En Russie, des feux géants ravagent de nouveau la région arctique
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4 juillet 2020 / Estelle Levresse (Reporterre)
Dans la région arctique russe, les incendies de forêt deviennent incontrôlables. Plus de 8 millions d’hectares sont déjà partis en fumée en 2020, dans le sillage d’une année déjà record en 2019. Ces feux, qui dégradent la qualité de l’air, accélèrent le changement climatique.
- Moscou (Russie), correspondance
Après les records de chaleur enregistrés fin juin en Arctique, la Sibérie et l’Extrême-Orient russe font désormais face à de terribles incendies. Au 2 juillet, près de 3 millions d’hectares étaient en feu en Russie, selon les informations du système de surveillance à distance de l’Agence fédérale des forêts. Les incendies sont principalement concentrés en Yakoutie, en Tchoukotka, dans la région de Magadan, au nord de la région du Kamtchatka et dans la région de Krasnoïarsk. Six districts de régions ont décrété des états d’urgence en raison de ces incendies.
Selon Greenpeace Russie, la superficie totale couverte par les feux de forêt s’élève déjà à plus de 8 millions d’hectares sur les six premiers mois de l’année 2020. L’ONGécologiste craint une situation à venir similaire à celle de 2019 et appelle le gouvernement à réagir. L’an dernier, plus de 15 millions d’hectares avaient brûlé en Russie, un record depuis que les statistiques de l’Agence fédérale des forêts existent.
« Les autorités n’ont tiré aucune leçon de 2019. Cette catastrophe dans les forêts de Sibérie et d’Extrême-Orient a une grande probabilité de se reproduire », alerte Greenpeace mettant en cause, notamment, la législation forestière russe qui permet aux autorités régionales de définir des zones dites de « contrôle » où elles peuvent décider de ne pas agir si le feu ne constitue pas une menace pour les habitants et si les coûts estimés des opérations de lutte contre les incendies dépassent ceux des dommages. L’ONG demande l’implication des autorités fédérales dans la détermination de ces zones de contrôles et une multiplication par trois des moyens fédéraux dédiés à la lutte contre les incendies.
« Les températures anormalement élevées à la surface peuvent avoir rendu le sol et la végétation plus secs et plus exposés au feu »
S’il est encore trop tôt pour prédire l’ampleur des incendies que connaîtra l’année 2020, le service européen de surveillance de l’atmosphère Copernicus constate que « les feux de forêt à travers la Sibérie orientale ont augmenté en nombre et en intensité depuis mi-juin d’une manière très similaire à la même période de l’année dernière ».
La vague de chaleur survenue en Arctique au mois de juin, avec des températures de l’ordre de 12 °C à 14 °C supérieurs aux normales saisonnières — dont un record à 38 °C observé le 20 juin dans la ville arctique de Verkhoïansk — sont parmi les facteurs favorisant la propagation des incendies.
« Nous utilisons des observations satellitaires d’incendies actifs. Il est difficile de déterminer l’origine exacte des incendies sans information du sol mais les températures anormalement élevées à la surface peuvent avoir rendu le sol et la végétation plus secs et plus exposés au feu », confirme à Reporterre Mark Parrington, expert au service de surveillance de l’atmosphère Copernicus. « Les années précédentes, l’activité des incendies en Sibérie correspondait à des zones de faibles précipitations et de faible humidité du sol », précise-t-il.
« Les quantités de CO2 que dégagent les incendies sont énormes »
Premier effet direct de ces incendies : la qualité de l’air. « Ces feux de forêt émettent beaucoup de polluants atmosphériques nocifs pour la santé à proximité de leur localisation bien sûr, mais qui peuvent aussi potentiellement être transportés à des milliers de kilomètres en fonction des vents », indique Mark Parrington. L’an dernier, les fumées toxiques provoquées par les incendies en Sibérie avaient atteint plusieurs grandes villes comme Krasnoïarsk, Novossibirsk ou Tomsk plongées dans le brouillard pendant plusieurs semaines.
Ces feux de grande ampleur ont également un effet accélérateur sur le changement climatique : à la fois ils éliminent des « capteurs » de dioxyde de carbone en détruisant des forêts et des écosystèmes mais libèrent eux-mêmes du CO2. « Les quantités de CO2 que dégagent les incendies sont énormes », précise Sonia Seneviratne, climatologue à l’École polytechnique fédérale de Zurich. « Pour avoir un ordre d’idée, les feux très importants qui ont eu lieu en Australie en janvier et février 2020 ont généré des émissions de gaz à effet de serre équivalentes au total des émissions annuelles du pays. »
Autre effet néfaste sur le climat : les cendres des incendies qui se déposent dans les régions polaires. Le sol devient sombre. Il ne réfléchit plus le rayonnement solaire mais au contraire l’absorbe. Ce qui entraîne un réchauffement additionnel.
Dans une étude publiée dans la revue Nature Geoscience, Sonia Seneviratne montre également que le phénomène de sécheresse ne touche pas seulement des latitudes moyennes, mais également des hautes latitudes, incluant des régions de Russie où ont lieu actuellement ces incendies.
La multiplication des phénomènes extrêmes comme les incendies ou les anomalies de températures dans ces régions rappelle qu’« il faut absolument changer de cap », estime Sonia Seneviratne. « Comme l’indique le Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] dans son rapport, pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d’ici 2100, il nous faut diminuer de moitié nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 10 ans ».
Selon des estimations récentes, le réchauffement climatique serait près de trois fois plus rapide en Arctique que dans le reste du monde. Une problématique de taille pour la Russie, dont un quart du territoire se situe au nord du cercle arctique.
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