Ce ne sont ni la Cour internationale de Justice, ni les États non occidentaux, ni les organisations de défense des droits de l'homme, ni les Palestiniens qui ont utilisé le terme « génocide » avec une « légèreté excessive ». C'est le Guardian qui est arrivé à cette conclusion bien trop tard.
Avec une mauvaise foi caractéristique, le Guardian a permis à l'une de ses éditorialistes de publier un article d'opinion s'interrogeant sur l'opportunité d'utiliser, enfin, le terme « génocide » pour qualifier ce qui se déroule à Gaza depuis treize mois. Vous serez peut-être soulagés d'apprendre que le journal estime qu'il est désormais acceptable d'utiliser le mot tabou de « génocide » pour décrire l'anéantissement continu de l'enclave et de sa population.
« Nous assistons à la phase finale du génocide à Gaza », article du Guardian du 6 novembre 2024
Le Guardian ouvre ce débat dix mois après que les juges de la Cour internationale de Justice - la plus haute autorité judiciaire au monde, peu connue pour son radicalisme - ont admis que les avocats sud-africains avaient présenté des arguments « plausibles » pour démontrer que les actions d'Israël à Gaza correspondaient à la définition stricte du génocide en droit international [lire le plaidoyer de l'Afrique du Sud à la Cour internationale de Justice : le comportement génocidaire d'Israël à Gaza et les intentions génocidaires d'Israël à Gaza]. Depuis cette décision rendue en janvier, les conditions de vie dans l'enclave se sont considérablement détériorées.
Comme je l'ai récemment souligné, le Guardian — comme l'ensemble des médias occidentaux — a maintenu une interdiction tacite de l'usage du mot « génocide », sauf dans les débats juridiques spécifiques à l'affaire portée devant la CIJ. Des employés lanceurs d'alerte ont confié à Novara Media qu'ils étaient soumis à un « contrôle étouffant » de la part des rédacteurs en chef, une pression qui, selon eux, n'existait que lorsqu'il s'agissait de publier des articles critiques envers Israël.
Alors, pourquoi ce changement soudain de position de la part du journal - à supposer qu'il ne s'agisse pas simplement d'une petite concession destinée à apaiser le mécontentement croissant d'une partie de ses lecteurs ?
Une des réponses pourrait être que l'article publié par Novara Media a causé un embarras considérable au journal. Le personnel du Guardian a également révélé à Novara que le journal avait retiré de ses pages un article d'opinion rédigé par Susan Abulhawa, une éminente auteure palestinienne, après qu'elle a insisté pour utiliser le terme « holocauste » afin de décrire ce qu'elle avait observé à Gaza.
La rédactrice en chef, Kath Viner, avait proposé à Abulhawa un « compromis » — que Viner considérait sans doute comme très généreux — en lui permettant exceptionnellement d'utiliser le terme « génocide » à la place. En refusant cette proposition, Abulhawa a pris le Guardian au dépourvu.
Cet épisode a attiré l'attention sur le fait que le Guardian a surveillé étroitement le langage utilisé à propos de Gaza, traitant comme extraordinairement controversée toute caractérisation du massacre comme un génocide, ce qui a contribué à permettre à Israël de poursuivre ce génocide.
Il y a une autre raison probable expliquant ce changement de position.
Le Guardian permet ce débat très tardivement — au moment où, comme le reconnaît le titre de l'article, le génocide atteint sa « phase finale ».
L'auteure de l'article d'opinion, Arwa Mahdawi, cite divers chiffres d'experts qui situent le nombre réel de morts dans les centaines de milliers, plutôt que dans les dizaines de milliers — un fait évident depuis de nombreux mois pour les observateurs ne s'inclinant pas devant les sensibilités d'Israël et de ses apologistes [voir Compter les morts à Gaza : une tâche difficile mais essentielle (The Lancet)].
Il est pratiquement impossible d'ignorer que le « plan des généraux » pour le nord de Gaza — intensification des bombardements israéliens, expulsion de 400 000 Palestiniens d'environ la moitié de leur minuscule territoire et extermination de toute personne restant sur place qualifiée de « terroriste » — constitue un génocide au sens propre [voir Exterminer, expulser, recoloniser : les objectifs d'Israël au nord de Gaza].
Avec Gaza détruite, une grande partie de sa population morte ou grièvement blessée, affamée, privée des soins médicaux les plus basiques, il est peut-être déjà trop tard pour stopper ce génocide.
Le Guardian se prépare un alibi avant que la poussière ne retombe et que le véritable bilan n'effraie même les soutiens d'Israël. Le journal doit d'urgence rationaliser ses longs mois d'obscurcissement et de procrastination, et présenter ses excuses avant l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Cet article d'opinion est son moyen d'y parvenir.
Malgré cela, le journal s'efforce de transformer en vertu ses longs mois d'échec — durant lesquels il a, avec le reste des médias du système, accordé à Israël la liberté de perpétrer un génocide à Gaza en le présentant à tort comme une « guerre contre le Hamas ».
Article original en anglais : A year late, the Guardian finally permits us to use the term 'genocide', Jonathan Cook, le 8 novembre 2024
Traduction : Alain Marshall pour son blog
Avec une mauvaise foi caractéristique, le Guardian a permis à l'une de ses éditorialistes de publier un article d'opinion s'interrogeant sur l'opportunité d'utiliser, enfin, le terme « génocide » pour qualifier ce qui se déroule à Gaza depuis treize mois. Vous serez peut-être soulagés d'apprendre que le journal estime qu'il est désormais acceptable d'utiliser le mot tabou de « génocide » pour décrire l'anéantissement continu de l'enclave et de sa population.
« Nous assistons à la phase finale du génocide à Gaza », article du Guardian du 6 novembre 2024
Le Guardian ouvre ce débat dix mois après que les juges de la Cour internationale de Justice - la plus haute autorité judiciaire au monde, peu connue pour son radicalisme - ont admis que les avocats sud-africains avaient présenté des arguments « plausibles » pour démontrer que les actions d'Israël à Gaza correspondaient à la définition stricte du génocide en droit international [lire le plaidoyer de l'Afrique du Sud à la Cour internationale de Justice : le comportement génocidaire d'Israël à Gaza et les intentions génocidaires d'Israël à Gaza]. Depuis cette décision rendue en janvier, les conditions de vie dans l'enclave se sont considérablement détériorées.
Comme je l'ai récemment souligné, le Guardian — comme l'ensemble des médias occidentaux — a maintenu une interdiction tacite de l'usage du mot « génocide », sauf dans les débats juridiques spécifiques à l'affaire portée devant la CIJ. Des employés lanceurs d'alerte ont confié à Novara Media qu'ils étaient soumis à un « contrôle étouffant » de la part des rédacteurs en chef, une pression qui, selon eux, n'existait que lorsqu'il s'agissait de publier des articles critiques envers Israël.
Alors, pourquoi ce changement soudain de position de la part du journal - à supposer qu'il ne s'agisse pas simplement d'une petite concession destinée à apaiser le mécontentement croissant d'une partie de ses lecteurs ?
Une des réponses pourrait être que l'article publié par Novara Media a causé un embarras considérable au journal. Le personnel du Guardian a également révélé à Novara que le journal avait retiré de ses pages un article d'opinion rédigé par Susan Abulhawa, une éminente auteure palestinienne, après qu'elle a insisté pour utiliser le terme « holocauste » afin de décrire ce qu'elle avait observé à Gaza.
La rédactrice en chef, Kath Viner, avait proposé à Abulhawa un « compromis » — que Viner considérait sans doute comme très généreux — en lui permettant exceptionnellement d'utiliser le terme « génocide » à la place. En refusant cette proposition, Abulhawa a pris le Guardian au dépourvu.
Cet épisode a attiré l'attention sur le fait que le Guardian a surveillé étroitement le langage utilisé à propos de Gaza, traitant comme extraordinairement controversée toute caractérisation du massacre comme un génocide, ce qui a contribué à permettre à Israël de poursuivre ce génocide.
Il y a une autre raison probable expliquant ce changement de position.
Le Guardian permet ce débat très tardivement — au moment où, comme le reconnaît le titre de l'article, le génocide atteint sa « phase finale ».
L'auteure de l'article d'opinion, Arwa Mahdawi, cite divers chiffres d'experts qui situent le nombre réel de morts dans les centaines de milliers, plutôt que dans les dizaines de milliers — un fait évident depuis de nombreux mois pour les observateurs ne s'inclinant pas devant les sensibilités d'Israël et de ses apologistes [voir Compter les morts à Gaza : une tâche difficile mais essentielle (The Lancet)].
Il est pratiquement impossible d'ignorer que le « plan des généraux » pour le nord de Gaza — intensification des bombardements israéliens, expulsion de 400 000 Palestiniens d'environ la moitié de leur minuscule territoire et extermination de toute personne restant sur place qualifiée de « terroriste » — constitue un génocide au sens propre [voir Exterminer, expulser, recoloniser : les objectifs d'Israël au nord de Gaza].
Avec Gaza détruite, une grande partie de sa population morte ou grièvement blessée, affamée, privée des soins médicaux les plus basiques, il est peut-être déjà trop tard pour stopper ce génocide.
Le Guardian se prépare un alibi avant que la poussière ne retombe et que le véritable bilan n'effraie même les soutiens d'Israël. Le journal doit d'urgence rationaliser ses longs mois d'obscurcissement et de procrastination, et présenter ses excuses avant l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Cet article d'opinion est son moyen d'y parvenir.
Malgré cela, le journal s'efforce de transformer en vertu ses longs mois d'échec — durant lesquels il a, avec le reste des médias du système, accordé à Israël la liberté de perpétrer un génocide à Gaza en le présentant à tort comme une « guerre contre le Hamas ».
Article original en anglais : A year late, the Guardian finally permits us to use the term 'genocide', Jonathan Cook, le 8 novembre 2024
Traduction : Alain Marshall pour son blog
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