lundi 24 février 2020

‘Ce ne sont pas des êtres humains, mais seulement des Palestiniens’ : en Israël, un mal plus grave que le coronavirus

Par Gideon Levy
L’esprit de Tsahal en une phrase : ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des Palestiniens.
Nous devons remercier le conducteur du tracteur militaire qui est devenu fou dans les rues de Kfar Qaddum l’autre jour, et même lui décerner une citation à l’ordre du mérite : il a fourni une image incroyablement précise de la réalité d’Israël, tant pour les Israéliens que pour le monde extérieur.
Jetez un œil au clip vidéo qui circule sur les réseaux sociaux : voici ce qu’est l’occupation. Voilà à quoi ça ressemble. Voilà comment elle se comporte. Elle est lourde, violente et débridée. Il est difficile de penser à une image qui reflète mieux la situation que ce véhicule en acier se dirigeant sauvagement dans les rues d’un village palestinien, fonçant dans une foule qui essaie de fuir pour sauver sa vie [les images d’enfants brûlés par du phosphore blanc, d’autres tués d’une balle dans la tête ou de destructions d’immeubles avec leurs habitants à l’intérieur viennent également à l’esprit]. Peu importent les réprobations dubitatives : ce tracteur parle la langue de Tsahal, plus que toute autre chose. Oubliez le Coronavirus, c’est là la véritable épidémie, avec des millions de porteurs partout en Israël.
Qaddum est l’un des derniers villages palestiniens combattants. Les habitants s’y battent tous les jours de la semaine pour la réouverture d’une route de sortie qui a été bloquée en raison de la colonie illégale de Kedumim. Une vidéo de neuf minutes prise par des résidents il y a quelques jours montre des dizaines de jeunes gens courageux et en colère jetant des pierres sur des soldats, qui leur tirent des gaz lacrymogènes dans une chorégraphie de mort. Deux enfants y ont reçu une balle dans la tête ces derniers mois. Les soldats tirent, les jeunes se retirent, et c’est un combat du lance-pierre de David contre les lance-grenades, avec Jonathan Pollak du côté de la résistance et des cris amers qui s’élèvent en arrière-plan.
Et puis vient le tracteur. Il accélère rapidement vers les manifestants, le conducteur étant assis en hauteur et protégé. Il ne peut même pas discerner s’il écrase ou non des gens. Et il ne semble pas que cela le dérange. Ce ne sont pas des êtres humains qui lui font face. Ce sont des Palestiniens. Si quelqu’un glissait en fuyant, il serait écrasé à mort et le conducteur ne ressentirait rien. Personne n’appellerait cela une attaque par voiture-bélier. Le terrorisme n’est commis que par des Palestiniens.
Aux yeux du conducteur, il y a un troupeau devant lui qui doit être déplacé. Même les animaux ne doivent pas être repoussés de cette manière, mais c’est Qaddum, c’est l’occupation et c’est ainsi qu’elle fonctionne. Il n’y a aucune raison de se plaindre du conducteur, car il n’y a pas d’autre moyen de maintenir l’occupation et de maîtriser la résistance justifiée qui s’est réveillée.
Ce tracteur n’est pas un avion sophistiqué qui bombarde Gaza ou un missile intelligent qui peut exploser dans une chambre. Ce n’est qu’un tracteur. Une machine destinée à détruire des maisons et à évacuer les gens des routes. Mais le conducteur est sans aucun doute fier de son service militaire. Quelqu’un doit faire ce travail. Il y a quelques années, le type qui occupait ce poste s’appelait Dubi Kurdi. Son vrai nom était Moshe Nissim mais le système de communication de Tsahal dans le camp de Jénine lui a donné le surnom de Dubi Kurdi. Oh, le bon vieux temps qui reviendra ! Kurdi a détruit le camp de réfugiés de Jénine. Pendant 75 heures, il s’est assis dans un bulldozer D-9 et, avec ses amis, a effacé 530 maisons de réfugiés de la surface de la terre. Il a dit qu’il avait apprécié chaque instant, et qu’il regrettait seulement de ne pas avoir été autorisé à terminer son travail.
Le 31 mai 2002, au plus fort de l’opération Bouclier défensif (qui a tué 497 Palestiniens et en a blessé 1447 selon l’ONU), Yedioth Ahronoth a publié le récit de Dubi Kurdi. La vengeance de son tracteur reflétait l’esprit du temps. Le même esprit existe aujourd’hui. Peut-être s’est-il vanté en vain, peut-être qu’il a parlé ouvertement. Avec une bannière du club Beitar Jérusalem sur son bulldozer, une bouteille de whisky dans la boîte à gants et une grande chanson dans son cœur, Kurdi voulait aplatir une colline et transformer le camp de réfugiés de Jénine en stade Teddy (stade de football à Jérusalem). Il a obtenu ce qu’il voulait. Son unité a reçu une médaille.
« Pendant trois jours, j’ai écrasé ces maisons encore et encore. Je n’ai vu personne à l’intérieur tandis que les maisons s’effondraient, mais s’il y avait eu des gens à l’intérieur, je ne m’en serais pas soucié. Je suis sûr qu’il y avait des gens qui sont morts à l’intérieur. Mais c’était difficile à voir. Il y avait beaucoup de poussière. J’ai eu beaucoup de plaisir à voir toutes les maisons qui s’étaient écroulées. Parce que je savais qu’ils ne se soucient pas de mourir ; perdre une maison les blesse davantage. Détruisez une maison et vous avez enterré 40 à 50 personnes pour les générations à venir. J’en ai tiré beaucoup de satisfaction. J’ai beaucoup aimé. »
C’est l’héritage de Tsahal. L’autre jour, nous avons vu que cela n’avait pas changé.
Source : Haaretz,
Traduction : lecridespeuples.fr

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