Nouvelle dégringolade pour l’or noir
(source : 21stcenturyenergies)
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Alors que les cours de brut semblaient s’être stabilisés depuis Avril dernier, voilà que le pétrole subit une nouvelle chute en ayant perdu plus de 20% de sa valeur depuis le début du mois de Juillet. Quels sont les facteurs responsables de ce nouveau déclin ?
Un marché pétrolier surapprovisionné
Après avoir trouvé un « couloir d’équilibre » autour de 60$ depuis plus de 2 mois, le baril de brut américain (WTI) est de retour sous les 50$. Il a même touché dans la journée du 27 juillet les 47$, se rapprochant ainsi dangereusement du niveau atteint en Mars dernier, sous les 44$. Cette chute a la particularité d’être particulièrement brutale. Elle s’explique par la surabondance de l’offre, que la demande est loin d’être en mesure de combler à l’heure actuelle. Les derniers rapports de l’Agence Internationale de l’Energie chiffrent ainsi à 1.8 millions de barils par jour l’excédent de pétrole inondant le marché.
L’accord sur le nucléaire iranien comme détonateur
Après avoir été au cœur du second choc pétrolier de 1979 en pleine révolution islamique (voir à ce sujet l’excellent ouvrage de M. Auzanneau « Or Noir, la grande histoire du pétrole »), l’Iran revient sous les feux des projecteurs des magnats du pétrole. Des années de tractations entre l’Allemagne et les membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU (USA, Chine, France, Russie et Royaume-Uni ) d’un côté et le gouvernement iranien de l’autre, auront finalement abouti à l’accord trouvé le 14 Juillet dernier sur l’épineux dossier nucléaire.
Rapide retour en arrière. Au sortir de 8 années de conflit avec l’Irak lors de la 1ère guerre du Golfe, l’Iran met tout en œuvre pour relancer son programme de développement nucléaire. Dès le début des années 2000, les pays occidentaux accusent l’Iran de développer son programme nucléaire dans un but militaire, la phobie de la bombe nucléaire refaisant surface dans cette région du globe particulièrement sensible. L’Iran rétorque que ce programme est purement civil et que l’uranium utilisé ne servira qu’aux centrales nucléaires du pays. Face a à ce profond désaccord et à l’opacité du système iranien, les puissances occidentales décident en 2006 d’imposer des sanctions à l’Iran, parmi lesquelles un embargo sur divers produits (armes et technologies de pointe) ainsi que des restrictions sur les exportations. Les relations très tendues entre le sulfureux président iranien Ahmadinejad et George Bush n’améliorent guère la situation entre temps. Il aura donc fallu attendre l’élection des nouveaux présidents Rohanni et Obama pour que le retour à la table des négociations soit enfin constructif.
Avec cet accord permettant à l’Iran de poursuivre son programme nucléaire dans un cadre civil, tout en étant supervisé par les Occidentaux, les sanctions devraient être levées dès 2016 et avec elles les restrictions sur les exportations de pétrole. Disposant des deuxièmes réserves mondiales de pétrole conventionnel derrière l’Arabie Saoudite, l’Iran va enfin pouvoir retrouver le prestige dont il jouissait à l’époque du Shah. Les rumeurs vont bon train quant aux réelles quantités de brut d’ores et déjà à la disposition des Iraniens et prêtes à inonder le marché. Comme le montre le graphique ci-dessous, les Iraniens auraient stocké plus de 40 millions de barils sur des tankers en attendant patiemment qu’un accord soit trouvé. Par ailleurs, le ministre iranien du pétrole a déclaré qu’il souhaitait voir les exportations de brut doubler une fois toutes les sanctions levées. De quoi saturer un marché déjà soumis à une offre très largement excédentaire, et par conséquent tirer les prix vers le bas.
Crise grecque en Europe, krach boursier en Chine
Pour combler cet excédent d’offre, la faiblesse de la demande ne permet pas de soutenir le prix du baril. L’Europe et la Chine traversent en ce moment une période particulièrement difficile.
La croissance commence à piquer du nez chez le géant chinois, deuxième plus gros consommateur de pétrole au monde. Le ralentissement industriel a été accompagné de mauvais résultats pour les entreprises locales au 2ème trimestre. La crise que traverse la Chine peut paraître totalement paradoxale pour cet état communiste. On estime en effet qu’environ 90% des investisseurs chinois sont des particuliers, beaucoup n’ayant pas hésité à s’endetter pour boursicoter. Des mesures ont alors été prises par le gouvernement chinois en juin dernier afin de limiter cet endettement destiné à être placé en bourse. S’en est suivi un véritable krach boursier, les indices de la bourse de Shangaï dévissant de plus de 30%. Les particuliers essaient aujourd’hui de se délester de ces actions pour limiter leurs pertes, provoquant un décrochage encore plus important, tandis que le gouvernement tente d’endiguer le phénomène. Parmi les nombreuses mesures annoncées ces dernières semaines, la plus symbolique est sans aucun doute la menace d’emprisonnement dans certains cas « excessifs » de spéculation baissière. Cela ne suffit pour l’instant pas à convaincre les places boursières. Ce ralentissement en Asie est donc en partie responsable du récent déclin des cours de l’or noir.
De son côté l’Europe peine toujours à voir le bout du tunnel. Le redémarrage économique prend beaucoup plus de temps que prévu comme en témoigne encore les mauvais chiffres du chômage en France. La crise grecque a également mis son grain de sel. L’euro a ainsi perdu près de 5% de sa valeur face au dollar entre mi-juin et mi-juillet. Les produits vendus en dollar, comme le pétrole, ont ainsi vu leur valeur augmenter pour les acheteurs européens, réduisant par conséquent la demande.
La résistance du schiste américain
Les producteurs de pétrole de schiste devaient être les premiers impactés par la chute des prix initiée en fin d’année 2014. Le nombre de puits forés (publié chaque semaine par Baker Hughes) était par conséquent un chiffre scruté de très près par les analystes. Et pour cause, le nombre de derricks en activité a chuté de 50% entre Janvier et Juin 2015 (voir graphe ci-dessous). L’offre côté américain paraissant s’essouffler, ceci a permis mécaniquement de soutenir les prix du baril sur les marchés. Cependant, après 29 semaines de baisse consécutives, le nombre de derricks est reparti à la hausse en Juillet, en dépit d’un prix proche de 50$ sur les marchés, soit une valeur proche de l’estimation du seuil de rentabilité du pétrole de schiste. Cette tendance demeure toutefois encore à confirmer puisqu’il existe toujours un décalage entre la baisse des prix sur le marché et la mise en œuvre des forages.
Les producteurs américains de pétrole de schiste résistent donc bien mieux que prévu au régime drastique imposé par les faibles niveaux des cours du brut. L’avenir nous dira assez tôt si la réduction des coûts entreprise dans cette industrie a réellement porté ses fruits (à ce propos, voir l’interview du PDG d’Apache dans les colonnes de Bloomberg : « Why This Shale CEO Isn’t Afraid of OPEC or Low Oil Prices ») ou si la stratégie de l’OPEP finira par provoquer un important ralentissement dans le secteur du schiste.
L’OPEP continue de pomper à plein régime
Conscients de la surabondance de l’offre tirant les prix vers le bas, les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ne souhaitent cependant pas réduire leur rythme de croisière au niveau de la production. Bien au contraire, l’Arabie Saoudite et l’Irak ont même mis les bouchées doubles dernièrement. Les exportations de pétrole de ces deux pays ont augmenté respectivement de 22% et 19% depuis Janvier dernier (voir graphe). Il est également intéressant de constater que la production journalière de l’OPEP au second trimestre 2015 a été supérieure de plus d’1,2 million de barils au seuil de production journalier -à savoir 30 millions de barils par jour- fixé d’un commun accord par l’ensemble des pays membres (Source: EIA).
Le pétrole issu du Golfe Persique, qui dans l’histoire a souvent joué le rôle de variable d’ajustement sur le marché mondial, tend aujourd’hui à vouloir conserver ses parts de marché. Il aimerait en toute logique partager ce rôle avec le pétrole des pays en dehors de l’OPEP, au premier rang desquels le pétrole russe. La Russie ne semble cependant pas l’entendre de cette oreille puisque les niveaux de production ont récemment atteint des records avec plus de 10 millions de barils pompés chaque jour. En tout état de cause, le ministre de l’énergie saoudien a confirmé mi-juillet que le cartel optait pour le statu quo, affirmant que l’excédent finirait par se résorber de lui-même avec les prix de marché. La longue résistance des producteurs de schiste laisse tout de même planer le doute sur cette analyse.
Pas d’important rebond en vue
Difficile de dire si cette baisse va s’inscrire sur le long terme. Il est toutefois peu probable de voir le baril américain repasser la barre des 60$ avant la fin de l’année 2015, la saturation physique du marché pétrolier ne devant pas être réglée avant cette échéance. Comme démontré plus haut, tous les indicateurs sont aujourd’hui baissiers. Dans le cas où cette baisse se prolongerait dans les mois à venir, les réactions des pays de l’OPEP et des producteurs américains seront intéressantes à suivre pour capter les tendances futures. La bonne tenue des relations entre les pays occidentaux et l’Iran influencera par ailleurs la levée progressive des sanctions, pouvant renforcer la situation actuelle de surapprovisionnement.
Si rebond il doit y avoir, la Chine aura sans nul doute alors su prouver qu’elle n’est pas un géant aux pieds d’argile et que son économie est belle et bien solide.
La France en profite pour taxer davantage
En ces temps de pétrole bon marché pour le contribuable, il est de bon ton d’augmenter les taxes. Le gouvernement français l’a bien compris en annonçant récemment deux nouvelles mesures permettant de contrebalancer cette baisse pour d’une part remplir les caisses de l’Etat et également encourager les alternatives aux énergies fossiles. La loi de transition énergétique votée la semaine dernière prévoit ainsi d’augmenter la contribution climat-énergie (la fameuse « taxe carbone », voir article précédent sur le sujet) d’un facteur 4 d’ici 2022 –atteignant alors 56€ par tonne de CO2. Une telle mesure se traduirait notamment par une augmentation d’environ 8 centimes des prix à la pompe en 2022.
D’autre part, la CSPE (Contribution au Service Public de l’Electricité) –taxe prélevée auprès des consommateurs d’électricité, permettant de financer entre autres les tarifs de rachat accordés aux énergies renouvelables- devrait être étendue au gaz et aux carburants. Sensée officiellement « impacter les énergies fossiles » la mesure permettrait surtout d’étaler cette contribution de manière à faire taire les critiques sur cette taxe qui augmente chaque année (+18% au 1er Janvier dernier) sans que cela ne suffise à couvrir entièrement les coûts qui lui sont associés. Rappelons que le gouvernement l’a fixée à 19.5€/MWh cette année alors que la Commission de Régulation de l’Energie l’estimait à 25.9€/MWh.
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