vendredi 20 décembre 2019


Pourquoi il faut se défendre face aux GAFAM
Jérôme Bondu source : Usbek et Rica

Omniscients, omniprésents, omnipotents, les géants américains du Web imposent leurs règles aux entreprises et aux consommateurs, tout en s'affranchissant allègrement de celles édictées par les États. La toute puissance d'Amazon et consort fait peser de réelles menaces sur nos économies, nos sociétés et même sur nos libertés fondamentales. Quelles sont les différentes formes de menaces ? Et que faire pour y résister ?
La menace financière
Les pratiques d'optimisation fiscale des géants américains du Web sont, désormais, largement documentées. Après des années de tergiversations politiques, les autorités semblent s'être enfin réveillées. À l'image de la France qui, au grand dam de Donald Trump, a adopté, cet été, une inédite « taxe GAFA »devant imposer les entreprises concernées à hauteur de 3% de leur chiffre d'affaires réalisé dans l'Hexagone, et seulement sur trois types d'activité (publicité ciblée en ligne, vente de données personnelles à des fins publicitaires et activités de plateformes d'intermédiation).
Cette nouvelle taxe devrait rapporter 400 millions d'euros aux caisses de l'État, alors qu'elle s'est élevée à 180 millions l'année dernière. Est-ce une victoire ? C’est « une broutille », répond le député de Paris (LREM) Mounir Mahjoubi, auteur d'une étude selon laquelle l'impôt sur les sociétés de ceux que l'ancien secrétaire d'État au Numérique qualifie de « hackeurs de la fiscalité » devrait normalement atteindre 1,1 milliard d'euros. Soit « neuf fois plus que les versements actuels ». La raison de ce gigantesque manque à gagner pour les caisses de l'État est simple : grâce à d'opaques et complexes montages financiers, en 2018, les GAFAM n'ont déclaré en France que 3,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, contre un montant estimé à 14,9 milliards.
La menace économique
Derrière leurs produits gratuits (pour le grand public) se cachent des rouages économiques entraînant distorsion de concurrence et servitude technologique. Que pouvons-nous, par exemple, contre le fait qu'Amazon modifie ses algorithmes de recherche afin de mettre en avant, sur sa plateforme, ses propres produits, reléguant en bas de page ceux de ses concurrents directs ? Jusqu’où l'assistant vocal Alexa, nous écoute-t-elle et nous enregistre-t-elle ? Comment lutter contre les dystopiques possibilités entrevues par le déploiement du réseau Sidewalk, qui serait à priori capable de reconstituer – et donc de surveiller – les déplacements d'une personne en fonction des routeurs Amazon qu'elle croise ?
La menace cognitive 
Plus complexe, mais aussi plus pernicieuse, la menace cognitive doit être bien comprise. En effet, les outils numériques que nous offrent les GAFAM nous infantilisent. Comme le dit Nicholas Carr dans son célèbre essai Internet rend-il bête ? (Robert Laffont, 2011) : « La technologie d’internet altère le fonctionnement du cerveau, notamment par la capture constante de notre attention. (…) Google, en tant que champion du web, est aussi le champion du vol de notre attention. »
Cette menace est d’autant plus pernicieuse que, comme le souligne le sociologue Dominique Cardon, on ne s’en rend pas compte. Le grand public ne s’aperçoit pas de la fermeture car le système numérique mis en place n’a pas d’action sur eux, les internautes, mais sur le système. L’action n’est pas « sur les joueurs mais sur les règles du jeu », explique-t-il.
Soit nous restons authentiques et sans filtre sur Internet, et alors nous nous dévoilons imprudemment aux yeux des GAFAM et in fine du renseignement américain ; soit nous nous masquons, et nous trahissons alors notre nature. Dans les deux cas, nous perdons !
La menace de déclassement numérique
Nous assistons, impuissants, à une nouvelle polarisation du monde entre deux modèles aux antipodes l’un de l’autre. D'une part, le modèle américain, pour qui la collecte de données personnelles sert un modèle économique basé sur la vente des données à des fins publicitaires. De l'autre, le modèle chinois, pour qui la collecte des données sert un dessein politique.
Notre situation ressemble fort à celle des anciens pays non-alignés d’un monde numérique bipolaire
 Et nous, dans tout ça ? Nous sommes devenus le tiers-numérique, à l’instar du tiers-monde du temps de la guerre froide. C’est triste à dire, mais notre situation ressemble fort à celle des anciens pays non-alignés d’un monde numérique bipolaire. Constat amer, nous sommes bel et bien dans le camp des perdants du numérique.

La menace de l’immobilisme
Face à ces multiples menaces, il en est une qui serait pire que tout : l’immobilisme. Mais que faire ? Il est vrai que l’état des lieux est catastrophique. Il est vrai qu’inverser la tendance semble pharaonique. Mais il est aussi vrai que l’actualité donne des opportunités d’espérer. Entre le RGPD, les amendes records et la taxe GAFAM, les sociétés européennes montrent qu’elles sont encore prêtes à lutter contre des modèles économiques qui détruisent notre modèle social, nos petits commerces et notre souveraineté. Cet élan ne doit surtout pas faiblir. Ne pas céder sur le volet fiscal est une nécessité impérieuse. Repenser notre rapport à la technologie est une urgence. Et maîtriser Internet, avant qu’il ne nous maîtrise, apparaît comme le prérequis d’une société numérique plus vertueuse.
Nous sommes, aujourd’hui, à la croisée des chemins : il est encore temps de combler les trous béants que creusent dans l’économie, dans notre R&D et dans nos centres-villes des géants du numérique organisés en oligopoles. Arrêtons de perdre ! Battons-nous !

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