L’Algérie, ma terre de djihad
le 22.05.15 | 10h00 1 réaction
Mathieu est devenu Moussa. Marylise s’appelle désormais Meriem. Par rejet de la culture occidentale, ils sont des centaines à choisir le Maghreb pour rejoindre les maquis terroristes. L’Algérie est une de leurs destinations et, malgré la surveillance des services de sécurité, ils parviennent à passer. Témoignages exclusifs.
Début mai, un jeune homme est interpellé à l’aéroport d’Alger. Il ne s’exprime pas en arabe et ne doit pas avoir plus de 25 ans. Une petite barbe sous le menton, ses yeux bleus lui donnent un air serein. L’agent d’entretien de l’aéroport de passage avec son engin de nettoyage remarque la scène et soupire : «C’est encore un Daech !» Dans les halls de l’aéroport, des «barbus», il y en a pourtant plus d’un. Certains en qamis, en tenue de sport ou même en pantacourt tendance barbu hipster et baskets Airmax couleur néon.
Une source policière nous confie qu’une semaine auparavant, ce jeune a quitté le département français de la Loire (région Rhône-Alpes) pour Alger. Il avait égaré un de ses bagages et n’a pas fait de réclamation. Le bagage en question a été retrouvé. Après enquête, il a pu être contacté «grâce aux deux téléphones retrouvés dans son sac à dos», précise une source policière. «Les autorités ont pu obtenir un numéro local pour le convoquer. Cette affaire ne concerne plus la douane et ne s’arrêtera pas là.» L’agent insinue qu’une enquête est ouverte et que la famille du jeune homme a désigné un avocat.
Le sac contenait également des couteaux suisses, des prospectus, un plan d’Alger et un autre de l’Algérie, trois clés USB, un Ipad contenant des vidéos où l’on distingue des membres de l’EI flagellant des personnes qui ont raté la prière du vendredi, des cours d’islam radical et aussi un adhésif industriel contenant des produits «chimiques suspects». Ils seraient des centaines d’Européens convertis à rejoindre chaque année l’Algérie pour finir dans des katibas des régions de Boumerdès, Bouira, Tizi Ouzou, Tébessa et le Grand Sud. La plupart réussissent le passage. «Certains poursuivent le périple jusqu’en Tunisie, en Libye ou encore en Syrie.
Mais pour la majorité, ils sont enrôlés dans les rangs de groupes terroristes ici en Algérie, puis ils sont emmenés dans des lieux d’entraînement avant de partir sur des opérations de terrain», explique une source sécuritaire proche des opérations d’identification de ces nouveaux émigrés qui quittent du jour au lendemain l’Occident pour des pays qu’ils considèrent comme «terres de djihad». Des terres où la guerre est justifiée parce qu’il faut «appliquer la charia dans les pays musulmans et instaurer une ‘dawla islamya’, c’est du moins le discours permanent qu’on leur inculque dans leur pays d’origine.
Ils sont pour la plupart Français, Allemands ou Belges. Il y a des Européens de souche, ou d’origine algérienne. Ils n’ont pratiquement aucune difficulté à entrer sur le territoire algérien, parce qu’ils montrent patte blanche à l’aéroport d’Alger ou des autres villes du pays». D’après le ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve, «les candidats sont principalement originaires de six régions : Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Nord-Pas-de-Calais, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées».
Abou Farès
Blida, à proximité d’une école primaire. Une femme couverte d’un voile intégral attend dans la voiture ses enfants. Difficile de lui attribuer un âge précis, puisqu’elle porte également des gants. Meriem se présente, et au son de sa voix on comprend qu’elle est jeune. Elle a 29 ans. C’est une mère de trois enfants dont le père est emprisonné depuis plus d’un an, accusé d’avoir caché des individus recherchés et des armes et d’avoir participé à des transmissions via des réseaux sociaux et un site internet pro-Daech fermé depuis.
A l’origine, Meriem s’appelait Marylise. Elle est née et a vécu près de Nice. Meriem a rencontré son mari lors d’une grande fête de mariage. «Nous avions beaucoup d’amis musulmans d’origine algérienne. Un imam a approché mon mari à l’époque et ils sont devenus amis. Un jour, Nicolas avant qu’il ne devienne Abou Farès, en référence à notre fils aîné, m’annonce sa conversion. J’étais surprise et comme je n’ai pas montré de signes de réticence, il m’a à son tour présenté des ’sœurs’ pour parler d’islam, avoir une meilleure connaissance de la religion et apprendre l’arabe. Bouleversées, nos familles se sont opposées à notre conversion, à notre union ainsi qu’à notre projet de nous installer en Algérie.
Mon père a même essayé de le signaler à la police, puisque pour lui, mon mari avait des intentions douteuses.» Meriem n’est plus en contact avec sa famille depuis des années et n’est pas retournée en France. Son voile intégral n’a pas été un obstacle pour travailler dans une administration en Algérie. «J’étais un peu surprise de constater que même en Algérie, les gens pouvaient porter un regard inquisiteur. Cependant, ce n’est pas comme en France, ici je suis libre de mes mouvements. J’attends la libération de mon époux. Il n’a rien fait de mal si ce n’est aider des frères convaincus par une cause juste et noble que nous a dictée Allah.»
Kouachi
Qu’est-ce qui pousse un jeune Français à quitter sa famille, ses amis, son environnement pour s’enrôler du jour au lendemain dans les rangs de groupes extrêmement dangereux ? «En France, j’ai lu des thèses qui prétendent que c’est l’augmentation du port du voile qui serait à l’origine de cette radicalisation. Ridicule. Souvent, ces candidats au djihad finissent par se faire exploser dans les quartiers de Homs, en Syrie, parce qu’ils sont dans le déni et refusent tout dialogue, explique Omar Bouhafs, universitaire et ancien militant de partis islamistes. Pour eux, c’est l’ultime offrande à Allah. Comme un sacrifice. Allah n’a nullement besoin qu’on lui offre des corps déchiquetés, qu’il a lui-même créés.
A mon avis, l’explication se trouve dans la situation sociale et la précarité dans laquelle ils évoluent en France, notamment dans les prisons où ils sont repérés par des indivudus qui ont l’habitude des prisons et connaissent les méthodes de recrutement.» La Commissaire européenne à la justice estime que 1450 Français sont partis en Syrie rejoindre les djihadistes qui luttent contre le régime de Bachar Al Assad. En tout, il y aurait 5000 à 6000 volontaires européens. «Je crois que ces chiffres ne reflètent pas la réalité», commente Fahd Kessal, politologue et auteur d’un manuel édité en arabe sur la déradicalisation et d’un article sur les mouvements qui prônent la destruction de l’Occident.
Prison
«Depuis une dizaine d’années maintenant, les services de renseignements, d’ici ou d’ailleurs, savent que les événements du 11 septembre, les printemps arabes, les guerres en Libye, en Syrie, au Mali, l’affaire Merah, ou plus récemment celle des frères Kouachi… ont contribué à la montée en puissance de cet islam intégriste qui bouscule les dispositifs sécuritaires en Europe et qui interroge les institutions qui s’occupent des récidivistes», explique-t-il.
Une source sécuritaire algérienne ajoute : «En France, les candidats au djihad sont souvent condamnés à de lourdes peines. Une fois en prison, ils tombent entre les mains de multirécidivistes expérimentés qui leur font un lavage de cerveau. Ils en ressortent plus déterminés pour accomplir des attentats, malgré l’important arsenal juridique mis en place.»
Quand ces terroristes potentiels arrivent en Algérie, comme les Services des deux pays travaillent en collaboration, parfois ils se font attraper. Mais pas toujours. Ce que surveillent en particulier les services de renseignement algériens, ce sont les prises de contact avec des terroristes... déjà incarcérés. Depuis les années 1990, les Services infiltrent systématiquement les prisons pour comprendre la structure des groupes terroristes, leur manière de s’informer et de faire passer des informations. «Certains sont retournés pour infiltrer d’autres groupes.
Ils sont alors relâchés dans ce but, mais toujours surveillés.» L’autre problème auquel sont confrontées les autorités, ce sont le détournement de certaines zaouïas. «Un petit nombre d’entre elles sert de lieu de rencontre et d’instruction pour les branches extrémistes, poursuit notre source. L’Algérie compte plus de 120 prisons et, souvent, l’administration pénitentiaire est confrontée à la surpopulation.
De ce fait, de nouvelle prisons ont été construites ou sont en cours de construction.» Pour Omar Bouhafs, «construire des prisons est nécessaire. Cependant, c’est la gestion qu’il faut faire évoluer. On doit assurer la protection de certains individus fragiles psychologiquement et ne pas mettre tout le monde à la même enseigne. On doit revoir l’organisation des structures pénitentiaires et trouver des systèmes pour les isoler des autres prisonniers afin d’affaiblir leur influence sur de futures recrues potentielles.»
Djihad 2.0
Fahd Kessal explique que les nouvelles techniques de recrutement hautement sophistiquées, s’appuyant sur les réseaux sociaux, ne sont qu’une face de l’iceberg. «Le djihad 2.0 est un moyen de propagande inespéré. La guerre est communiquée, d’une part, par les Etats souverains qui ne disent pas tout et, d’autre part, par les Etats fictifs ou autoproclamés qui usent de leur pouvoir de propagande, analyse-t-il. Dernièrement, le magazine Dabiq édité par l’EI mettait en couverture le terroriste franco-tunisien Boubacar El Hakim. Rien n’est laissé au hasard.
Une communication sur tous les fronts pour contrer l’islam modéré, ou encore des individus comme Tariq Ramadan, considérés comme des pantins de l’Occident.» La radicalisation serait le point de non-retour pour un candidat au djihad vivant dans le déni de sa culture et refusant tout débat, comme le rappelle l’islamologue Kamel Chekkat : «Les gens qui sont dans cet engrenage ne viendront pas écouter des personnes dont le discours est modéré. Ils ont pour instruction de ne discuter avec personne.»
Faten Hayed
(source E Watan)
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