dimanche 6 avril 2025

 


Changement de cap : pourquoi les États-Unis assouplissent-ils leur position vis-à-vis de l’Iran ?

par Viktor Mikhin

Ces derniers jours, l’administration de Donald Trump, connue pour sa position dure envers l’Iran, a montré des changements inattendus dans sa rhétorique.

L’envoyé spécial des États-Unis pour le Moyen-Orient, Stephen Whitcoff, qui prônait auparavant une politique de «pression maximale» sur Téhéran, parle désormais de la nécessité de «construire la confiance» et de «régler les différends». Ce virage brutal dans la stratégie étrangère soulève de nombreuses questions : qu’est-ce qui a poussé Washington à modifier son approche ? Quels facteurs ont influencé la décision d’adoucir sa position ? Et surtout, les États-Unis ont-ils un véritable plan d’action, ou s’agit-il simplement d’une manœuvre tactique temporaire ?

Une analyse de la situation montre que ce changement de cap est lié à un ensemble de raisons – de l’échec de la politique de sanctions aux calculs politiques internes de l’administration Trump. De plus, la réaction de l’Iran et de la communauté internationale joue un rôle clé dans l’évolution future des événements.

L’échec de la politique de «pression maximale»

En 2018, les États-Unis se sont unilatéralement retirés du Plan d’action global commun (PAGC), estimant que des sanctions sévères forceraient l’Iran à faire des concessions. L’administration Trump pensait alors que l’étouffement économique entraînerait soit un changement de régime à Téhéran, soit une capitulation sur la question nucléaire. Cependant, ces calculs se sont avérés erronés.

Au lieu de reculer, l’Iran a accru ses activités nucléaires. Selon l’AIEA, Téhéran a considérablement augmenté ses stocks d’uranium enrichi et a commencé à développer des centrifugeuses plus avancées. De plus, le pays a renforcé ses liens avec la Russie et la Chine, trouvant des moyens alternatifs pour contourner les sanctions. En conséquence, la politique de «pression maximale» n’a pas seulement échoué à atteindre ses objectifs, mais elle a, du point de vue de Washington, aggravé la situation en rapprochant l’Iran de la possession de l’arme nucléaire.

Aujourd’hui, Washington semble avoir réalisé que l’isolement de l’Iran n’a pas fonctionné et tente de passer à des méthodes diplomatiques. Cependant, la question est de savoir si ce n’est pas trop tard : Téhéran, marqué par une expérience amère, acceptera difficilement de nouvelles négociations sans garanties sérieuses.

Une autre raison de ce changement de cap pourrait être liée aux problèmes internes aux États-Unis. Face aux difficultés économiques et à l’absence de succès tangible, le président Trump a urgemment besoin d’une victoire en politique étrangère qu’il pourrait présenter comme un succès majeur de sa soi-disant «nouvelle politique».

Une guerre totale avec l’Iran est un scénario trop risqué, susceptible de provoquer une catastrophe tant pour la région que pour les États-Unis eux-mêmes. Ainsi, l’administration parie probablement sur un accord temporaire qui pourrait être présenté comme une «percée diplomatique». Cependant, cette approche risque de créer de nouveaux problèmes : si l’accord s’avère éphémère, cela ne fera qu’éroder davantage la confiance envers les États-Unis sur la scène internationale.

Divisions internes dans l’administration américaine. Ce changement de rhétorique reflète également de profondes divergences au sein de la direction américaine. Alors que certains responsables, comme Stephen Whitcoff, évoquent la nécessité de négociations, d’autres, dont le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz, continuent d’exiger un abandon complet du programme nucléaire iranien.

Ces contradictions révèlent l’absence d’une stratégie cohérente. Une partie de l’appareil semble avoir compris l’inefficacité d’une pression accrue, tandis qu’une autre reste attachée à une ligne dure. Cette division rend toute stratégie américaine à long terme instable – un changement d’administration ou même un rééquilibrage des forces au Congrès pourrait annuler les accords conclus.

La réponse de l’Iran : pourquoi Téhéran ne fait pas confiance aux États-Unis

Les autorités iraniennes accueillent avec un grand scepticisme les nouvelles propositions de Washington. Le Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, a répété à plusieurs reprises que «les menaces et la corruption ne fonctionnent pas sur l’Iran». L’expérience du PAGC de 2015 a montré que les États-Unis pouvaient à tout moment se retirer de l’accord, même si l’Iran respectait scrupuleusement toutes les conditions.

Après la rupture unilatérale de l’accord par Washington, Téhéran a perdu confiance dans les garanties américaines. Désormais, les dirigeants iraniens exigent non seulement la levée des sanctions, mais aussi des engagements juridiquement contraignants empêchant les États-Unis de revenir sur leurs promesses.

La situation est compliquée par les luttes politiques internes en Iran. Les conservateurs, renforcés après l’échec du PAGC, s’opposent à toute concession envers l’Occident. Par ailleurs, l’Iran an appris à vivre sous les sanctions, trouvant des marchés alternatifs pour son pétrole et renforçant sa coopération avec la Chine et la Russie. Cela réduit l’efficacité de la pression américaine et diminue les incitations pour Téhéran à faire des concessions.

Réactions internationales

Même les alliés les plus proches de Washington, comme Israël, ont exprimé leur mécontentement face à ce changement de cap. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré qu’il ne faisait pas confiance aux nouvelles négociations avec l’Iran et considérait toute concession comme dangereuse.

Les pays européens, en revanche, plaident depuis longtemps pour une reprise du dialogue. L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, restés dans le PAGC après le retrait américain, espèrent une désescalade. Cependant, leur influence est limitée, car les décisions clés sont prises à Washington et Téhéran.

L’avenir des relations américano-iraniennes

Pour l’instant, les négociations sont dans l’impasse. Les États-Unis proposent un dialogue tout en maintenant la pression des sanctions, tandis que l’Iran refuse de faire des concessions sans garanties. Les experts estiment que Trump tente de reproduire la tactique du «bon et du mauvais flic», comme avec la Corée du Nord.

Cependant, contrairement à 2015, Téhéran n’est plus prêt à négocier sous la pression. Les autorités iraniennes savent que le temps joue en leur faveur : plus les États-Unis tardent à atteindre leurs objectifs, plus leur position s’affaiblit.

Une issue possible ?

Une sortie de l’impasse dans laquelle les États-Unis se sont enfermés avec l’Iran est possible, comme en ont discuté la Chine, la Russie et l’Iran lors de réunions trilatérales à Pékin. Une initiative en cinq points a été proposée pour résoudre la crise nucléaire iranienne :

  1. Une voie pacifique plutôt que des sanctions – Toutes les parties doivent renoncer à la pression coercitive et aux mesures restrictives illégales, en privilégiant le dialogue.
  2. Un équilibre entre droits et obligations – L’Iran doit respecter son engagement à ne pas développer d’arme nucléaire, tandis que la communauté internationale doit reconnaître son droit à l’énergie nucléaire civile dans le cadre du TNP.
  3. Un retour au PAGC comme base de l’accord – Les parties doivent se recentrer sur le Plan d’action global commun et accélérer la reprise des négociations.
  4. Le dialogue plutôt que la pression via l’ONU – Une implication prématurée du Conseil de sécurité de l’ONU ne ferait qu’éroder la confiance.
  5. Progressivité et concessions mutuelles – Seules des consultations équitables permettront de trouver un compromis.

L’assouplissement de la rhétorique américaine est un signe clair que la politique de «pression maximale» a échoué. Cependant, sans concessions réelles et garanties, les négociations ont peu de chances d’aboutir. L’Iran a appris à jouer la montre, et Washington devra choisir : soit un dialogue sérieux sur un pied d’égalité, soit une escalade aux conséquences imprévisibles. Pour l’instant, la situation reste en suspens, et aucune des parties n’est prête à faire le premier pas.

source : New Eastern Outlook


Aucun commentaire: