La décision d’aujourd’hui est loin d’être un “sursis”. Juste une étape de plus dans un long processus pseudo-juridique conçu pour justifier sans relâche le maintien d’Assange derrière les barreaux.
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Le Guardian – dont la couverture de la procédure d’extradition d’Assange fait l’objet d’un énorme conflit d’intérêts non déclaré (voir ici et ici) – a titré la décision rendue aujourd’hui par la High Court britannique comme étant un “sursis temporaire” pour Assange. Or, c’est loin d’être le cas.
Cinq ans plus tard, M. Assange est toujours enfermé dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, reconnu coupable de… strictement rien.
Cinq ans plus tard, il est toujours poursuivi par les États-Unis pour des accusations grotesques en vertu d’un texte législatif centenaire et draconien appelé Espionage Act. M. Assange n’est pas ressortissant américain et aucun des chefs d’accusation n’est lié à ce qu’il aurait pu faire aux États-Unis.
Cinq ans plus tard, la justice britannique continue de cautionner son procès pour l’exemple – un avertissement à d’autres de ne pas dénoncer de crimes d’État, comme Assange l’a fait en publiant des détails sur les crimes de guerre britanniques et américains en Afghanistan et en Irak.
Cinq ans plus tard, les juges londoniens continuent de fermer les yeux sur les tortures psychologiques subies par M. Assange, comme l’a documenté l’ancien expert juridique des Nations unies, Nils Melzer.
Le terme “sursis” est là – tout comme l’intitulé de la décision des juges selon lequel certains des motifs de son appel ont été “accordés” – pour dissimuler l’interminable mascarade juridique dont il est victime, à l’instar de son incarcération dans une cellule de Belmarsh.
En fait, la décision rendue aujourd’hui est la preuve supplémentaire que M. Assange est privé de toute procédure régulière et de ses droits juridiques les plus fondamentaux, comme c’est le cas depuis une dizaine d’années, voire plus.
Dans sa décision, la Cour le prive de tout motif d’appel substantiel, précisément pour éviter que le public n’en apprenne davantage sur les divers crimes britanniques et américains qu’il a révélés et pour lesquels il est maintenu en prison. Il est ainsi privé d’une défense d’intérêt public contre l’extradition. Ou, selon la terminologie de la Cour, sa “requête en vue de produire de nouvelles preuves est rejetée”.
Plus important encore, M. Assange est spécifiquement privé du droit d’interjeter appel sur les bases juridiques mêmes qui devraient lui garantir un appel, et qui auraient dû garantir qu’il ne soit jamais soumis à ce simulacre de procès dès le départ. Son extradition violerait clairement l’interdiction du traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis pour des motifs politiques.
Néanmoins, dans leur grande sagacité, les juges estiment que la vendetta de Washington contre M. Assange pour avoir révélé ses crimes n’est pas motivée par des considérations politiques. De même, les efforts déployés par la CIA pour kidnapper et assassiner M. Assange après que l’Équateur lui a accordé l’asile politique, précisément pour le protéger de la colère de l’administration américaine, n’auraient apparemment pas été motivés par des considérations d’ordre politique.
Ce que la Cour “accorde” en revanche, ce sont trois motifs techniques d’appel – même si, en petits caractères, ce “accorde” est en fait transformé en “ajourne”. Le “sursis” célébré par les médias – censé être une victoire pour la justice britannique– réduit en fait à néant les chances juridiques d’Assange.
Chacun de ces motifs d’appel peut être invalidé – c’est-à-dire rejeté – si Washington soumet des “garanties” à la Cour, même si elles s’avèrent sans valeur dans la pratique. Dans ce cas, Assange aura pris un vol pour les États-Unis et aura effectivement disparu dans l’un de leurs sites noirs nationaux.
Les trois motifs d’appel en suspens sur lesquels la Cour souhaite être rassurée sont les suivants : l’extradition ne
- privera pas Assange de ses droits fondamentaux à la liberté d’expression
- ne le discriminera pas sur la base de sa nationalité, en tant que citoyen non américain
- ne le placera pas sous la menace de la peine capitale dans le système pénal américain.
La dernière dérobade du pouvoir judiciaire pour satisfaire les velléités de Washington de maintenir Assange verrouillé à jamais fait suite à des années de procédures judiciaires abusives au cours desquelles les États-Unis ont été autorisés à plusieurs reprises à modifier les accusations portées contre Assange dans des délais très brefs, afin de déjouer son équipe juridique. Cela fait également des années que les États-Unis ont eu l’occasion d’exprimer clairement leur intention d’offrir à M. Assange un procès équitable, ce qu’ils ont pourtant refusé de faire.
Les véritables intentions de Washington sont déjà plus que claires : les États-Unis ont espionné les moindres faits et gestes de M. Assange alors qu’il était sous la protection de l’ambassade d’Équateur, violant ainsi le secret de la relation avocat-client, et la CIA a comploté en vue de l’enlever et de l’assassiner.
Ces deux motifs auraient dû à eux seuls entraîner le rejet de l’affaire.
Mais rien dans la procédure engagée contre M. Assange n’est normal, ni légal. Le but de cette affaire a toujours été de gagner du temps. Faire disparaître Assange de la scène publique. Le diaboliser. Pour détruire la plateforme de publication révolutionnaire qu’il a fondée pour aider les lanceurs d’alerte à dénoncer les crimes de l’État. Pour envoyer aux autres journalistes le message clair que les États-Unis sont en mesure de les attaquer, où qu’ils se trouvent, s’ils tentent de demander à Washington de rendre compte de ses agissements criminels.
Et, pire que tout, apporter une solution définitive pour la nuisance qu’Assange était devenu pour la superpuissance mondiale en l’enfermant dans un processus infini d’incarcération et de procès qui, s’il est encore prolongé assez longtemps, le tuera très probablement.
La décision d’aujourd’hui est loin d’être un “sursis”. Ce n’est qu’une étape de plus dans un long processus pseudo-juridique conçu pour justifier sans relâche le maintien d’Assange derrière les barreaux, et pour repousser sans cesse le jour du jugement dernier, où Assange serait libéré et les systèmes judiciaires britannique et américain démasqués en tant que serviteurs d’un pouvoir cruel et impitoyable.
Jonathan Cook
Article original en anglais : Assange’s ‘reprieve’ is another lie, hiding the real goal of keeping him endlessly locked up, Jonathan-Cook.net, le 26 mars 2024.
Traduction : Spirit of Free Speech