savoir quoi décider, sans même avoir envie de tenir une conversation avec quiconque. L’image d’Aïcha se glissait comme un voile sur mes pensées. Et rien ne semblait contrarier ce penchant où m’entraînait un vague à l’âme et surtout un ennui profond.
Que faire, comment la retrouver ? Ce n’est pas tant que je sois tombé éperdument amoureux que la certitude qu’elle pourrait m’amener à vivre autre chose. Et, cela sans que forcément ma vie en soit ni menacée, ni trop bouleversée. En plus, elle était choucarde, ce qui ne gâtait rien.
Mais, oui, la voilà la solution. Il suffit que je me rencarde sur les endroits où elle s'approvisionnait et là, je la retrouverais. Déjà, dans ma tête, un plan s'échafaudait de toute pièce.
Il fallait que je trouve un type qui accepte de m’accompagner pour aller chercher du crack et là peut-être la trouver. Mais d’abord, il fallait que je me renseigne sur leurs habitudes. Je regardais autour de moi pour repérer la personne adéquate, avec de préférence pas trop de balafres et pas trop costaud quand même, au cas où il tenterait de me dépouiller. Mon choix finalement se porta sur un français assis solitaire, la salle s’étant vidée entre-temps, maigre, genre anorexique. Au moins avec lui, je ne pensais pas craindre grand-chose, le souffle d’une allumette allumée aurait suffit à le renverser.
Je commençais par m’asseoir à côté de lui, ne sachant pas vraiment comment aborder le sujet. Lui était affalé, les yeux grands ouverts, fixant un horizon qui n’était sûrement pas le mur en face. Je fis comme lui, mais les coudes sur la table et la tête dans les coudes. Je me mis à parler tout seul, espérant attirer ainsi son attention.
“ Merde, merde, merde ! “ - et je répétais ces seuls mots à l’infini.
A la fin, une voix se fit entendre.
“ T’arrête de nous casser les couilles ! “
Je me relevais, fixant mon voisin comme si je le découvrais. J’en profitais pour vérifier d’un coup d’oeil si les éducateurs s’apercevaient de mon manège, mais trop occupés par ailleurs, ils n’en tenaient aucun compte.
“ Qu’est-ce qu’il y a ? “ - lui demandais-je.
“ T’arrête pas de parler tout fort. Tu me casses la tête ! “
“ Eh, alors, j’suis pas bien, j’ai le droit. “
Dans ma tête, je tentais de m’imaginer comment agissait un type en manque. Car dans mon plan, je devais faire croire que je l’étais.
“ T’as surtout pas le droit d’emmerder les autres ! “
“ M’excuse, mais je me sens vraiment pas bien. “
“ T’es pas le seul. “
Le ton avait baissé. Le poisson accrochait-il ?
Il se leva.
“ Un kawa, peut-être ? “
“ Ouais, s’il te plaît. “
J’adoptais le même ton traînant que lui. Il revint bientôt avec les deux gobelets.
“ Merci, sympa. “
“ Normal, dans la galère. “
J’ai supposé qu’il voulait dire que dans la galère, il fallait s’entre aider. Mais vu ce que j’avais vu, je n’en étais pas vraiment sûr. Nous bûmes dans un silence à couper au couteau, enfin, à la boutique, cela signifiait que personne ne hurlait et que seule la musique s’entendait.
Je commençais à pianoter sur la table pour insister sur mon énervement.
“ T’a la bougeotte ? “
“ Ouais, c’est vrai. “ - toujours sur le même ton traînant - “ je suis un peu nerveux en ce moment. “
“ En ce moment, seulement ? “ - m’interrogea-t-il.
“ Non, ça fait un moment. “
“ T’as besoin de quelque chose ? “
Le ton était resté neutre, les mots avaient été prononcés dans un souffle. Il ne m’avait pas regardé, sirotant toujours son café. L’hameçon avait mordu. A moi de la jouer en finesse. L’autre tâche m’avait fait comprendre que la galette et le crack avait un lien, autant tenter le coup.
“ Ouais, d’une galette. “
“ Et moi, je gagne ? “
“ Si tu m’amènes sur un bon coup, la moitié. “
“ La moitié ! “
Son ton était surpris, mais il révélait une réelle surprise, une surprise sans nom. Là, j’avais peut-être été fort. Il allait me prendre pour un pigeon. Fallait que je corrige le tir.
“ C’est pour un mec de la gauche caviar, un con qui croit tout savoir et plein de tunes. Il en veut pour faire le coq devant des meufs.”
Il sembla avaler l’oeuf pourri sans broncher, sans même un rôt. Il prit la parole de sa propre initiative.
“ Je sais où il y a une scène. Là, je pense qu’on peut avoir un plan. Sauf que ça change tout le temps à cause des flics. Jamais tranquille, “ - ajouta-t-il d’un air désabusé - “ ils sont toujours après nous. C’est à cause d’eux que les modous bougent tout le temps et nous obligent à bouger pareil. “
Il prit le temps d’une pause avant de reprendre - “ T’as une caisse ? “
“ Non. “
“ Une moto ? “
“ Non. “
“ Tes pieds ? “
“ C’est tout. “
“ Ca va être galère. “
C’était un constat désabusé sans plus. Par contre, qu’est-ce qu’il voulait dire par galère. Et c’était quoi une scène, et c’était quoi un modou et c’était quoi cette histoire de flic ? Tout ça me disait rien de bon, mais comme j’étais supposé être au courant, je ne pouvais pas poser de questions.
“ Bon, alors ? “ - C’est vrai quoi, on va pas rester toute la sainte journée, pensais-je.
L’autre regarda l’heure.
“ Il est cinq heure, qu’est-ce que tu crois faire à cinq heure ? “
Mais chercher du crack et retrouver Aïcha pardi. Pensais-je in petto.
“ Messieurs, on ferme ! S’il vous plaît, il est l’heure ! “
Cette injonction fut répétée par tous les éducateurs dont deux descendirent dans la salle de douche pour presser les retardataires. Des voix se firent entendre : “ Allez Fred, Albert, grouillez-vous. Vous exagérez, on a une réunion. “
En me levant, je jetais un oeil sur l’écran. Deux types à demi nus s’agitaient en protestant qu’ils ne pouvaient pas sortir comme ça d’après les échos qui nous parvenaient.
“ On peut pas vous faire confiance, à chaque fois c’est la même chose. “ - disait l’un des éduc. Je n’en entendis pas plus car sous la pression ferme des autres éducs, je sortis accompagné de mon acolyte.
Une fois dehors, ses pas le dirigèrent vers la place Marx Dormoy, je suivis bêtement. J’eus l’idée à un moment de sucer mon pouce, mais l’idée me sembla trop baroque pour que mon compagnon saisisse toute la plénitude de l’à-propos.
Une fois arrivé, il s’arrêta pour me dire : “ tu vas m’attendre où ? “
Je rêve où il me prend pour un pigeon. Il croit vraiment que je vais lui filer des tunes et que je vais bailler aux corneilles en attendant un hypothétique retour.
“ Je vais avec toi. J’ai 40 euros, ça suffira pour voir. “ Heureusement que Aïcha m’avait rancardé sur le sujet.
“ Comme tu voudras. “ - il disait ça d’un air fatigué comme s’il s’attendait à se ramasser la tour Eiffel sur la tête.
“ Alors en fait quoi ? “ - L’envie de l’action m’étouffait. Alors quoi, quand est-ce qu’on allait commencer.
“ On attends. “
“ On attends quoi ? “ - lui répondis-je surpris.
“ L’heure des modous. “
Mais c’est quoi les modous, des vampires des Carpates qui ne sortent que la nuit ou quoi ?
“ Bon attendons. “ confirmais-je.
“ J’ai faim, on peux manger chez un turc en attendant. “ proposa-t-il.
Et comme il a pas une tune, c’est moi qui vais payer. Je vais finir par trouver que les drogués, c’est chaussettes percées et compagnie. Et les mecs plein de tunes, ils sont où. Sûrement pas à la boutique. Là-bas, cinq minutes de distraction, et même ton slip, ils sont capables de te le barboter.
“ J’en connais un, on y va. “ - lui dis-je avant qu’il me propose le turc le plus cher de la planète. Cette fois-ci, ce fut lui qui me suivit. Arrivés chez le turc et après avoir commandé, il me tira une clope de mon paquet sans même me demander. Pas rassuré, je le rangeais aussi sec dans ma poche. Acte qui m’attira la réflexion suivante : “ Si tu veux que je t’amène sur une scène, faudra bien que tu m’en achètes un. “
Tout ça dit sans forfanterie aucune. Comme quelque chose de normal qui ne se discute pas.
“ Ouais, t’as raison. “ - et un silence pesant plana entre nous tout au long du repas. En tout cas, il avait faim, de son assiette de brochettes légumes, il ne fit qu’une bouchée. Il se lécha les lèvres et commenta en finissant sa bière : “ Pas mauvais. “ Merci, ne devait pas participer de son vocabulaire.
Moi, je pris mon temps, commanda deux cafés avant de nous allumer deux cigarettes. Et pour la énième fois, je réitérais : “ Alors, on fait quoi ? “
Il regarda ma montre, “ Six heure moins le quart, un peu tôt, tu crois pas. “ Punaise, le loustic commençait à me parler, à me parler et à me plaire. Il s’imaginait peut-être que j’allais lui payer le Moulin Rouge à la fine champagne et après les petites femmes de Pigalle. Et pourquoi pas la grand-mère du petit chaperon rouge, des fois. Mais, je me retins. Après tout, j’étais toujours supposé connaître le milieu, le milieu et les tarifs pratiqués. Cependant, je n’avais pas vraiment envie de sortir. Sortir signifiait soit traîner dans la rue, soit traîner dans un bistrot et j’avais pas envie de perdre mes moyens. Je bus mon café le plus lentement possible, mais même comme ça, je finis par apercevoir le fond de la tasse, trop tôt à mon goût
Je me fis la réflexion que l’autre n’était pas curieux de ma personne, comme si il en avait rien à foutre. Moi, au contraire, j’aurais voulu lui poser plein de question, mais comme j’essayais de coller à l’image que je tentais de renvoyer, je faisais comme lui, je la fermais. On ne pouvait pas dire que la conversation tranche pas sa chaleur. Si, ils étaient tous comme ça dans le crack, ce n’est pas avec eux que mon vocabulaire allait s’améliorer.
Bon, je commence à en avoir vraiment marre. Je me lève, il me regarde sans trace d’émotion, comme un animal curieux, sans plus. Il ne bouge même pas ce con.
“ On se casse. “ - que je lui dis.
Il ne demande rien, il se lève tout simplement. C’est pas vrai, ça. Si, il avait joué dans un concours de muets, il aurait gagné le gros lot.
Après avoir payé, je sorts et remonte la rue Marx Dormoy jusqu’à la rue Jessaint que je remontais pour atteindre la rue Polonceau. Là, je connaissais un bistrot kabyle “ Le Tassili “ où le patron servait comme amuse gueule de gros cornichons bien vinaigrés, l’un de mes pêchés mignons. Autant passer le temps là qu’à bailler aux corneilles avec l’autre muet en face. Au moins là, il y avait un peu de mouvement et le patron me taillerait sûrement une petite bavette. Par précaution, je lui posais la question, ayant fini par comprendre grâce ce qu’étaient les fameux modous.
“ Ils seront là quand tes modous ? “
“ Huit heures, huit heures et demi. “
Ca s'annonçait bien, il était à peine six heures, pratiquement deux heures à attendre avec la tronche de cake. Comme nous arrivions à côté du troquet, je rajoutais :
“ On va attendre ici, tu penses démarrer quand ? “
“ Sept heure et demi. “
Décidément, il n’était pas bavard. Mais brusquement, avant de rentrer, il me posa une question : “ Tu viens souvent à la Goutte d’Or ? “ Je me retournais vers lui, surpris.
“ Souvent ? Tu veux dire si je connais bien. Eh oui, je connais bien. “ - et c’est tout ce que je lui accorda. En tout cas, sa question n’était pas innocente, il se renseignait, et s’il se renseignait, c’est qu’il voulait savoir si j’étais le cave qu’il s’imaginait. Quand il allait se rendre compte que le patron me connaissait, il réviserait peut-être son opinion. C’est sûrement, la connerie que je n’aurais pas dû dire au sujet de la moitié que j’allais lui filer. Seulement, c’était pas mon milieu et y’a plein de repères que je n’avais pas. En tout cas, sa question me faisait comprendre que j’avais intérêt à me remuer les méninges pour comprendre où je mettais mes pieds.
“ Salut patron ! “ - dis-je en m’installant au comptoir et en posant mon cul sur un tabouret.
“ Salut Pascal ! “
“ Je te présente...euh ? “
“ Rémy. “ - compléta mon compagnon. C’est vrai que nous n’avions pas échangé nos prénoms, encore moins nos noms. Cependant, si lui, s'appelait Rémy, moi je m'appelais Ducon la Joie.
“ Alors, “ - me dit le patron. - “ toujours dans l’écriture ? ” - et pendant une heure et demi, nous discutâmes sans que Rémy intervienne en quoi que ce soit. Deux bières nous suffirent pour atteindre la demi. Il me poussa du coude en indiquant l’horloge. Entre-temps, j’avais remarqué que plus le temps passait, plus il était agité, montant, descendant sans cesse de son tabouret.
“ Bon, salut patron, à plus. “
“ Salut Pascal ! “
“ On va où ? “ - lui dis-je une fois dans la rue.
“ Porte de la Chapelle. Sans trop se presser, là-bas, il va falloir attendre qu’on nous contacte. “
“ Tu connais une fille qui s’appelle Aïcha ? “ - lui demandais-je à brûle pourpoint.
“ Aïcha, oui, pourquoi ? “
“ J’aimerais la voir. “
“ Tu la keef ? “ - me demanda-t-il en se marrant.
Je haussais les épaules, excédé.
“ Peut-être que tu la verras à la Chapelle. “ - dit-il pour conclure.
En descendant la rue Myrha pour rejoindre la rue Marx Dormoy, Rémy salua une tripotée de gars et deux ou trois filles. J’en reconnus quelques uns que j’avais vus à la Boutique. La plupart avaient un sourire édenté. C’était choquant surtout chez les filles, même si elles n’étaient déjà plus de vraies femmes. Dans la bouche de Rémy aussi, il manquait une dent, chez les autres, ils en manquaient plus.
“ On descend à pied, on a le temps. “ me renseigna-t-il.
Jusqu’à la Porte de la Chapelle, on ne dit rien, se contentant de marcher, à part un arrêt au tabac pour acheter deux paquets de cigarettes. Pour ça aussi, il ne dit pas merci.
Bientôt, nous arrivâmes. Deux ou trois connaissances de Rémy attendaient à côté d’une cabine téléphonique près de la station de bus. Il me demanda d’attendre et alla prendre langue avec eux pour, me dit-il, se renseigner sur les lieux de scène. J’en grillais une en attendant, reluquant tout autour de moi. A un moment, je vis Rémy téléphoner sur un portable. Je fus étonné qu’il en ait un, alors que moi qui avais travaillé, je n’en avais jamais eu.
“ Alors ? “ - lui demandais-je à son retour.
“ Rien pour l’instant, faut attendre. Les flics sont passés, y’a pas longtemps et ont ramassé des filles. Y’avait peut-être ta copine dans le tas. “
Qu’est-ce qu’il me chantait là, Aïcha une pute. Non et puis quoi encore. Il était jaloux ou quoi ? De toute façon, son opinion, il pouvait se la carrer. J’en avais rien à faire.
“ Si tu veux, en attendant, on peux aller voir si elle est là. “
Qu’est-ce qu’il me raconte encore. J’avais regardé partout et j’avais rien vu. Et lui, il allait la sortir du chapeau, comme ça, juste en claquant des doigts.
“ D’accord. “ - dis-je sans trop d’enthousiasme.
Je le suivis alors qu’il traversait le boulevard. Je le suivais toujours lorsqu’il le remonta jusqu’au maréchaux. Et encore lorsqu’il les traversa et les remonta sur la gauche pour s’arrêter devant une porte de garage. Un peu plus loin, des noires faisaient le tapin, tentant d’arrêter les voitures par des gestes d’invite.
“ D’habitude, c’est là qu’elle se tient. “ - me renseigna-t-il. J’étais content de le savoir parce qu’elle n’était pas là. Il me racontait sûrement des craques. Mais, à ce moment précis, une voiture vint à se garer. Et qu’est-ce qui en descendit, la mère Aïcha en personne.
“ Salut Aïcha. “ - lui dit Rémy. Elle ne le calcula même pas, trop occupée à parler au conducteur. Elle fit un geste de la main et la voiture démarra.
Dans mon coeur, la colère bouillonnait. Elle faisait la pute pour s’acheter sa came. Mais qu’est-ce qui pouvait bien y avoir dans ce produit pour l’obliger à faire des pipes et donner son cul dans le seul but de se le procurer. J’étais raide dégoutté. Quelle salope, quelle merde cette fille !
Mais malgré mon indignation, je la fermais, vu le côté sombre de son caractère. A mon tour, je la saluais. Elle me regarda indifférente comme si elle ne me connaissait pas, comme si elle ne m’avait jamais vu. J’eus une envie brutale de lui rappeler les faits et de lui réclamer mes tunes. Je n’aimais pas beaucoup être pris pour un con, et en plus par une fille. Sauf, que de son point de vue, évidemment, c’est moi qui lui devais.
Ne sachant quoi dire, je collais un sourire sur mes lèvres et les laissais parler tout les deux. J’entendis caillou et c’est à peu près tout.
Elle me regarda à nouveau, mon sourire eu l’air de l’irriter au plus haut point. Ce fut presque un cri qui me vrilla désagréablement mes oreilles : “ T’es un rigolo toi, hein ! Ma gueule, te plaît pas ? “
Ouh, là, là. Quelle agressivité ! Ce n’est pas possible, elle avait un scorpion dans l’utérus. La seule réponse qui me vint, fut : “ Non, non, je cherche du crack. “
La réponse fut sans doute la bonne, car elle me regarda avec plus d’attention, puis son regard se fit plus incisif. “ Moi, aussi, et le plus vite possible. “ - me répondit-elle - “ tu connais un plan ? “
Je fus un peu pris de court par sa question, vu que je n’y connaissais rien. “ Rémy connaît. “ - eus-je l’esprit de répliquer.
“ Toi ? “- l’interrogea-t-elle d’un air surpris - “ Où, dis-moi ! “ Elle l’interrogeait en imprimant fortement ses doigts sur son bras. Sa voix monta aussitôt dans les aigus à nouveau “ Où, où ? “
“ Mais lâche-moi, bon dieu, lâche-moi ! Tu me fais mal ! “ - devant son insistance, il la repoussa brutalement. “ Lâche-moi, pauvre taré ! “
Elle se mit à reculer sous la poussée et trébuchant s’étala par terre. Sa robe courte lui remonta jusqu’à la culotte, découvrant ses cuisses charnues. Je me précipita pour la relever, mais elle me repoussa méchamment “ Laisses-moi, enculé de teubé ! “ Je faillis en tomber sur le cul à mon tour. Profitant de mon déséquilibre, elle se releva, menaçante envers Rémy “ Sale enculé, j’vais te balafrer ! “ - lui dit-elle en fouillant dans son sac, certainement pour sortir son cher cutter.
Rémy s’avança sur elle et d’un coup de pied lui propulsa son sac dans les airs. Et dans l’élan lui balança une mandale retentissante. Finalement, ce mec n’était pas si gentil et minable que ça. Au moins, il savait frapper les faibles et notamment les femmes. Faut dire que celle-là, sur le mode pénible, elle grimpait au cocotier.
“ Tu recommences, j’te massacre ! “ - la prévint-il aimablement.
“ Et pour le crack ? “ - intervins-je, histoire de changer de conversation et de parler de sujets qui ne fâchent pas.
“ J’ai un plan. “ - dit-elle en se relevant, assez fort pour que nos oreilles la captent.
Nos deux regards la fixèrent sans ciller. Elle ne bougeait pas, nous regardant, méfiante. “J’ai un plan. “ - affirma-t-elle à nouveau.
Celle-là, elle devait aimer les baffes.
Depuis sa démonstration de force, Rémy reprenait la situation en main. “ OK, on te suit. “
Ah bon, je croyais qu’il avait un plan perso. En tout cas, c’est ce qu’il m’avait dit. “ On va où ? “ - demandais-je pour leur rappeler mon existence. Cette fois-ci, ce furent eux qui me regardèrent. J’en ressentis un certain malaise, genre la souris qui regarde les deux chats se demander si le repas ne va pas être trop juste. Drôle d’impression, surtout qu’elle me bottait un peu moins la meuf, même si j’étais toujours transi d’amour. Je ressentais comme un goût de danger à la regarder, le goût du risque de l’aventurier rencontrant une idole et prenant tous les risques pour la baiser tout en s’attendant à être surpris par ses millions d’adorateurs.
« Bon, c’est pas tout ça, mais on fait quoi maintenant ? » Je jetais un oeil interrogateur à Rémy, scotcher sur le trottoir, c’était bien, mais un peu frisquet même pour un soir d’été.
“ Elle est où ta scène ? “ - questionna-t-il.
“ A Stalingrad; “
“ Où à Stalingrad. “
“ Dans un squat, rue Aubervillier.”
“ Alors ? “ - demandais-je à Rémy.
“ Je connais, on y va. Au fait, t’as travaillé ? “ - demanda-t-il à Aïcha.
“ Ouais, j’ai des tunes. Mais lui aussi. “ - lui renvoya t-elle, en me désignant ce qui signifiait qu’elle m’avait reconnu et, sans doute voulu dissimulé cette information à Rémy. Une douce chaleur monta en moi, elle l’avait fait pour me protéger.
“ On y va comment ? “ - suggérais-je histoire de dévier l’attention de ma personne.
“ On prend le métro, autrement tu paies le taxi. “
“ C’est pas la peine, Stéphane est là, il a sa voiture. “
Elle avait de la ressource. Sauf que ça allait faire trois personnes que je ne connaissais pas pour me balader. Un peu trop à mon goût, et tout s’enchaînait un peu trop normalement, à mon avis. J’essayais une diversion : “ Euh, on pourrait pas trouver ici ? “
Aïcha s’approcha de moi : “ T’es mignon, toi “ et elle me caressa la joue.
Une impulsion me fit tenter la prendre dans mes bras. Un court instant, je sentis ses seins appétissants contre ma poitrine. Elle s’échappa en riant, mais le désir qu’elle avait senti me rendit plus sympathique à ses yeux. Je l’aurais suivi jusqu’en enfer.
“ On y va ! “ - lui dis-je avec un grand sourire et je lui pris la main d’un geste tout naturel. Elle se laissa faire, je l’aurais suivi plus loin que les enfers. Et elle allait m’y emmener tout droit.
Le Stéphane, en question, flemmardait dans sa voiture, un chichon au bec écoutant une musique un peu tonitruante. Rémy frappa au carreau. La vitre descendit et découvrit la figure joviale d’un renoi, armé de grandes locks rastas en haut du crâne.
“ Oh, man, comment va ? Ca fais une paye, frère. Content de te voir. “ Il tapa le plat de sa main contre celle de Rémy, puis leurs poings fermés se heurtèrent.
Aïcha fit une bise et moi, je répétais l’histoire des poings, coups de tête, balayette en me présentant, « Salut, Pascal ».
“ Content de te connaître mec. Moi, c’est Stéphane. “ - et s’adressant à Aïcha - “ alors princesse, ça va comme tu veux ? “
“ Tu parles, y’a un zenculé “ - tiens, elle zozotait - “ avec sa meuf, ils m’ont tiré mon fric en me menaçant de me piquer avec une seringue. “
“ Tu les connaissais ? “
“ Rien du tout, je les ai jamais vu. Et je ne pouvais pas me défendre, l’autre connard, il avait une bombe lacrymogène. “
“ Ouais, princesse, tu ferais bien de faire gaffe, y’a les p’tits jeunes des cité, ils dépouillent pas mal de filles sur le boulevard. Et là, tu peux rien faire. Ils ont cassé le bras à une qui voulait résister. Les maréchaux en ce moment, c’est chaud. “
Qu’est-ce qu’ils racontent ces deux là, de quel monde, ils parlent ? Et les flics, ils font quoi ?
“ Stéphane, tu peux nous emmener à Stalingrad ? On va au squat. “
“ Pas de problèmes princesse, embarque ! “ - ajouta-il en ouvrant la portière. “
Aïcha s’installa à l’avant et nous deux à l’arrière. “ C’est parti, accrochez-vous. “ Il démarra dans un crissement de pneu, quitta son emplacement en manquant d’emboutir au moins deux voitures qui circulaient sur l’avenue. Je dois dire qu’on arriva rapido, mais en manquant de mourir au moins quarante mille fois. J’étais collé à mon siège qui évidemment n’avait pas de ceinture de sécurité. Devant, la Aïcha riait comme une petite folle. Complètement branque la fille. A mes côtés, Rémy ne disait rien, comme absent à toutes les conneries. Là, où j’ai failli pisser dans mon froc, c’est quand l’autre freina brutalement pour éviter d’écraser un chien errant. Au moment du freinage, ma tête caressa durement la carrosserie, Aïcha elle, se frotta le museau contre le pare-brise.
“ Espèce d’enculé de ta race ! “
“ Calme-toi, princesse. “ - lui répliqua Stéphane - “ Je contrôle. “ - et il en profita pour lui coller sa main droite sous la jupe.
“ Vire tes sales pattes de là, saloperie ! “ - et dans un geste violent, elle expulsa sa main d’entre ses cuisses. Tout ça, je le visionnais en une fraction de secondes. L’adrénaline me monta direct au cerveau. Mais, la carrure de ses épaules me calma net aussi.
“ Tiens, fume ! “ - et il lui tendit un bédo pour la calmer.
Le reste du trajet se passa dans le silence de la fumette. Au moins, le shit était bon, et le calme se réinstalla en moi. Je sentais physiquement la présence d’Aïcha assise devant moi et des images bucoliques me circulaient devant les yeux. Elle et moi, réunis, entourés d’un millier d’enfants et pourtant, elle restait toujours mince.
Stéphane se gara dans la rue. Nous y étions. La rue avait un air patibulaire, des tas de détritus traînaient par terre, morceau de meubles, de matelas, de choses informes, laissés là en tas. A bien y regarder, tout cela provenait d’un appartement au troisième d’un immeuble qui sans contexte avait été ravagé par les flammes. Les façades des immeubles pelaient de partout, pourtant à travers les vieilles persiennes en bois, des lumières brillaient, des cris et des bruissements se faisaient entendre. Jamais dans mon quatorzième, je n’avais rencontré un tel aspect de l’abandon. Pourtant, la vie grouillait.
“ Alors, tu t’amènes ? “
Rémy s’impatientait alors que les deux autres s’engageait déjà dans le couloir d’un immeuble aux fenêtres murées. Je m’y engageais à mon tour. La porte d’entrée était à moitié sortie de ses gongs, les boîtes aux lettres pendaient lamentablement. Les peintures n’étaient plus que d’anciens souvenirs et l’escalier me provoqua un frisson lorsque j’y posais mon pied. J’eus l’impression qu’à tout moment, j’allais passer à travers. Heureusement, au premier étage, une porte ouverte m’indiqua qu’ici était le lieu du rendez-vous.
“ Fais pas gaffe au mec “ - me prévint Rémy avant que nous entrions. Il a voulu que son chien lui ressemble et lui a cassé la patte. Lui demande rien sur son cleb, il est chatouilleux. “
“ Ca marche. “ - lui répondis-je.
Aïcha et Stéphane étaient déjà assis sur des chaises ou ce qui y ressemblaient. Le squatt était d’une seule pièce, si c’était cela le squat, avec un lavabo collé à un mur. Lavabo plutôt crado qui n’avait sans doute jamais vu d’éponge depuis qu’il avait dû être installé. Une fenêtre murée sur laquelle, un mec inventif avait dessiné des barreaux complétait le tableau. Un type était assis sur un matelas, un drôle de type avec à ses pieds un drôle de chiens. Lui, maghrébin, sans aucun doute, le crâne rasé, visage osseux, la jambe droite coincé dans une attelle. Le chien, lui, le corps complètement rasé sauf la tête, la patte droite, également prise dans une attelle. Tout les deux d’une maigreur à se demander comment ils pouvaient se sentir encore vivants. Discrètement, je me suis pincé, juste pour voir si j’étais encore dans le réel. Manque de pot, j’y étais.
“Hihihihi, alors ma Aïcha, tu aimes toujours ton Rachid ? Hihihihi, tu l’oublies pas, hein, ton Rachid. T’aimes toujours sa grosse bitte, hein, ma belle ? Hihihihi ! “
En disant cela, il passait lourdement sa main sur le corps de son chien. Au bout de la phrase, il lui tordit méchamment la peau. Le chien glapit douloureusement.
Manifestement, tout le monde connaissait bien Rachid. Personne ne réagit à ses paroles odieuses.
“ Tu viens voir ton trésor pour une petite gâterie, ma chérie, c’est ça ? Hihihihi ! J’en ai, tu sais. Mais d’abord, tu sais ce qu’il va falloir me faire. “ - en disant cela, il commença à déboutonner sa braguette et sortit son sexe en érection.
Mais, mais qu’est-ce qui se passait là ? Qu’est-ce qu’il foutait ce con et qu’est-ce qu’Aïcha venait faire dans ce truc sordide ? Mais, elle, sans se démonter, se mit à genoux devant lui et lui avala le sexe tout d’un bloc.
Ah, c’est plus que je ne pouvais supporter, je me mis debout d’un mouvement, prêt à me précipiter sur le sale porc. Mais le son d’une lame de couteau qui s’ouvrait, la vue de ce même couteau dans la main de Stéphane, la vue d’un cutter dans la main de Rémy me fit me rasseoir, cette fois-ci beaucoup plus calmement. Je détournais la tête pour ne pas avoir à assister à cela. J’entendis les hihihihi de l’abruti jusqu’à un soupir bestial marquant la fin de l’opération. Je me retournais pour regarder Aïcha, cette salope, se léchait littéralement les babines, elle avait avalé son sperme. Mais, non, ouf, d’un jet, elle le recracha dans un coin de la pièce.
“ Hihihihi, c’était bon ma chérie. T’es toujours une bonne pute. T’es clients doivent être contents. “
Là, je l’aurais tué, mais les autres n’avaient pas quitté leurs piques boeufs. Je me contentais d’avaler ma salive. Aïcha s’était rassise et comme nous trois attendait.
“ Maintenant, il va falloir me donner des sous, hein ma chérie, hihihihi ! “
Elle se retourna vers moi, et comme une ritournelle habituelle, me réclama 40 euros. Pourquoi à moi, alors que cette pute s’était fait des clients. Je sortis les 40 réclamés en les détachant des 80 que j’avais retiré.
“ Merci, mon trésor. “ - me cracha l’autre taré, en me souriant de son sourire édenté et en me soufflant son haleine fétide à la figure lorsque je lui tendis le billet. Son rire stupide toujours à la bouche, mais son regard me jaugeait, froid comme la peau d’un serpent. Il me fit un clin d’oeil de crapaud, j’en eus froid dans le dos.
Je me rassis sans rien dire, le regardant farfouiller sous un oreiller crasseux. Il en sortit un petit tas rond, d’une couleur marron et un doseur de pastis.
“ Jolie galette, jolie galette, hihihihi. “
A la vue de la galette, le couteau et le cutter disparurent par enchantement et furent remplacés également par des doseurs de pastis. Chacun avait le sien, sauf moi. Ils s’en aperçurent immédiatement et me regardèrent comme si je débarquais de la lune.
“ T’en fais pas mon chéri, j’te passerais le mien. “ - affirme Aïcha. De toute façon, je ne savais pas à quoi, ça servait. Je regarderais et je ferais pareil.
C’est Aïcha qui s’est emparé de la galette, personne n’a rien dit et c’est moi qui ai payé, mais je n’ose rien dire. Contre eux tous, je ne suis pas de taille. Elle prend son cutter et commence à détacher de petits bouts qu’elle tend à chacun. Je suppose qu’il s’agit des fameux cailloux. Elle m’en donne un aussi.
Brusquement, ils deviennent tous fébriles et introduisent le cailloux à l’intérieur du tuyau du doseur. Dans chaque main, un briquet apparaît. Ils élèvent les doseurs à leurs bouches, chauffent le coude où repose le caillou sur un filtre, aspirent brutalement. J’entends même l’explosion que fait l’effet de la drogue dans leurs têtes. Un grand “ Boum ! “
Les briquets semblent un moment comme suspendus dans l’air, puis lentement les mains s’abaissent, mais les regards eux, sont perdus dans un univers lointain sans frontières. Les doseurs à leur tour s’abaissent, mais les regards restent perdus.
“ Ouah, c’est fort ! “ - éructe Stéphane.
“ De la bonne came ! “ - confirma Rémy.
“ A ton tour mon chéri. “ - et s’approchant de moi, Aïcha me tendit son doseur. S’agenouillant devant moi, elle posa sa main sur ma braguette. Allait-elle me sucer et surtout est-ce que moi j’allais accepter cela après ce qu’elle avait fait. Avec un sourire, elle rajouta “ Il a été jaloux ce chouchou ! “
Sa main s’appuya plus lourdement, je me sentais bander, et je me demandais en même temps, pourquoi elle se moquait de moi. “ Vas-y mon loup, fume ! “
Un instant, le souvenir du début de la soirée me revint, c’était pas vraiment prévu que je fume vraiment cette merde, mais, là, vraiment, à part me casser en courant, j’allais devoir y passer. J’espère que je n’allais pas trop abîmer ma petite gueule.
Elle introduisit le caillou dans le tuyau, me le tendit pour que je me l’installe à la bouche. “ Attends. “ - me dit-elle, laisse le bien chauffer avant d’aspirer. J’attendis, le truc devenait vraiment trop chaud, je ressentis une brûlure sur les lèvres, j’entendis “ Vas-y ! “
Et j’aspirais.
Je sentis la chaleur me pénétrer les poumons, la chaleur et après, plus rien. Si, tout à coup, un grand flash, un immense flash. Je ferme les yeux. Ca a été comme une lumière intense dans mon cerveau, la certitude d’être la lumière, la certitude d’être, oui, c’est cela, la certitude d’être. Comme Dieu. Oh, quelle immense impression, quelle sublime respiration, d’être, d’être le maître de la vie. C’est bon, c’est vraiment bon. Oh, encore, je veux vivre cela encore !
Je rouvre les yeux, Aïcha est encore agenouillé à mes pieds. “ C’est la première fois que tu cracks, mon petit canard. “
Je respirais profondément pour me resituer. Ils me regardaient tous en rigolant.
“ Hihihihi, tu vas aimer, mon trésor, tu vas aimer, hihihihi. “
Je ne répondis pas au taré de service, trop choqué, trop émerveillé, surtout trop émerveillé.
Le taré se mit debout, son chien en fit de même aussitôt. Il me montra du doigt, le secouant tout en continuant à ricaner.
“ Hihihihi, j’te jures mon frère, tu vas aimer, et même ta mère, tu seras prêt à l’égorger. “
Et il se rassoit, le clebs en fait de même, tout content de sa connerie. Mais moi, je peux plus réfléchir. Il faut que je revive ça. Je coulais un regard implorant vers Aïcha, sa main n’excitait plus rien en moi. Mon sexe était comme mort, comme un morceau de bois mort. Je ne pouvais pour le moment même plus réfléchir
“ Encore, s’il te plaît ! “
“ Attends, je vais te préparer ça, mon petit canard, et après, et après “ - sa voix se fit lourdement langoureuse - “ mon canard, ta poupée sera à toi. “
Qu’est-ce qu’elle me fait, c’est pas elle que je veux. Je m’en fous d’elle. C’est le produit que je veux, le produit, c’est tout. Elle, je l’emmerde !
Après avoir réparti les cailloux, tiré de ma galette, elle introduisit le mien dans son doseur. Je le plaçais fébrilement dans la bouche et attendis. A nouveau, je ressentis la brûlure sur mes lèvres, la brûlure et le plaisir, immense, immense que tout, tout était sous contrôle et que j’étais plus qu’un gagnant, un créateur, un créateur d’univers. C’était vraiment bon. Je rouvris les yeux. Tous les autres gardaient les yeux fermés. Aïcha avait regagné sa place et tirait sur son doseur. J’attendis, le premier à reprendre la barre, ce fut le taré. Cette fois, il plongea le bras sous son lit. Alors que les autres le regardaient d’un oeil glauque, il sortit un pack de 8/6.
Il en distribua à chacun d’entre-nous. Je n’étais plus vraiment en état de réfléchir. Je quittais ma chaise pour m’asseoir en lotus sur le sol crasseux. Je ne m’occupais plus de personne en sirotant ma bière. J’étais vraiment dans les vapes à tenter de rattraper des brides de l’incommensurable sensation que j’avais ressenti.
Les autres parlaient entre eux, je ne captais pas vraiment ce qu’ils disaient. L’habitude sûrement. Ma bière finit, une autre se retrouva comme par miracle dans ma main. Je me sentais partir, sans que les formes autour de moi ne perdent de leur netteté. Un moment, je me souviens avoir refumé du crack et ressenti encore ce flash comme une gifle de luminosité où je ressentais un bien être si intense, mais si court aussi. Le retrouver me faisait en réclamer encore et encore, juste pour un flash de quelques secondes à peine.
“ Hihihihi, regarde ton petit poulet, mon trésor, il a vu la lumière du crack. J’te le dis mon frère, t’es accro, comme nous mon petit poulet. Le crack, c’est notre maître à tous, à tous, mon petit poulet. “
Je regardais le taré, mais il ne me paraissait plus aussi taré, ni lui, ni son chien. Au contraire, il me paraissait tout ce qu’il y avait de plus normal. C’est ma vie avant le caillou qui me paraissait fade et anormale. Grâce à Aïcha, mon coeur, j’avais enfin trouvé ma voie et ma tendre amie sera mon paradis.
“ Aïcha, “ - dis-je - “ je t’aime ! “
Un grand éclat de rire général accueillit ma déclaration. Quand le taré se mit à rire, son chien se mit à japper, un vrai duo, ces deux-là. Mais, qu’est-ce qui pouvait bien les faire rire, et pourquoi, elle, riait aussi avec eux.
“ J’ai dis une connerie ? “ - énonçais-je tout à trac, prêt à me fâcher méchant.
“ T’inquiète, “ - répondis Stéphane - “ Aïcha, c’est comme vouloir chevaucher un cheval fou. “
“ Ta gueule, teubé ! “ - lui susurra-t-elle avec un sourire.
“ Tu vois, ça confirme ! “
Aïcha se prit les seins et les soupesa en me regardant : “ C’est ça que tu veux, mon bichon. Viens toucher, viens ! “
Je me levais difficilement pour m’approcher d’elle. Elle restait là, les seins offerts. J’approchais mes mains, elles tremblaient. Ma gorge était sèche, je déglutis difficilement et j’eus l’impression que tous les autres m’entendaient. Je les touchais, les palpais, les écrasait. Je me sentais bander, j’étais prêt à la prendre là tout de suite, les autres, je n’en avais que faire.
Brutalement, une douleur me vrilla le bas-ventre. Je tombais à genoux, cette salope m’avait tordu le sexe à me le bousiller. Je me mis à râler tellement j’avais mal. Un autre éclat de rire général salua le fait d’arme de cette salope.
“ Alors, mon bichon, c’était pas bon ? Tu me prends vraiment pour une pute, sale connard ! “
Stéphane qui était à côté, m’envoya bouler d’un coup de pied. Mes paupières se fermèrent sous l’effet de la douleur, je me dis que ça allait être le massacre et que le massacré, ça allait être moi. Du coup, j’en oubliais les plaisirs qu’avaient pu me procurer la fréquentation du crack.
“ Attaque Kiki. “ - je reconnus la voix du taré et je sentis des crocs s’enfoncer dans ma jambe. Il envoyait le fauve à l’hallali.
“ Arrête, Rachid ! “
La voix d’Aïcha claqua comme la lanière d’un fouet.
“ Hihihihi, ma chérie, tu veux pas que ton trésor s’amuse ? “
“ Non, laisse-le. Y’a pas besoin de le massacrer. “
“ Kiki, au pied, mon trésor ! “
La pression des dents se relâcha, la douleur s’atténuant, j’essayais de réfléchir à ma situation. Manifestement, j’étais tombé sur une bande de branques, graves de graves.
“ Allez faire un tour ! “
L’ordre jaillit. Tous se levèrent sans discuter et quittèrent la pièce, même le chien du taré. Finalement Aïcha était une femme de beaucoup d’influence. Une maîtresse femme !
“ Tu peux te relever maintenant, ils sont tous partis ! “
Comment savait-elle que j’avais récupéré, c’était peut-être le moment de tirer ma révérence. Mais comme si, elle avait deviné ma pensée, elle reprit : “ t'inquiète pas pour eux, ils sont devant à la porte avec des bedos. “
Je rouvris les yeux et, le spectacle me coupa le souffle. Elle était assise sur le lit, nue, à part sa petite culotte. Ses seins lourds me donnèrent le tournis, mais mon sexe resta malgré tout recroquevillé, n’ayant pas encore oublié la douleur qui l’avait frappé.
“ Approche, viens goûter à ta récompense. “
De quelle récompense, elle parlait. A part m’être fait ratatiner le zizi, je ne voyais pas de quoi elle voulait parler. Courageusement, je m’approchais d’elle, jusqu’à ce que mon jeans vienne à frôler son visage. Normalement, une telle vision eut suffi à me faire grimper au plafond, mais là, le p’tit jésus, il avait beau essayer de s’affoler, il n’arrivait même pas à se motiver. Elle me l’avait cassé en deux, voilà ce qu’elle avait fait.
Quand, elle commença à me débraguetter, l'affolement me gagna. Comment, allait-elle réagir lorsqu’elle s’apercevrait qu’elle n’aurait rien à croquer. Dans une inspiration éperdue, j’eus le réflexe de lui crier : “ J’ai pas de capote ! “
“ C’est pas grave mon loup. “ - et elle fit tomber mon pantalon, il ne me restait plus que mon slip comme dernier rempart et manifestement dessous, il n’y avait aucune réaction. L’angoisse me submergea.
D’un coup sec, elle le rabaissa. Le zoiseau était tout mou, tout mou, la panique fondit sur moi.
“ C’est rien mon ange, je vais arranger tout ça. “ - et elle me goba dans sa bouche. Elle me larda pas de coups de couteau, non, elle me goba tout simplement. La paix du monde, cette fois-ci, descendit sur moi.
Sa fellation n’ayant pas été un franc succès, Aïcha me déshabilla complètement et enleva également sa culotte avant de m’allonger sur le lit. Elle m’enjamba et se mit à se caresser sur tous le corps d’une manière lascive, se prenant les seins à pleine main et les frottant contre mon visage. Finalement, à force d’efforts désespérés, ses efforts furent couronnés de succès et mon zoiseau se mit à grimper en direction de son vagin. Aussitôt, elle s’empala dessus et commença à gigoter son cul à mesure, puis de plus en plus vite.
La jouissance vint comme un raz de marée. Je l’entendis crier et au moment où à mon tour j’allais jouir, elle me balança une gifle à me briser la mâchoire. J’en restais tétanisé, mon jus, lui, resta bloquer net dans le zoiseau, son cri continua en crescendo dans l’aigu, accompagnant un gigotement de plus en plus incontrôlable. Une deuxième gifle m'atterrit dessus alors que mon jus reprenait son cheminement habituel, cette fois, ma jouissance bloqua net, définitif.
Elle, par contre ralentit son rythme en râlant de plus en plus doucement pour finir par poser sa poitrine contre la mienne et sa tête près de la mienne. Ayant récupéré mes esprits, jeprofitais de son état de léthargie pour lui malaxer les fesses et à m’agiter dans sa chatte. La forme revenue, fallait que je profite pour tirer mon coup. Mais à ma grande déception Aïcha se releva avant que j’arrive à terme, s’arracha à moi et se mit debout. Déçu, je pris mon sexe dans ma main et essayais de m’achever en la regardant.
“ Arrête et range ton flingue ! “ - Et elle me donna une autre gifle sur le sexe qui me calma net et la douleur le ramena à portion congrue. Elle s’étira avant de prendre dans son sac des mouchoirs en papiers pour s’essuyer. Elle n’alla pas se laver au robinet qui sans doute ne marchait pas et se rhabilla aussi sec. Ensuite, elle fouilla mes fringues et me piqua les quarante euros qui me restait.
“ T’as de la chance, normalement c’est cinquante. Allez, bouges-toi ! “
Mon dieu, quel romantisme. Tire qu’un coup devait être son surnom, sauf que son corps quand il bougeait conservait une féminité troublante qu’elle n’avait pas, la sale truie.
Une fois habillée, elle ouvrit la porte “ Eh, ramenez-vous ! “ Sa gueulante aurait réveillé un mort, une vraie voix de poissonnière, elle avait ma douce princesse.
Je me grouillais de me resaper avant l’arrivée des artistes. Aïcha me balança une cannette de bière et si je n’avais pas eu fait du rugby dans ma prime jeunesse, elle m’aurait défoncé le thorax. Décidément, ce n’était pas une sinécure cette nana.
Quand les autres relous débarquèrent, je finissais de reboutonner mon pantalon. Le taré et son chien, en avant-garde, reprirent aussitôt leur place habituelle. Aïcha s’était assise à sa place, les jambes croisées, éclusant sa 8/6.
“ Hihihihi, t’as tiré un bon coup, ma chérie. Le petit trésor a été à la hauteur ? “
“ Occupes-toi de ton cul ! “
Je me réfugiais contre le mur, m’agrippant à ma bière comme un désespéré. Maintenant, qu’allaient-ils me faire ? “
Stéphane fit tourner un bédo. Le brouillard me gagna à nouveau la tête. Je ressentis une envie de gerber. Une interrogation me vint à l’esprit, mais pourquoi Rémy ne parlait jamais, était-ce lui qui allait être chargé de me finir ? Je lui jetais un regard de côté, les yeux fixés au mur, il ne semblait s’occuper de personnes. A ses pieds, les deux packs de 8/6 qu’ils avaient ramené. Donc, elle m’avait menti, ils n’étaient pas restés à la porte de l’immeuble pour m’empêcher de partir. Je m’étais encore fait avoir par cette maudite, mais si bellissima sorcière.
La sorcière en question, alors que nous finissions le bédo, découpait de la galette. “ Hihihihi. “ - fit le taré en réceptionnant son caillou. “ Super ! “ - articula Stéphane. Rémy ne dit rien pour ajouter à l’originalité de la conversation.
Chacun s’arma de son doseur et alluma son briquet. Une grande aspiration fut suivie de petites respirations saccadées auquel succéda le silence des allumés de la planète.
“ Ouah ! “ - fit Stéphane.
“ Super ! “ - dit Rémy.
“ Mon dieu ! “ - soupira Aïcha.
Et moi, pensais-je. Est-ce que ma princesse allait penser à moi. Je la regardais avec une envie de pleurer. Mon coeur battait à grand coup dans ma poitrine. Est-ce qu’elle allait m’oublier, moi le coeur de sa vie. Est-ce qu’elle en avait gardé un pour moi puisqu’elle en avait donné à tout le monde. Pour contrer le sort, je bus d’un trait ce qui me restait de bière et tirait jusqu’au bout sur ce qu’il restait du joint. Je dus fermer les yeux pour contrôler un vertige. Une pression prolongée sur ma cuisse finit par m’en sortir. Je rouvris les yeux pour découvrir Aïcha à genoux qui me tendait son doseur.
“ A ton tour, mon petit coeur. “
Des larmes me montèrent aux yeux, finalement, elle m’aimait, elle m’aimait d’amour. Autrement pourquoi m’aurait-elle gardé un caillou. Je pris le doseur fébrilement pour le porter à ma bouche. Une légère douleur aux lèvres me rappela que je m’étais brûlé précédemment. Mais qu’importe la douleur, l’envie était là, trop puissante, trop......Elle alluma le briquet, j’attendis son “ vas-y “ et j’aspirais de tous mes poumons, mes poumons qui furent aspirés dans le doseur.
Le flash, le flash dans ma tête, dans mon corps, dans toutes les fibres de ce corps. La puissance en moi, en une unique flamme qui dévore tout, tout, même l’âme.
Je rouvris les yeux à nouveau, elle était toujours là, devant moi et, elle souriait. Un vrai sourire, plein d’affection, ma chérie, je t’aime, je t’aime si fort - criais-je dans ma tête. Et des larmes me coulèrent sur le visage.
“ T’as un scorpion dans le slibard ? “ - me demanda Stéphane prévenant;
Quel con ce mec, alors que mon amour me jaillissait littéralement des yeux. Comment pouvait-on ne pas comprendre la douleur d’un homme à terre, comment ne pouvait-on ne pas comprendre l’immensité de l’amour lorsqu’on le rencontrait ? Il avait de la chance d’avoir des gros muscles, autrement je l’aurais rétamé comme une carpette.
“ Si t’es en mal d’amour, “ - reprit-il - “ J’peux donner de l’affection, moi, si tu veux. “ - il passa en disant cela une grosse langue rose sur ses grosses lèvres noires et il éclata d’un rire tonitruant.
Un horrible frisson de dégoût me démangea le corps. L’image dégoûtante de son corps sur le mien me provoqua une invasion de pustules qui me recouvrirent comme un linceul. En plus, il se leva, alla vers le lavabo, sortit son sexe et se mit à pisser dedans, sans que cela ne gène quiconque et surtout pas ma douce amie. Une fois son affaire terminée, il se rassit aussitôt remplacé par Rémy et après Rémy par le taré de service. Aïcha ne bronchait pas, regardant même les zizis en plaisantant sur leur mensuration. C’était vraiment dégoûtant. Et moi aussi, je commençais à avoir une envie pressante, mais je préférais m’abstenir quand le taré regagna sa place.
“ Bon, c’est pas tout ça, mais il ne reste plus rien de la galette et cet abruti “ - et là, elle me désigna nommément - “ n’a plus une tune sur lui. “
Ses paroles furent comme un couperet qui me cisaillèrent. Ils allaient me tuer maintenant. La certitude s’inscrivit en moi telle une dague de feu. Ils allaient me tuer et découper mon corps et le répartir dans des sacs poubelles avant de le balancer aux ordures. J’allais disparaître de l’humanité sans que personne ne s’en aperçoive et sans que personne ne s’en préoccupe jamais. Dans l’état où j’étais, il n’était même pas question de résistance, alors autant prendre l’initiative pour leur montrer que je n’étais ni teubé, ni lâche. Je me redressais pour me mettre sur les genoux, étendis mes bras en croix et les fixant tous les quatre, je leur hurlais avec haine : “ Allez-y, puisque c’est ça que vous voulez. Tuez-moi, tuez-moi ! “ - et j’attendis le coup fatal qui devait m’abattre. Tout ce que j’espérais, c’est qu’il ne vienne pas d’elle. Dans le doute, je fermais les yeux. Mais, rien ne vint. Finalement, las d’attendre, je me décidais à rouvrir les yeux. Ils étaient là, ils me regardaient tous, même le chien.
“ Tu flippes. “ - dans la bouche d’Aïcha, c’était plus un constat qu’une question.
“ Hihihih, bientôt le crack sera ta femme, la seule, hihihhi, pas vrai mon kiki. “
“ Ouaf, ouaf. “ - fut la réponse idiote de cet idiot de chien qui vint se coller, en remuant la queue, à son taré de maître.
“ Tiens, avale ça ! “
Qu’est-ce que c’était que ces pilules, deux en tout, du poison ? Oui, c’est cela, sûrement du poison. Ainsi, ils avaient décidé de m’empoissonner en me laissant mourir dans d’horribles souffrances.
“ Qu’est-ce que c’est ? “ - demandais-je d’une petite voix.
“ Du Rhohypnol, un calmant, ça va te faire passer ton flip. Allez avale ! “ - me dit-elle en me les tendant. Je regardais Rémy avec des yeux de noyés. Mais, il se contenta de me regarder sans rien dire, sans une ombre d’humanité dans les yeux. Alors, je me décidais, s’il me fallait mourir, alors c’était bien que cela soit de sa main. Une fois cela accepté, une grande plénitude m’envahit. Quelle plus grande preuve d’amour que celle-là, pouvais-je lui donner. Non, nul autre ne pouvait lui donner la preuve de l’immensité de mon amour. Je pris les pilules et les avalais. Je me mis à tousser, ça ne passait pas d’un coup. Je m’étouffais, l’asphyxie était proche.
“ Tiens, bois un coup ! “ - me dit-elle calmement. Tu aurais pu attendre quand même. En plus, elle me faisait des reproches.
Je pris la 8/6 et en vidais la moitié d’un coup. Autant aider le poison à agir le plus vite possible. Oui, c’est cela qu’il fasse son effet le plus vite possible.
“ Attends un peu, tu vas voir. “ - ajouta-t-elle.
Je m’accroupis sur mes mollets et attendis. Peu à peu une grande fatigue m’envahit. Le poison agit - me dis-je.
“ Bois encore, bois encore ! “ La voix me parvenait dans une brume, mais peu à peu l’effet de l’alcool me refit reprendre conscience ou en tout cas ce qui pouvait y ressembler. Je me levais et allais pisser à mon tour dans le lavabo. Mon jet fut si fort qu’il éclaboussa les murs autour. Aïcha se leva d’un bon en me traitant de sale con. Elle attendit, à l’abri, que j’eus fini et s’approchant de moi avec un sourire alors que je remballais, me balança une méchante droite dans la figure. Mon arcade éclata sous la force du coup et je me mis à pisser le sang. C’était un vrai cheval sauvage, ma Aïcha. Sûr, elle était dans l’attente de son dompteur et c’était moi qui devait assumer le rôle. Je me tins la tête penchée pour éviter que le sang inonde mes fringues.
Le chien du taré vint laper la flaque de sang qui s’étalait sur le sol. Au moins, avec lui y’avait pas besoin de serpillière.
Je sentis la grosse paluche de Stéphane me prendre par l’épaule. Il me prit la main et me donna une partie du drap du lit. Un truc dégueulasse à vous faire choper la gale. Le sang finit par se tarir et Aïcha me nettoya délicatement la plaie à la bière. Évidemment, ça m’a piqué un peu, mais sa main était si douce que je retins mes gémissements. Finalement, elle déchira un morceau du drap pour m’en faire un bandage.
“ Tututut, ma chérie, c’est mon drap. Avec quoi, je vais recouvrir mon corps, hihihihi. “ - remarqua le taré.
“ C’est bon, tu l’a trouvé dans la poubelle avec les affaires brûlées. “ et me tendant une bière, elle ajouta “ Il faut boire, si tu veux pas te prendre un mal de crâne. “
Le crâne effectivement commençait à me prendre la tête, sans respirer je me bus la totale de la cannette. Je me rendais compte ne plus avoir les pieds sur terre, l’esprit dans le camembert et ne pas tenir véritablement sur mes cannes.
“ Vas t’asseoir ! “ - m’ordonna Aïcha.
Je repartis dans mon coin avec l’impression d’avoir un bulldozer en train de me labourer le crâne. Et maintenant, qu’est-ce qu’on allait faire, former une bande et attaquer une banque puisque comme elle l’avait dit, je n’avais plus une tune.
“ Ma chérie a une idée, hein mon trésor ! Hihihihi ! “ - cette fois-ci le taré ne s’adressait pas à moi, mais à Stéphane. Ce qui ne parut pas lui plaire. “ La prochaine fois que tu m’appelles mon trésor, j’t’éclate ce qui te sert de citrouille. “ lui signala-t-il.
“ Hihihi, ma chérie, regarde ton trésor, il a la gueule bleu. “ - et en disant cela, il m’indiquait du doigt. Ouh, là, là, ça va mal, moi, j’ai la tête qui tourne sacrément. Je me regarde au cas où, mais ni mes bras, ni mes mains ne sont bleus. Il raconte quoi, ce dégénéré.
Aïcha me tend alors un petit miroir de poche, je regarde en ouvrant grand la bouche...toute bleue, mais d’un bleu de bleu. Mes yeux affolés parcourent la pièce à la vitesse de la lumière dans un va-et-vient incessant. J’ai la peste, l’idée s’impose aussitôt. J’ai attrapé la peste dans ce nid à rats. Aïcha profite de mon désarroi pour récupérer sa glace, sans doute pour que j’arrête de contempler le désastre de mon horrible condition.
J’entends Rémy qui crie “ Putain ! “, Stéphane qui hurle “ Mon dieu, ma mère ! “, le Taré qui beugle “ Allah, protège-moi, mon Allah, mon trésor. “ Et ça, sans un ricanement aucun, ce qui eut le don d’accentuer ma panique surtout que le chien y alla en se mettant à japper à la mort.
Complètement paniqué, je suppliais Aïcha, je m’accrochais à son cou, je mis même genoux à terre devant elle : “ Qu’est-ce qui m’arrive Aïcha mon coeur, qu’est-ce qui m’arrive ? Aide-moi, je t’en supplie, aide-moi ! “
La taré dit : “ Hihihihi, l'antidote, mon couillon, hihihihi, c’est l’antidote qu’il faut. “
Mais de quoi me parlait-il, de quel antidote s’agissait-il et de quelle maladie sinistre j’étais atteint.
“ Ouais, mais, on n’a pas de fric. “ - intervint sinistre Stéphane.
“ C’est vrai ça, on n’a pas un flèche. “ - insista Rémy.
“ Et moi, je dois tout donner à mon homme, sinon il me frappera. “ - me condamna Aïcha.
La rage me gagna, cet instinct de révolte qui n’accepte jamais le sort.
“ Putain, mais qu’est-ce que je vais faire moi, c’est mortel ce truc ? “
Tous baissèrent la tête, même le chien qui jusqu’à présent n’avait fait que me mater d’un air apitoyé. Mauvais signe. Et tout à coup, une immense envie de vivre me saisit, une envie comme on en a qu’une seule dans sa vie.
“ Je veux vivre ! “ - leur hurlais-je et en désignant Aïcha de mon poing serré - “ C’est toi salope qui m’a empoissonné. “ - Je le jure sur la tête de sa mère, je l’aurais tué sur place cette nana même pas jolie et d’une vulgarité à gerber.
Stéphane vint immédiatement se placer entre nous pour me dire : “ Ta race, mec, tu la touches, j’te nique toi, ta mère et toute ta famille. “ Tout cela d’un ton calme qui finit par me persuader que tout était foutu, j’allais mourir. Je retombais à terre accroupi, le désespoir me suintait par les pores des doigts de pieds.
“ Ma mère, il faut prévenir ma mère. “ - murmurais-je.
“ Hihihihi, tu pleures. Petit trésor, toujours moyen, hihihihihi ! “
Qu’est-ce qu’il me racontait ce taré. Un espoir fou, m’envahit : “ Aïcha, repasse-moi ton miroir, s’il te plaît ? “
Je me regarde à nouveau, ma gueule n’a pas bougé, elle est toujours d’un bleu océan. D’un bleu qui s’est accentué à mon avis. J’ai une trouille d’enfer. Rémy me tend une bière que je saisis d’un geste automatique et d’un geste tout aussi machinal, j’en écluse la moitié. Je n’en sens plus l’amertume, ni l’alcool. Une preuve de plus de l’inéluctable.
Tous continuent à me regarder d’un air attristé et moi j’adopte l’air accablé du chien battu. Et brusquement, le mot du taré me revient “ toujours moyen “. Le chef étant Aïcha, je m’adresse directement à elle : “ Qu’est-ce qu’il voulait dire, par toujours moyen “ - lui demandais-je en désignant le taré.
“ Ah, mon chéri d’amour. C’est même pas la peine d’y penser parce qu’il faut du fric et des tunes, on en a pas. “
Ils allaient quand même pas me laisser crever pour une histoire de fric. L’hôpital mais bien sûr l’hôpital, j’aurais dû y penser tout de suite. Comme propulsé par un ressort, je me levais. Un vertige me prit, nom de dieu, je suis carrément naze de broc. Les chichons, le crack, l’alcool, plus la merde que je venais bêtement d’avaler, tout ça mélangé ne me permettait plus d’aligner une idée derrière l’autre. Je me mis à tituber dans tous les sens. Aïcha me rattrapa avant que je tombe et m’installa sur sa chaise. Elle se pencha sur moi pour me murmurer “ Y’a un moyen, j’te promets, mais il faut du fric. A l’hosto, ils vont mettre trop de temps. Est-ce qu’il te reste un peu de fric ? “ - son visage était vraiment trop près, mais il n’y avait plus l’attirance. Seulement, j’arrivais plus à réfléchir, ma tête continuait à tourner. “ Bois ! “ - me dit-elle - “ Bois ! “
Cette fois-ci, ce n’était plus de la bière, ça piquait peu, mais ça piquait.
“ C’est quoi ? “ - ma langue était pâteuse, difficile à manipuler. Tout ce que je réussis à articuler fut “ Encore un peu à la banque. “
“ Bon, voilà; “ - dit Stéphane - “ On va négocier pour pas cher et tu auras ton antidote. Ca roule ma poule. Faut pas t’inquiéter. “
“ Hihihihi, on y va Kiki, allez debout ! “
Le taré se lève, suivi de son chien. Tout le monde suit le mouvement. Je ne sais plus vraiment où je suis, j’ai l’impression qu’on me traîne plutôt que de contrôler mes mouvements. Mais pourtant, je sens une force monter en moi, la certitude de pouvoir, mais avant régler cette histoire d’empoisonnement.
A nouveau, nous réintégrons la voiture. Cette fois-ci, on est serré, serré avec l’autre taré. Il tente de me mettre son clebs sur les genoux, mais je l’envois bouler sans que personne ne relève. De plus en plus, je me sens sûr de moi, tout malaise avait disparu. La force était en moi.
Boulevard de la Chapelle, Stéphane s’arrête au niveau de la poste où je descends en compagnie de Rémy pour sortir le fric qu’il me restait. Malheureusement, Aïcha déclara que ce n’était pas suffisant 150 euro, elle trouvait pas ça suffisant. On s’arracha jusqu’à la place Clichy. Là, elle me dit que la seule solution c’était de tirer le sac d’une meuf ou de braquer un bourgeois. Autrement, il serait trop tard pour moi de toute façon.
Normalement, jamais une telle idée ne me serait venue à l’esprit. Mais la peur me tenaillait et bizarrement, je m’en sentais capable sans problème. Justement devant le cinéma, une file d’attente s’allongeait.
“ Pas de problème. “ - lui confirmais-je - “ Arrêtes-toi au niveau du cinéma, je vais me faire une grognasse dans la file d’attente. Ca va être vite fait. “
“ Bois encore un coup. “ - me dit-elle en me tendant une canette - “ et prend ça “ - ajouta-t-elle en me tendant un cutter - “ Tu lui mets ça sous le nez et son sac, elle le lâche. “
J’éclusais d’un seul coup et je sortis.
Stéphane s’était garé de l’autre côté de la rue, un peu plus haut que le cinéma. Je traversais et m’approchais de la file d’attente. Je m’arrêtais pour choisir ma victime, une jeune femme me paraissait seule. L’avantage, c’est qu’une petite gamine l’accompagnait. Elle n’aurait donc pas le temps de me courir après, les hurlements de sa fille l’en dissuaderait. Après, Stéphane devait me récupérer plus bas dans la rue Des Dames.
L’enfant riait avec sa mère, devant elle et derrière des gens pépères. Pas le genre à se prendre le chou en se mêlant d’une histoire zarbi avec le risque de se prendre un coup de couteau.
Allez, j’y vais, je fonce. D’un coup, je suis parti, le cutter, lame ouverte à la main. J’arrive comme un fou devant la nana. En lui collant le cutter sur la figure, je hurle : “ Ton sac, putain, vite. “ - tout en tentant de lui arracher de l’autre main.
Manque de pot, cette connasse s’y accroche en hurlant et moi, toujours en hurlant le cutter à la main alors que la nana tombe presque par terre et que je la soutiens de ma main qui la tire.
Tout le monde s’est écarté et forme un cercle serré tout autour. Elle, elle hurle : “ Au secours, au secours”. La petite fille hurle : “ Maman, maman. “ Moi aussi, je hurle :
“ Salope, sale pute. “
D’autres hurlements autour. La colère et la haine me monte d’un coup. Au moment où je lève la main pour la balafrer, je me reçois un coup violent dans le dos. Sous la force du coup, je lâche le cutter. Je me retourne d’un coup pour me retrouver face à deux vigiles, chacun une matraque et une bombe lacrymogène à la main.
D’un coup, je comprends la situation. C’est foutu, faut que je me tire, vite, vite, vite. Je me précipite sur la foule pour la traverser, décidé à bousculer tout le monde. Un autre coup me fait tomber sur les genoux au moment où justement j’allais réussir. Avant de tomber, j’ai le temps de voir passer la voiture de Stéphane. Aucun des passagers ne me regarde. J’ai le temps de penser, c’est foutu pour l’antidote. Après, plus rien, je tombe dans les pommes.
Maintenant que plusieurs mois se sont passés, je peux raconter ce qui après m’est advenu. Je me suis réveillé chez les flics. Aussitôt, je leur ai montré la couleur de ma bouche et je leur ai supplié qu’ils m’aident à trouver l’antidote.
Ils m’ont regardés et se sont mis à s’esclaffer, morts de rire. Il y en a un qui après s’être calmé m’a balancé une gifle avant de me demander si je me foutais de lui.
J’avais les menottes attachées derrière la chaise, je ne pouvais pas bouger. Je leur demandais pourquoi j’étais là.
Un flic un peu bedonnant m’expliqua : Évidemment, monsieur a oublié, normal quand on se prend du rhoypnol et de l’alcool. Mais, on se ferait un plaisir de lui expliquer. Monsieur avait agressé une mère de famille un cutter à la main, bousculé méchamment sa petite fille ainsi que plusieurs personnes. Tout ça pour piquer un sac à main pour se payer sa petite dose quotidienne. Résultat, monsieur se retrouvait chez les stups qui allaient se faire un plaisir de lui expliquer ce qui allait lui arriver.
Et qu’il arrête le monsieur de nous bassiner avec une antidote pour le rhoypnol puisqu’il savait que ce fameux poison se trouvait en pharmacie sur ordonnance d’un docteur et que ça rendait la gueule bleu. Non seulement, ça rendait la gueule bleu, mais ça faisait faire des conneries que l’on ne ferait pas en temps normal.
Donc, monsieur allait tout simplement faire un petit séjour en prison pour se mettre au vert, et voilà. En tout cas, il avait dû être un gros malin puisqu’il ne s’était jamais fait péchou jusqu’à présent. Mais, maintenant qu’on le connaissait, on allait le surveiller le petit monsieur. A bon entendeur salut !
Six mois de prison, voilà ce que j’ai gagné. Trois mois pendant lesquels je me suis tellement ennuyé que j’ai suivi les conseils d’un co-détenu, j’ai été demandé du subitex au docteur de la prison. Le subitex étant un produit de substitution pour les accro à l’héroïne, il m’a permis de passer plus vite les trois mois.
Aujourd’hui, cela fait deux mois que je suis sorti. Évidemment, j’ai perdu mon RMI, mon logement. Je suis suivi par une association pour sortant de prison qui m’accorde des nuitées hôtelières si je finalise les démarches pour lesquelles je me suis engagé.
D’autre part, je fréquente une association pour toxicomanes où je lave mes affaires et où je prends ma douche et où également j’ai un suivi psy. Les éducs m’aident pour les démarches, retrouver mon RMI, chercher un boulot, me sentir bien à nouveau. Dans l’association, je rencontre quelques crakers et des fois, j’ai des envies qui me reviennent tellement a été forte l’impression de puissance inouïe que j’ai ressenti ce jour-là. Mais, j’ai traversé l’enfer, et je crois que j’ai largement donné. Alors, je dis merci et à bon entendeur salut !
FIN
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